L'augmentation du nombre des conseils sanitaires ainsi que leurs nouvelles responsabilités impliquent des dépenses supplémentaires pour le conseil général. La somme inscrite au budget voté en 1904 s'élève à 2 000 francs 976 ; elle ne représente qu'un progrès apparent par rapport au crédit de 300 francs affecté jusqu'alors aux conseils d'hygiène d'arrondissement. Si la dépense est multipliée a priori par 6,6, ce coefficient tombe à 2,6 dès lors qu'on rapporte la somme de 2 000 francs à chaque conseil et commission sanitaire. Leur budget respectif passe en effet de 75 francs à 200 francs.
La dépense votée par le conseil général de l'Isère est bien inférieure à l'estimation-modèle de 4 980 francs, établie par André-Justin Martin et Albert Bluzet dans leur Commentaire administratif et technique de la loi de 1902 977 , qui, étant donné les fonctions occupées par les deux personnages, a quasiment valeur de guide officiel 978 . A dire vrai, six départements seulement avaient décidé, à la fin de l'année 1904, de franchir le seuil suggéré : le Nord (16 000 francs), les Bouches-du-Rhône (11 000 francs), la Côte-d'Or (10 330 francs), le Rhône (8 500 francs), le Gers (6 000 francs) et l'Aisne (5 000 francs) 979 . Une comparaison nationale plus large ne plaide pas davantage en faveur du département de l'Isère : il ne figure pas au tableau des douze autres départements pour lesquels " la nécessité d'assurer aux assemblées sanitaires des moyens de fonctionnement convenables semble du moins avoir été la mieux comprise " 980 . Les sommes votées par ces départements varient en effet entre 4 650 francs et 3 000 francs, ce qui semble être un minimum pour l'auteur de ces lignes puisque sa liste ne va pas plus loin.
Deux autres éléments permettent de préciser la situation budgétaire des conseil et commissions sanitaires isérois par rapport à l'ensemble du territoire : l'allocation ou non d'indemnités de présence et de frais de déplacement aux membres des assemblées. On s'en souvient, ces indemnités étaient explicitement prévues dans le projet soumis et voté par la Chambre des députés. La commission du Sénat les avaient ensuite supprimées du texte tout en reconnaissant qu'elles étaient indispensables. Aussi, leur nécessité était-elle rappelée par la circulaire ministérielle du 19 juillet 1902.
A la fin de l'année 1904, dix-sept départements avaient adopté le système des indemnités de présence dont la valeur allait de deux à douze francs 981 . La question avait été évoquée du bout des lèves par le préfet de l'Isère dans son rapport d'août 1903 au conseil général : " Si vous entriez dans cet ordre d'idées et si vous décidiez d'allouer des jetons de présence de 10 francs par exemple... " 982 . La formule est prudente et le préfet abandonne bien vite ce projet quelques lignes plus loin : " Mais les membres des conseils d'hygiène, je suis heureux de leur rendre cet hommage, ont toujours prêté à l'administration un concours dévoué et désintéressé. J'espère qu'il en sera de même pour l'avenir et je ne crois pas devoir vous proposer une inscription budgétaire pour jetons de présence ". Le conseil général ne se montre pas plus empressé : " Il nous a paru nécessaire d'attribuer aux neuf commissions sanitaires et au conseil d'hygiène départemental, un crédit pour faire face, non pas à un salaire quelconque des membres en faisant partie, mais aux déboursés qu'entraîneront le fonctionnement de ces organisations: visite des lieux, enquêtes, frais de bureau, etc " 983 .
Au moins peut-on remarquer la présence de frais de déplacement dans le budget de fonctionnement du conseils d'hygiène et des commissions sanitaires. Cependant, la comparaison nationale n'est,une fois de plus, pas vraiment favorable au département de l'Isère. Le rapport d'Albert Bluzet dresse la liste des 39 départements qui ont institué "des indemnités de déplacement, soit pour se rendre aux séances, soit pour missions spéciales" 984 . Parmi eux, 26 avaient instauré des barèmes extrêmement précis et variables de calcul de l'indemnité de déplacement, avec parfois des vacations supplémentaires pour les visites. Le département de la Nièvre, par exemple, attribue aux membres des assemblées sanitaires une " indemnité de 0,10 francs par kilomètre parcouru en chemin de fer et de 0,50 francs par kilomètre parcouru par voie de terre " ainsi qu'une " indemnité de six francs par vacation de trois heures, de douze francs par demi-journée et de 24 francs pour la journée entière " 985 . Il n'y a rien de semblable dans le département de l'Isère : le crédit de 2 000 francs est attribué au conseil d'hygiène départemental, à charge pour lui de le répartir entre les différentes assemblées sanitaires 986 .
Le manque de données qui permettraient d'avoir une vision d'ensemble des budgets affectés à tous les conseils d'hygiène et les commissions sanitaires interdit de situer exactement sur ce plan le département de l'Isère. On peut néanmoins en conclure que, s'il doit toujours exister des situations plus médiocres, les assemblées iséroises ne figurent pas parmi les plus privilégiées. Leurs modestes ressources pourraient être interprétées comme le signe d'une indifférence, voire d'une négligence, du conseil général pour la première pièce du service de l'hygiène publique. On peut également penser que le conseil général a tenu compte de l'expérience financière des conseils d'hygiène d'arrondissement. Entre 1880 et 1902, ces derniers n'ont guère utilisé de façon optimale les maigres sommes mises à leur disposition. En vingt-deux ans, le crédit de 300 francs a été seulement trois fois atteint ou dépassé et huit fois non utilisé. Pour le reste, les sommes dépensées varient entre 20 francs et 200 francs 987 . Toutefois, le faible crédit affecté aux assemblées sanitaires révèle peut-être avant tout leur place au sein du dispositif sanitaire isérois. Il semble en effet que le conseil général ait fait le choix de s'appuyer davantage sur le service d'inspection et de contrôle, manifestant en cela une préférence pour un système bureaucratique.
Cf. supra, tableau n°8.
André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique...,op. cit., pp. 271-272. La dépense avait été estimée pour un département comprenant six commissions sanitaires et un conseil d'hygiène.
Rappelons qu'André-Justin Martin a rapporté, au nom du Comité consultatif d'hygiène publique, les projets de loi sur la santé publique déposés en 1887 et en 1892. Docteur en droit, ancien rédacteur principal au ministère de l'Intérieur, Albert Bluzet est nommé, en 1904, à l'inspection générale des services sanitaires, chargé du contrôle de la loi du 15 février 1902. Recueil des travaux du CCHPF, Tome 34, 1904, pp. 11-12. Ces deux personnages rédigeront, au nom du Comité consultatif d'hygiène publique, les projets de décrets sur les bureaux d'hygiène et les services de désinfection.
A l'exception du département de la Seine (162 500 francs). Albert BLUZET, " Exposé sommaire de la mise en oeuvre de la loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique à la fin de l'année 1904 ", Recueil des travaux du CCHPF, Tome 34, 1904, p. 369.
Ibid.
Ibid., p. 370. On peut noter que les fortes indemnités de présence ne correspondent pas forcément aux budgets des assemblées sanitaires les plus élevés. Ainsi, les jetons prévus par la Côte d'Or sont de 5 francs pour un budget de 10 330 francs tandis que dans les Basses-Alpes, le jeton est fixé à 10 francs pour un budget de 4 200 francs.
ADI, PER 56-95 : CG/RP, août 1903
ADI, PER 56-96 : CG/PVD, séance du 15 avril 1904.
Albert BLUZET, " Exposé sommaire de la mise en oeuvre de la loi du 15 février 1902...", op. cit., pp. 370- 374
Ibid., p. 372. Le choix de l'exemple est tout à fait arbitraire tant les modalités sont variables d'un département à l'autre.
ADI, PER 56-96 : CG/PVD, séance du 15 avril 1904.
ADI, 3 N 19/9 à 3 N 19/15 : Comptes administratifs du département de l'Isère, 1880-1902.