Aux termes de la loi de 1902 et de ses décrets d'application ultérieurs, les conseils d'hygiène possèdent trois types de fonctions. Ils conservent leur rôle d'expert auprès des pouvoirs publics dans les questions générales d'hygiène et de santé ; ils interviennent avec d'importants " pouvoirs d'enquête et d'appréciation " 823 dans les procédures d'assainissement des communes et des immeubles ; ils exercent enfin, la surveillance et le contrôle des services de vaccination et de désinfection.
Par rapport au décret de 1848, la législation sur la santé publique modifie sensiblement les conditions de fonctionnement des conseils d'hygiène. Elle ne dit plus que ces assemblées " peuvent (...) être consultées " par le préfet, mais qu'elles " doivent être consultées " 824 . Cette importante nuance était soulignée en ces termes par le ministre de l'Intérieur en 1891 : " le préfet aura non plus le droit, mais le devoir de consulter les conseils ou commissions d'hygiène " 825 .
La liste des objets soumis à l'examen des assemblées ne connaît en revanche quasiment aucune modification. Le législateur renvoie en effet à celle dressée par l'article 9 du décret de 1848 et ajoute l'alimentation des agglomérations en eau potable, la statistique démographique et la géographie médicale ainsi que les règlements sanitaires communaux 826 . Ces derniers, qui doivent être examinés par le conseil d'hygiène départemental avant d'être approuvés par le préfet 827 , représentent d'ailleurs la seule nouveauté. La statistique et la géographie médicale étaient déjà présentes dans le décret de 1848 tandis qu'une circulaire ministérielle de 1884 invitait fortement les préfets à soumettre aux conseils d'hygiène les dossiers d'alimentation des communes en eau potable 828 . Dans ce domaine, le rôle des assemblées était d'ailleurs devenu plus important en raison de la déconcentration des procédures. La circulaire ministérielle du 10 décembre 1900 autorisait les préfets à statuer directement sur les projets de captage et d'amenées d'eau potable présentés par les communes de moins de 5 000 habitants 829 . Les dossiers ne remontaient donc plus au ministère de l'Intérieur et au CCHPF sauf si un tiers des membres du conseil d'hygiène départemental le demandait 830 . La loi du 15 février 1902 renforce encore la position des assemblées sanitaires en facilitant les formalités d'acquisition par les communes des sources d'eau potable. La déclaration d'utilité publique d'une source peut en effet être prononcée par le préfet, après avis du conseil d'hygiène départemental, si le débit à acquérir est inférieur à deux litres par seconde 831 .
Les interventions des conseils d'hygiène et commissions sanitaires deviennent beaucoup plus décisives dans les procédures d'assainissement des localités et des immeubles. On s'en souvient, l'article 9 de la loi de 1902 permet de contraindre une commune à effectuer des travaux d'assainissement tandis que l'article 12 agit de même à l'égard des propriétaires d'immeubles insalubres. Dans les deux cas, les assemblées sanitaires disposent d'un important pouvoir d'appréciation.
C'est en effet la commission sanitaire compétente qui, après constatation officielle de l'élévation anormale de la mortalité dans une commune, procède à une enquête et conclut à l'utilité ou non des travaux d'assainissement. Elle se prononce également sur la nature des réparations de salubrité à effectuer aux immeubles et en fixe le délai 832 . Son rôle s'arrête ici : le dossier est ensuite transmis au conseil municipal dans le premier cas, au maire dans le second. Il ne faudrait toutefois pas en conclure que les instances municipales puissent passer outre la décision de la commission sanitaire. Si le préfet estime que la délibération du conseil municipal n'est pas conforme aux conclusions de la commission sanitaire sur les travaux d'assainissement de la commune, l'affaire est portée devant le conseil d'hygiène départemental. En cas de désaccord entre la commission et le conseil ou de réclamation par le maire, c'est le ministre de l'Intérieur qui statue. Le conseil d'hygiène départemental est également saisi lorsque le maire conteste la délibération de la commission sanitaire sur les travaux d'assainissement à imposer aux immeubles. La loi ne prévoit pas l'intervention d'un autre acteur si un différent persiste sur ce point entre les deux parties, mais tout se passe comme si le maire ne pouvait faire autrement que de se conformer à la décision du conseil d'hygiène départemental 833 .
Les décrets d'application de la loi du 15 février 1902 ajoutent une troisième fonction aux assemblées sanitaires : celle de contrôler les services de vaccination et de désinfection.
Le décret du 27 juillet 1903 fait de la vaccination un service départemental et les arrêtés des 28 et 30 mars 1904 le placent sous la surveillance d'une commission prise au sein du conseil d'hygiène départemental 834 . Composée de " deux médecins particulièrement qualifiés pour leur compétence bactériologique et (d') un vétérinaire " 835 , celle-ci exerce une double mission. En premier lieu, elle veille à ce que les médecins vaccinateurs respectent les dispositions de l'arrêté du 28 mars 1904 : emploi exclusif du vaccin animal au plus tard dans les quarante jours suivant sa récolte, tenue régulière du registre de leurs opérations, interdiction de réutiliser un excédent de vaccin provenant de tubes ouverts lors d'une précédente opération, bonne tenue des locaux prévus pour les opérations collectives, examen minutieux des enfants à vacciner, stricte hygiène de l'inoculation et visite des sujets vaccinés au plus tôt le septième jour après l'opération. La commission adresse chaque année un rapport au préfet sur le fonctionnement du service ; elle peut également être amenée à procéder à des enquêtes, en cas d'" insuccès avérés et exceptionnels " ou " d'accidents imputables à la vaccination " 836 .
La seconde mission de la commission consiste à contrôler les établissements producteurs de vaccin, qu'ils soient publics ou privés. Ces derniers doivent être déclarés auprès de la préfecture ou de la sous-préfecture 837 et l'arrêté du 30 mars 1904 leur impose certaines obligations relatives à leur installation, l'organisation de leur personnel, à l'entretien des bêtes ainsi qu'à la production et à la délivrance du vaccin 838 . La commission visite les établissements dès leur déclaration et son rapport est particulièrement important puisqu'il permet au ministre de l'Intérieur de dresser la liste des instituts admis à approvisionner les services publics de vaccination. Par la suite, elle procède à des inspections régulières 839 .
C'est également un contrôle technique que les conseils d'hygiène et les commissions sanitaires exercent sur les appareils destinés à la désinfection. En rendant l'opération obligatoire, le législateur avait tenu à s'assurer de son efficacité et soumettait, dans ce but, tous les appareils à une autorisation administrative 840 . Etuves et pulvérisateurs doivent donc obtenir, avant leur mise en service, un certificat de vérification, puis un certificat d'identité ou un procès-verbal de conformité. Le certificat de vérification est destiné à juger de l'efficacité de l'appareil et du procédé ; il est délivré par le ministre de l'Intérieur, après des tests effectués par le Comité consultatif d'hygiène publique de France. Toutefois, si l'appareil se trouve hors de Paris, les expériences peuvent être réalisées par des membres du conseil d'hygiène départemental ou des commissions sanitaires. Le certificat d'identité ou le procès-verbal de conformité, suivant qu'il s'agit d'un appareil déjà vérifié ou conforme à un type déjà vérifié, est délivré par le préfet sur le rapport de la commission sanitaire 841 .
En associant étroitement les conseils d'hygiène à la mise en oeuvre de ses dispositions, la loi du 15 février 1902 renforce la position des assemblées consultatives dans la conduite des politiques sanitaires locales. Ces institutions ne sont plus de simples collèges d'experts mis à la disposition des pouvoirs publics, qui les consultent selon leur bon vouloir. Elles se voient investies de missions précises, qui s'exercent de surcroît dans des matières particulièrement sensibles et importantes du domaine sanitaire : vaccination, désinfection, assainissement des communes et des immeubles. La loi le signifie d'ailleurs clairement en stipulant que les décisions des commissions et des conseils ne sont valables que si les deux tiers des membres sont présents le jour de la séance 842 . Cette condition est destinée tant à garantir les intérêts des communes et des particuliers qu'à affirmer face à eux, l'autorité de la décision des assemblées.
Les nouvelles responsabilités des conseils d'hygiène et leur nouvelle organisation, à laquelle est associée l'autorité locale, contribuent ainsi à revivifier ces institutions issues de la Seconde République. Un troisième élément devait participer de cette dynamique : la création d'un corps d'inspecteurs de l'hygiène publique, véritable bras armé des conseils et des commissions sanitaires.
André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., p. 273.
Article 9 du décret du 18 décembre 1848 et article 21 de la loi du 15 février 1902.
Ernest CONSTANS, op. cit., p. 2905.
Article 21 de la loi du 15 février 1902.
La loi de 1902 (article 1) ne prévoit que l'avis du conseil d'hygiène départemental mais afin de décharger l'instance départementale, la circulaire ministérielle du 30 mai 1903 encourage l'examen préalable des règlements communaux par la commission sanitaire compétente. RTOSP, Tome IV, pp. 79-80.
AN, F8 179 : Circulaire du ministre du Commerce aux préfets, 29 octobre 1884.
Il fallait néanmoins que les rapports du géologue, du chimiste et du conseil d'hygiène départemental soient favorables. Circulaire ministérielle du 10 décembre 1900 relative à l'instruction des projets pour l'alimentation des communes en eau potable, reproduite dans André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., pp. 153-157.
Ibid.
Article 10 de la loi du 15 février 1902. L'acquisition des sources d'eau potable par une commune relevait auparavant de la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique définie par la loi du 3 mai 1841. André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., pp. 161-162.
Articles 9 et 12 de la loi du 15 février 1902. Bien que ces articles aient déjà été commentés précédemment, il nous semblait éclairant d'en reprendre l'analyse du point de vue du rôle des conseils d'hygiène et des commissions sanitaires. Nous nous appuyons essentiellement ici sur André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., pp. 138-143 et 192-197. Nous avons également schématisé les procédures en annexes n°17 et 18.
" Le maire, prendra, en conformité de cet avis (du conseil d'hygiène départemental) un arrêté dont les considérants rappelleront les différentes phases de l'instruction ". André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., p. 197. Un avocat aspirant au titre de docteur en sciences politiques et économiques en arrive à la même conclusion : " En conformité de cet avis(du conseil d'hygiène départemental), le maire prend un arrêté (...). Il y a lieu en effet de remarquer que l'avis de la commission sanitaire et du conseil d'hygiène est obligatoire, en ce sens qu'il doit être demandéet suivi". Pierre GAYOT, La question des logements insalubres et la loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique, Thèse pour le doctorat (Sciences politiques et économiques), Lyon, Imp. R. Schneider, 1905, p. 155.
Article 6 du décret du 27 juillet 1903, article 2 de l'arrêté ministériel du 28 mars 1904 relatif aux obligations des praticiens chargés des services publics de vaccine et article 1 de l'arrêté ministériel du 30 novembre 1904 relatif à la bonne tenue et au contrôle des établissements vaccinogènes. RTOSP, Tome IV, pp. 104-105, 117-119, 122-124.
Article 2 de l'arrêté ministériel du 28 mars 1904.
Ibid., article 9.
Article 3 du décret du 27 juillet 1903.
Voir surtout les instructions annexées à l'arrêté du 30 mars 1904 qui dressent un portrait de l'établissement vaccinogène moderne. RTOSP, Tome IV, pp. 124-134.
Article 1 de l'arrêté du 30 mars 1904 et circulaire ministérielle du 31 mars 1904 relative à la vaccination et à la revaccination obligatoires. RTOSP, Tome IV, pp. 134-136.
Article 7 de la loi du 15 février 1902 et décret du 7 mars 1903 relatif aux conditions que doivent remplir les appareils destinés à la désinfection. RTOSP, Tome IV, pp. 68-70.
Articles 2, 4 et 8 du décret du 7 mars 1903.
Article 20 de la loi du 15 février 1902.