1. Une mise en place tardive et complexe

Avant d'étudier les caractéristiques du nouveau dispositif sanitaire départemental, il faut nous arrêter quelques instants sur les modalités de son élaboration. Le règlement sanitaire départemental est en effet arrêté le 20 avril 1904, soit deux ans après la promulgation de la loi 912 . Ce décalage n'aurait pas tant attiré notre attention si, d'une part le préfet n'avait soumis la question au conseil général dès le mois d'août 1902, et si, d'autre part, le ministre de l'Intérieur ne s'en était alarmé, au point de menacer le département de lui imposer une organisation sanitaire d'office.

Les conditions politiques locales d'une rapide exécution de la loi étaient pourtant a priori réunies en 1902. Les radicaux, les grands vainqueurs du scrutin législatif de 1902 et majoritaires dans le nouveau gouvernement d'Emile Combes 913 , dominent également le conseil général de l'Isère 914 . Celui-ci est présidé depuis 1893 par un opportuniste rallié à la majorité radicale et au Bloc des gauches, Antonin Dubost 915 , qui avait par ailleurs assisté, avec six conseillers généraux, à la construction parlementaire de la loi sanitaire 916 . Ajoutons enfin, bien que l'on sorte du cadre politique, la sensibilité radicale du préfet Henri Boncourt 917 .

Cette conjoncture favorable n'empêche pas le conseil général d'ajourner, à chacune de ses sessions, l'étude de la mise en oeuvre de la loi. Au mois d'août 1902, la question ne fut même pas discutée ; la commission du budget, estimant que les renseignements en sa possession étaient insuffisants, ne formula aucune proposition et les conseillers généraux déplacèrent la discussion sur les lourdeurs de la procédure d'alimentation des communes en eau potable 918 . Si une telle attitude peut témoigner d'une certaine sensibilité aux problèmes sanitaires, elle montre également que les intérêts locaux sont davantage prisés que les intérêts nationaux. Un second ajournement fut décidé en avril 1903, en raison de l'absence de propositions financières de la part du préfet et de la commission du budget 919 . Il faut attendre la session d'août 1903 pour qu'une commission spécialement chargée d'étudier l'application de la loi de 1902 soit désignée et celle d'avril 1904 pour que son rapport soit sanctionné par un vote favorable du conseil général 920 .

L'assemblée départementale a néanmoins pour excuse la complexité de la mise en oeuvre locale de la loi sur la santé publique. Le choix du préfet d'installer conjointement toutes les pièces institutionnelles du dispositif sanitaire départemental ne peut que la renforcer. Une telle façon de procéder implique en effet de disposer du maximum d'informations sur l'organisation des services à établir, notamment sur le plan financier, ce qui est loin d'être le cas dans la période qui nous occupe.

Notes
912.

Ou un an après que la loi ait été rendue exécutoire.

913.

Jean-Marie MAYEUR, op. cit., pp. 185-186.

914.

Pierre BARRAL, op. cit., p. 349.

915.

Ibid., p. 346. Sur Antonin Dubost, voir la fiche biographique élaborée par Guillaume MARREL, op. cit., pp. 178-181.

916.

Il s'agit des députés radicaux Gustave Rivet, Antonin Chanoz et Octave Chenavaz, des députés progressistes Henri Meyer et Jean-Michel Christophle ainsi que du sénateur gambettiste Emile Durand-Savoyat. Gustave Rivet assiste aux débats de 1893 tandis que les quatre autres siègent au moment des débats de 1901. Antonin Dubost suit de plus près la construction parlementaire de la loi de 1902 puisqu'il est député en 1893 puis sénateur à partir de 1897 à 1921. Quant à Emile Durand-Savoyat, il siège au Sénat de 1891 à 1903. Aucun de ces sept élus ne prit la parole lors des débats sur la santé publique. Edouard BRICHET, Le conseil général et les conseillers généraux de l'Isère (1790-1914), Grenoble, Allier, 1914, 141 p. ; Pierre BARRAL, op. cit., pp. 551, 553-554 et 563 ; Guillaume MARREL, op. cit., pp. 178-183.

917.

Pierre BARRAL, op. cit., p. 349. Henri Boncourt est préfet de l'Isère de mai 1901 à mai 1913.

918.

ADI, PER 56-93 : CG/PVD, session d'août 1902.

919.

ADI, PER 56-94 : CG/PVD, session d'avril 1903.

920.

ADI, PER 56-95 et 56-96 : CG/PVD, session d'août 1903 et séance du 15 avril 1904.