a. Entre nouvelles compétences et bricolage d'attributions

Le nouveau règlement du bureau d'hygiène, arrêté le 31 décembre 1903 1062 , reflète la rapidité avec laquelle il a été préparé. Il apparaît comme une sorte de bricolage entre les indications données par A.J. Martin et Albert Bluzet dans leur commentaire de la loi du 15 février 1902 1063 , que Bordier reconnaît avoir suivies, et le règlement de 1889. Ce procédé est particulièrement manifeste dans la définition du domaine de compétences du bureau d'hygiène. Le règlement de 1903 s'ouvre sur une énumération des attributions du service, qui est la reproduction quasi-intégrale de la liste donnée par les deux hygiénistes parisiens. Celles-ci s'en trouvent d'ailleurs élargies et renforcées, notamment dans le domaine de l'assainissement urbain. Elles ne sont pourtant pas vraiment explicitées dans la suite du règlement, dont la rédaction reste très proche de celle de 1889.

Le nouveau domaine de compétences du bureau d'hygiène, défini dans l'article 1 du règlement de 1903, n'a plus grand chose à voir avec celui de 1889 1064 . Il est beaucoup plus large et précis. Les attributions du bureau d'hygiène sont désormais regroupées en quatre catégories. Les " mesures sanitaires concernant les personnes ", les " mesures sanitaires concernant les immeubles " ainsi que " les mesures sanitaires concernant les localités" 1065 correspondent à ce qu'A.J. Martin et Albert Bluzet nomment les attributions résultant de la loi du 15 février 1902 1066 . Elles en sont d'ailleurs la reproduction presque identique. Le bureau d'hygiène est en premier lieu chargé de la prophylaxie des maladies transmissibles et contagieuses : réception des déclarations des maladies contagieuses, par les médecins ou par les hôteliers dans le cadre de la " surveillance des hôtels et garnis au point de vue de la salubrité ", contrôle des mesures d'isolement du malade, de la désinfection et de la vaccination. Le bureau d'hygiène participe également à la surveillance de la salubrité des immeubles : délivrance des permis de construire, assainissement des immeubles insalubres, surveillance des eaux d'alimentation et des fosses d'aisance. Il tient également à jour le casier sanitaire des immeubles. Dans le cadre des " mesures sanitaires concernant la localité ", le bureau d'hygiène veille à l'état du système de distribution d'eau potable, des égouts et de la voie publique ; il établit enfin une carte sanitaire de la commune.

Les " mesures sanitaires concernant la collectivité " 1067 correspondent dans la nomenclature de Martin et de Bluzet à " l'application des dispositions légales ou réglementaires, relatives à l'hygiène, autres que celles de la loi du 15 février 1902 ". Le règlement de 1903 en reprend encore une fois les principales rubriques en les adaptant à la situation grenobloise : service médical de l'état civil (constatation des naissances et décès, statistique démographique), hygiène de l'enfance (protection des enfants du premier âge ; distribution de lait stérilisé, Goutte de lait ; nursery), inspection médicale des écoles, hygiène alimentaire, police sanitaire des animaux, surveillance des établissements dangereux, incommodes ou insalubres, surveillance de la prostitution, laboratoire municipal d'analyses.

En fait, les attributions du bureau d'hygiène englobent la totalité des dispositions de la loi du 15 février 1902 relatives à l'hygiène communale. Le bureau d'hygiène devient ainsi, sous l'autorité du maire, le véritable animateur de l'application du texte sur la santé publique. Plus largement, il est le responsable de l'hygiène de la ville et de la santé de ses habitants.

On pourrait s'attendre à ce que l'ensemble de ces attributions, et notamment celles relatives à l'assainissement urbain, soit davantage explicité dans la suite du règlement. Il n'en est rien. Les articles 9 à 30 du règlement de 1903, regroupés en six titres - maladies transmissibles et épidémiques ; voirie, habitations, édifices publics ; hygiène scolaire ; vaccine ; statistique ; abattoirs, denrées alimentaires, laboratoire municipal - reprennent, souvent dans leur intégralité, les dispositions du règlement de 1889 1068 . Les seules modifications concernent la prophylaxie des maladies contagieuses car elles tiennent compte des clauses de la loi du 15 février 1902. Ainsi, les médecins ne sont plus incités mais " tenus " de notifier au bureau d'hygiène les cas de maladies contagieuses qu'ils constatent 1069 . Le mode de déclaration suit d'ailleurs scrupuleusement la procédure instituée par l'arrêté ministériel du 10 février 1903 1070 . La désinfection est toujours assurée par l'hôpital mais le contrôle du bureau d'hygiène sur ce service se resserre. Le bureau devient l'unique réceptionnaire des demandes de désinfection et si le directeur doit toujours s'entendre " avec l'Administration hospitalière sur les meilleurs procédés " 1071 , il n'est plus fait mention du rôle de l'hôpital dans la direction du service. Pour le reste, les médecins-inspecteurs continuent de recueillir tous " les renseignements relatifs à l'hygiène de la voie publique, des édifices et des habitations " 1072 et d'inspecter les écoles. Le directeur est toujours chargé de la statistique et il n'y a pas de changements dans les rapports entre le bureau d'hygiène et les responsables des abattoirs. Le règlement enregistre à peine les modifications intervenues dans l'organisation du laboratoire municipal, celui-ci examine toujours les produits que le bureau d'hygiène lui envoie mais son directeur - et pour cause ! - n'est plus tenu de lui adresser un rapport sur ses opérations.

La comparaison des règlements de 1903 et de 1889 montre, en outre, que le bureau d'hygiène est déchargé de deux services : le bureau des nourrices, sur lequel nous n'avons aucune information 1073 , et le service médical de nuit. Sa disparition du règlement de 1903 semble être la conséquence de dysfonctionnements relevés à plusieurs reprises par le commissaire central de police. En 1899, celui-ci signalait au maire le manque de concours prêtés par les médecins-inspecteurs du bureau d'hygiène au service médical de nuit : " Il est arrivé fréquemment que les agents (de police) se sont présentés au domicile des médecins-inspecteurs titulaires chargés du service médical de nuit et sont revenus avec les personnes qui sollicitaient leur concours sans avoir obtenu satisfaction. Chez les uns, ils sont absents, chez les autres, ils sont fatigués " 1074 . Et le commissaire central de citer trois cas particuliers 1075 . Dans la nuit du 30 au 31 août 1898, à deux heures du matin, un agent de police se présenta successivement aux domiciles des docteurs Berthollet, Hauquelin, Comte et Giraud où il lui fut répondu que ces médecins étaient absents. Un autre agent de police fit la même constatation dans la nuit du 21 au 22 septembre 1898 à 23 heures ; enfin, entre le 16 et le 17 mai, l'agent de police ne trouva pas le docteur Hauquelin à son domicile et ne reçut aucun réponse chez le docteur Giraud. Si ces faits témoignent d'un désintérêt des médecins inspecteurs pour le service médical de nuit, on ne sait, en tout cas, le docteur Bordier ne prévoit plus la participation du bureau d'hygiène à ce service. Avait-il programmé ce désengagement en accord avec la municipalité ou avait-il voulu forcer les choses en obligeant la municipalité à repenser l'organisation du service médical de nuit ? L'interrogation reste ouverte. Toujours est-il que le service est réorganisé le 8 octobre 1904 sur la base d'une participation volontaire des médecins de la ville 1076 .

L'examen des compétences du bureau d'hygiène définies par le règlement de 1903 laisse une impression déroutante. Les attributions du service sont élargies et précisées mais ces changements ne sont pas relayés dans les articles suivants. La véritable force de la réforme de 1903 est à rechercher ailleurs : dans la nouvelle organisation du personnel ainsi que dans le pari réussi de Bordier de conserver certaines prérogatives municipales en matière de vaccination et d'assainissement des immeubles insalubres.

Notes
1062.

AMG, 5 I 3 : Règlement du bureau d'hygiène de Grenoble, 31 décembre 1903.

1063.

André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique ..., op. cit., pp. 232-233.

1064.

Cf. supra, chapitre I, pp. 119-120.

1065.

AMG, 5 I 3 : Article 1 du règlement du bureau d'hygiène de Grenoble, 31 décembre 1903.

1066.

André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., pp. 232-233. Le commentaire de l'article 1 du règlement de 1903 s'appuie sur ce même ouvrage.

1067.

AMG, 5 I 3 : Article 1 du règlement du bureau d'hygiène de Grenoble, 31 décembre 1903.

1068.

AMG, 5 I 3 : Règlement du 31 décembre 1903 et 5 I 3/4 : Règlement du 16 décembre 1889.

1069.

AMG, 5 I 3 : Article 11 du règlement du 31 décembre 1903.

1070.

Le dernier paragraphe de l'article 11 du règlement grenoblois de 1903 est la reproduction de l'article 2 de l'arrêté ministériel du 10 février 1903 relatif au mode de déclaration des maladies contagieuses. AMG, 5 I 3 : Article 11 du règlement du 31 décembre 1903 et RTOSP, Tome IV, pp. 66 (Arrêté ministériel du 10 février 1903).

1071.

AMG, 5 I 3 : Article 13 du règlement du 31 décembre 1903

1072.

Ibid., article 14.

1073.

Nous n'avons relevé qu'un arrêté accordant l'autorisation à un particulier d'établir un bureau de placement pour les nourrices. AMG, 390 W 28 : Arrêté municipal du 2 octobre 1896.

1074.

AMG, 5 I 6 : Rapport du commissaire central de police au maire de Grenoble, 6 juin 1899

1075.

AMG, 5 I 6 : Lettre du commissaire central de police au maire de Grenoble, 10 juin 1899. " En raison de l'éloignement de quelques dates et aussi dans la crainte que les agents qui avaient été requis par des particuliers ne se rappellent plus les noms des médecins visités, je me contenterai de vous citer trois faits ".

1076.

En outre, le service fonctionne le dimanche et les jours fériés et il est étendu aux pharmaciens et aux sages-femmes. En 1904, trois médecins-inspecteurs du bureau d'hygiène s'étaient inscrits pour y participer: Hauquelin, Roux et Guédel. AMG, 5 I 6 : Arrêtés municipaux des 8 octobre et 10 décembre 1904.