a. La rencontre de l'hygiène et des enfants assistés : une logique financière

Le service d'inspection de l'hygiène publique du département de l'Isère n'est pas une création ex nihilo : il est en effet confié à l'inspecteur et au sous-inspecteur des enfants assistés. C'est d'ailleurs le choix qui a prévalu dans six départements sur dix. On pourrait a priori lui trouver une connotation négative. La possibilité d'agréger l'inspection de l'hygiène à celle de l'assistance publique a en effet toujours été entendue, par les instances centrales, comme une solution de repli pour éviter la création de fonctionnaires nouveaux. Le choix du département de l'Isère répond aux mêmes considérations : il s'agit de réduire les dépenses occasionnées par ce nouveau service 990 .

Les projets présentés par le conseil d'hygiène départemental, le 25 juillet 1902, puis par le préfet en août 1903 avaient envisagé d'établir un service d'inspection sanitaire indépendant de celui des enfants assistés. Le conseil d'hygiène avait proposé la création d'un emploi d'inspecteur départemental au traitement de 3 500 francs, d'un inspecteur adjoint, rémunéré à hauteur de 2 500 francs et spécialement chargé de l'arrondissement de Grenoble, ainsi que de trois inspecteurs d'arrondissement rétribués 1 500 francs chacun 991 . Le projet du préfet réduisait la dépense initiale de 10 500 francs à 6 700 francs en supprimant les quatre inspecteurs d'arrondissement. Il portait le traitement de l'inspecteur, unique survivant de cette coupe sombre, à 4 000 francs et renforçait l'organisation du service par l'adjonction d'un employé de bureau à 1 200 francs et d'un crédit de 1 500 francs pour frais de déplacement et de bureau 992 .

Les réserves émises par le conseil général sur ces deux projets entraînèrent la fin de l'inspection de l'hygiène publique comme service indépendant. Déjà en août 1902, la commission du budget s'était montrée très timorée face à " l'augmentation du nombre de fonctionnaires départementaux " et pronostiquait que " l'assemblée départementale n'entrera dans cette voie que si l'incontestable utilité de ce poste lui était par la suite démontrée " 993 . Un an plus tard, le conseil général reconnaissait la nécessité de l'inspection sanitaire ou plutôt son inéluctabilité 994 , mais tout en saluant l'effort du préfet pour réduire la dépense, considérait toujours la création de nouveaux fonctionnaires comme un " écueil à éviter ". Ce fut chose faite en attribuant à l'inspecteur des enfants assistés une indemnité de 1200 francs pour l'inspection de l'hygiène publique tandis que le sous-inspecteur recevait 800 francs pour le même service 995 . Le conseil général retenait néanmoins du projet du préfet les crédits affectés à l'employé de bureau et aux frais de déplacement et de bureau. La dépense totale était ainsi réduite à 4 700 francs. Elle reste cependant parmi les plus importantes en France.

Tableau n° 9 : Comparaison de l'organisation des services départementaux d'inspection de l'hygiène publique en 1904 (en francs)
  Traitement ou indemnité de l'inspecteur Indemnité du sous-inspecteur Frais de tournées Traitement ou indemnité d'un employé Frais de bureau TOTAL
Service de l'hygiène publique confié à l'inspection des enfants assistés
Côte d'Or 1 000     1 500   2 500
Eure 300     200   500
Isère 1 200 800 1 000 1 200 500 4 700
Lozère 600 900 *       1 500
Morbihan 600         600
Vosges 1 000 600   1 200   2 800
Service de l'hygiène publique indépendant
Indre-et-Loire 3 000         3 000
Puy-de-Dôme     Sur mémoires      
Rhône 2 000         2 000
Var 4 000   1 000     5 000
* Indemnité au sous-inspecteur et au personnel du service

Source : Albert BLUZET, " Exposé sommaire de la mise en oeuvre de la loi du 15 février 1902... ", op. cit., p. 402.

Si l'on considère la dépense totale consacrée à l'inspection de l'hygiène publique, le département de l'Isère se classe en seconde position derrière le Var, dont le service se limite d'ailleurs à un inspecteur. Son budget, qui reste très proche de celui évalué par André-Justin Martin et Albert Bluzet - soit 5 000 francs 996 -, domine de loin celui des autres départements et ce, quelle que soit l'organisation adoptée. Les crédits qu'ils affectent à l'inspection sanitaire s'échelonnent en effet entre 500 francs et 3 000 francs. Le département de l'Isère possède en outre l'organisation la plus complète puisqu'elle inclut les indemnités de l'inspecteur et de son adjoint, le traitement d'un employé ainsi que les frais de bureau et de tournées. Le service des cinq autres départements ayant adopté un système similaire est plus réduit : il comprend un inspecteur - dont les indemnités sont plus faibles -, un sous-inspecteur - quand il existe 997 - et parfois un employé de bureau. Quant à celui des départements de la seconde catégorie, il se résume à un emploi d'inspecteur de l'hygiène publique, bénéficiant ou non d'indemnités et de frais de déplacement, confié soit à des professeurs de faculté de médecine (Indre-et-Loire, Rhône), soit à des docteurs en médecine exerçant ou non une activité para-publique (Puy de Dôme, Var) 998 .

L'organisation iséroise révèle une certaine volonté, certes modeste mais réelle, de donner à l'inspection sanitaire les moyens de sa gestion. Comme pour les enfants assistés 999 , l'inspecteur de l'hygiène publique a une double fonction. Il doit se rendre dans les communes où des épidémies particulièrement sévères auraient été signalées afin de déterminer les mesures propres à y remédier. Mais la plus grosse partie de son travail est d'ordre administratif. Il dirige d'abord le service de l'hygiène publique, dont les attributions s'étendent à tous les objets visés par la loi de 1902 ou intéressant la santé publique, il gère la comptabilité financière et établit chaque année un rapport sur le fonctionnement et les résultats du service. C'est lui qui contrôle également le service de la vaccine, instruit toutes les affaires soumises aux assemblées sanitaires et leur fait connaître la situation sanitaire du département. Il centralise en outre tous les renseignements relatifs à la mortalité et aux maladies contagieuses et en dresse la statistique mensuelle destinée au ministère de l'Intérieur 1000 . On comprend dès lors d'une part, la quasi-dépendance du conseil d'hygiène et des commission sanitaires à l'égard de l'inspection, et d'autre part, la nécessité d'y associer le sous-inspecteur des enfants assistés et un employé de bureau.

Notes
990.

" Des motifs uniquement budgétaires ont déterminé la majorité de votre commission à attribuer ce service à des fonctionnaires déjà sérieusement rétribués, déjà au courant des questions d'hygiène et d'administration, qui pour un traitement moins élevé, consentiraient à assurer, sous le contrôle de Monsieur le Préfet et du conseil départemental, l'application de la loi de 1902 ". ADI, PER 56-96 : CG/PVD, séance du 15 avril 1904.

991.

ADI, PER 56-93 : CG/RP, août 1902.

992.

ADI, PER 56-95 : CG/RP, août 1903.

993.

ADI, PER 56-93 : CG/PVD, session d'août 1902.

994.

" L'article 19 s'exprime ainsi : " Si le préfet qu'il y a lieu d'organiser un service (...) ". Or le préfet estimera toujours, c'est présumable conformément aux instructions ministérielles; Nous pouvons considérer dès maintenant la création de ce service de contrôle à la charge du département, non seulement parce qu'elle est nécessaire et indispensable au bon fonctionnement de la loi, mais parce que l'Etat la pourra rendre obligatoire ". ADI, PER 56-95 : CG/PVD, session d'août 1903.

995.

ADI, PER 56-96 : CG/PVD, séance du 15 avril 1904.

996.

André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., p. 253. Les deux auteurs ne précisent pas le détail du crédit affecté à l'inspection de l'hygiène publique mais dans leur esprit, il s'agit d'un service indépendant de celui des enfants assistés et d'un budget minimum.

997.

Les postes de sous-inspecteur des enfants assistés - ils sont 110 en 1895 pour 94 inspecteurs -dépendent du nombre d'enfants assistés à surveiller. Catherine ROLLET-ECHALIER, op. cit., p. 308.

998.

Albert BLUZET, " Exposé sommaire de la mise en oeuvre de la loi du 15 février 1902...", op. cit., p. 401.

999.

Catherine ROLLET-ECHALIER, op. cit., p. 313.

1000.

ADI, PER 2437-41 : RAAP, Articles 31, 37, 39 et 40 du règlement sanitaire départemental du 20 avril 1904.