b. Petits aménagements du personnel

Les deux types de transformations qui affectent le personnel du bureau d'hygiène pourraient apparaître, au premier abord, bien insignifiantes. Le service voit le nombre de ses employés passer de quatre à six : il gagne un agent de service et un médecin-inspecteur supplémentaire 1077 . Cette augmentation, qui est liée à une restructuration du personnel, est pourtant le signe d'une adaptation du bureau d'hygiène à ses nouvelles missions.

Le bureau d'hygiène reçoit tout d'abord un agent de service, Auguste Bernard, qui est un gardien de la paix détaché du service de la police 1078 . A dire vrai, ce n'était pas la première fois que le commissaire central prêtait Bernard au bureau d'hygiène. Dans son rapport d'activité de 1899, il rappelait au maire que, sur les soixante agents placés sous ses ordres, vingt-cinq ne faisaient pas de service actif et signalait parmi eux, un agent affecté au bureau d'hygiène 1079 . On ne connaît pas exactement la nature de la fonction d'Auguste Bernard au bureau d'hygiène ; on peut simplement préciser qu'il recevait de ce service une indemnité de 60 francs, en plus de son traitement de gardien de la paix 1080 , et avancer que le commissaire central pouvait toujours le rappeler pour des missions policières. En 1903 en effet, le docteur Bordier avait suggéré d'utiliser Bernard pour le service du laboratoire mais il fallait, pour cela, que l'agent de police " (soit) à la disposition du bureau d'hygiène exclusivement et (qu'il ne puisse), sous aucun prétexte, être détourné de ses fonctions par Monsieur le commissaire central " 1081 . La nouvelle organisation du laboratoire municipal permet de mieux cerner le rôle d'Auguste Bernard : il est chargé d'apporter à l'école de médecine les échantillons à analyser déposé au bureau d'hygiène, de les enfermer dans un placard spécial dont lui seul possède la clé et de ramener de l'école au bureau les feuilles d'analyses 1082 . Le règlement de 1903 consacre définitivement l'attachement de Bernard au bureau d'hygiène puisqu'il apparaît sous le terme d'" agent de service " 1083 mais il ne définit toujours pas ses attributions. Il semble que Bernard, en plus de ses fonctions de coursier responsable au laboratoire, effectue les enquêtes sur les immeubles insalubres 1084 .

La réaction du commissaire de police à l'annexion de l'un de ses employés nous est inconnue. Son prédécesseur avait demandé au maire, dans un rapport confidentiel, s'il ne serait pas possible " de refuser certains services que la police municipale n'est pas tenue d'assurer " 1085 . Et de prendre comme exemple l'agent de police affecté au service de l'assistance publique. Son successeur continue de déplorer l'" abus qui consiste à se servir du personnel de la police suivant les besoins du moment et l'occuper à des besognes pour lesquelles il n'est nullement désigné " 1086 , mais il adopte une attitude nettement plus positive à l'égard des agents employés par l'assistance publique et le bureau d'hygiène. Il propose au maire de Grenoble de consacrer définitivement leur détachement par le transfert de leur traitement du budget de la police à celui des services concernés. Cette mesure devait, selon le commissaire de police, mettre fin à " l'injustice " faite à Bernard et à son collègue de l'assistance : ne pouvoir prétendre à l'avancement réservé aux agents en service actif alors que " dans leurs attributions propres, ils peuvent se faire apprécier et mériter une récompense " 1087 . Il faut dire aussi, mais on reste dans le domaine de l'hypothèse, que cette mesure pouvait permettre au commissaire de police de réclamer, sur des bases plus justes, une augmentation des effectifs de son service dont il avait toujours déploré l'insuffisance 1088 . Le commissaire n'obtiendra satisfaction qu'en 1909 lorsque le traitement d'Auguste Bernard sera transféré au bureau d'hygiène 1089 .

L'adjonction d'un médecin-inspecteur supplémentaire va de pair avec l'autonomisation de la fonction directoriale. Le docteur Bordier est en effet dégagé des services communs (inspection médicale des écoles, soins au personnel municipal, service médical des indigents) et de la vaccination qui échoient à Joseph Roux 1090 . Cette nouvelle organisation est directement liée à la démission de Fernand Berlioz et peut-être aussi à l'application de la loi de 1902. Arthur Bordier n'était pas en effet le seul candidat, si tant est qu'il ait pu l'être, à la direction du bureau d'hygiène 1091 ; Joseph Roux, tout juste nommé médecin-inspecteur suppléant pour le canton Est 1092 , avait également sollicité du maire la direction du service. Il obtient, le 6 novembre 1902, sa titularisation comme médecin-inspecteur du canton Est, spécialement chargé de la vaccination 1093 . Le docteur Bordier avait ainsi les mains libres pour se consacrer à la réorganisation du bureau d'hygiène en application de la loi de 1902. En attendant, le traitement de Berlioz était réparti entre les deux nouveaux venus : Bordier, comme directeur, recevait une indemnité de 1 200 francs tandis que Roux percevait 700 francs 1094 .

Le règlement de 1903 entérine donc cette organisation provisoire et reconnaît la spécificité de la fonction directoriale 1095 . D'ailleurs, en 1904, la rémunération de Bordier était portée à 2 000 francs ; le progrès est modeste - la rétribution du directeur reste toujours inférieure à celle des autres chefs de service - mais réel car l'indemnité de Berlioz s'élevait à 1 300 francs. Pour autant, le statut du personnel médical reste inchangé 1096 . Leur rémunération ne connaît pas d'évolution, Bordier et Roux ne cotisent pas à la caisse de retraites des employés municipaux et exercent, de même que les autres médecins-inspecteurs, des activités parallèles. Arthur Bordier continue de diriger l'école de médecine et de pharmacie de Grenoble, où il enseigne l'histoire naturelle, tandis que Joseph Roux est chef de clinique chirurgicale dans ce même établissement 1097 .

Un gardien de la paix pour les immeubles insalubres, un médecin-inspecteur supplémentaire pour la vaccination, le nouveau personnel du bureau d'hygiène est justement chargé des deux attributions que la loi du 15 février 1902 transfère de la commune au département. La coïncidence est trop troublante pour n'être point relevée. Ne peut-on pas y déceler une certaine volonté de la part du docteur Bordier, non pas de conserver - il ne peut guère faire autrement - mais d'affirmer les prérogatives du bureau d'hygiène dans ces deux domaines ? Le traitement de ces questions par le règlement de 1903 semble aller dans ce sens.

Notes
1077.

AMG, 5 I 3 : Article 2 du règlement du 31 décembre 1903.

1078.

AMG, Budget de la ville de Grenoble pour l'exercice 1904.

1079.

AMG, 1 I 1 : Rapport du commissaire central de police au maire de Grenoble sur le service de la police municipale pour l'année 1899

1080.

AMG, 5 I 1 : Rapport du docteur Bordier au maire de Grenoble sur la réorganisation du laboratoire municipal d'analyses, 20 juin 1903.

1081.

Ibid.

1082.

AMG, 390 W 16 : Annuaire du bureau d'hygiène pour l'année 1903. Cette façon de procéder permet, selon les dires du docteur Bordier, d'éviter les erreurs et les indiscrétions.

1083.

AMG, 5 I 3 : Article 2 du règlement du 31 décembre 1903.

1084.

C'est en tout cas ce qu'il ressort du rapport de l'Inspecteur général des services administratifs rédigé en 1908 sur l'organisation du bureau d'hygiène de Grenoble. ANF, MS 820 279/9 : Rapport de l'inspecteur général des services administratifs au ministre de l'Intérieur sur le bureau d'hygiène de Grenoble, 20 août 1908.

1085.

AMG, 2 K 265 : Rapport confidentiel du commissaire central de police au maire de Grenoble, 24 août 1900

1086.

AMG, 1 I 1 : Rapport du commissaire central de police sur le service de la police municipale pour l'année 1903. Il venait de prendre pour exemple la distribution à domicile de 20 000 cartes électorales par les agents de police.

1087.

AMG, 1 I 1 : Rapport du commissaire central de police sur le service de la police municipale pour l'année 1904.

1088.

Ibid et rapport pour l'année 1903.

1089.

AMG, Budget de la ville de Grenoble pour l'exercice 1909 et 390 W 39 : Arrêté municipal du 12 mai 1909.

1090.

AMG, DP 1169 : Lettre du maire de Grenoble au docteur Bordier, 6 novembre 1902.

1091.

Nous n'avons pas trouvé trace de son éventuelle candidature.

1092.

AMG, 390 W 39 : Arrêté municipal du 2 septembre 1909. La nomination de Joseph Roux comme médecin suppléant du bureau d'hygiène avait pour but de pallier le décès du docteur Giraud survenu en 1899, médecin suppléant du canton Nord. Depuis cette date, les suppléants du bureau d'hygiène n'étaient plus qu'au nombre de deux : Comte, qui avait remplacé Giraud pour le canton Nord et Guédel, toujours en charge du canton Sud. La suppléance du canton Est était donc vacante. Il faut néanmoins noter que la titularisation de Roux entraîne une nouvelle vacance du canton Est, à laquelle il ne sera remédier qu'en 1913 !

1093.

AMG, DP 4300 : Lettre du maire de Grenoble au docteur Roux, 6 novembre 1902.

1094.

AMG, Budget de la ville de Grenoble pour l'exercice 1903.

1095.

AMG, 5 I 3 : Articles 2 et 4 du règlement du 31 décembre 1903.

1096.

AMG, 2 K 301- 302 : Registres des traitements des employés communaux, 1902-1907.

1097.

AMG, DP 4300 : Etat des services du docteur Roux.