b. La voie de la normalisation administrative

La réforme du 20 décembre 1907 renforce l'inspection générale des services administratifs dans deux directions. Elle élargit tout d'abord ses compétences à l'ensemble des services du ministère de l'Intérieur. Le corollaire en est la disparition des services de contrôle spécialisés, comme les contrôleurs généraux de la sûreté et bien sûr l'inspection générale des services sanitaires, qui se trouvent intégrés à la nouvelle inspection générale 1243 . Les anciens inspecteurs des services sanitaires, Paul Faivre et Maurice Winter, deviennent inspecteurs adjoints des services administratifs tandis qu'André Chantemesse et Jules Reneaut sont nommés conseillers sanitaires techniques au ministère de l'Intérieur pour les épidémies 1244 . A dire vrai, les frontières entre les deux inspections ne devaient pas être tellement étanches puisqu'Albert Bluzet avait déjà intégré l'inspection générale des services administratifs en 1906 1245 . Par ailleurs, nous supposons que des liens avaient déjà pu se tisser entre certains inspecteurs généraux des services administratifs et ceux des services sanitaires, par leur appartenance commune à des institutions périphériques ou à des sociétés savantes. Ainsi, Henri Napias, inspecteur général des services administratifs entre 1889 et 1898, pouvait, par exemple, côtoyer Adrien Proust au Comité consultatif d'hygiène publique, à l'Académie de médecine ou encore à la Société de médecine publique et d'hygiène professionnelle, dont il fut le secrétaire général de 1878 à 1898 quand Proust en assumait la présidence annuelle en 1884 1246 .

La seconde modification apportée par le décret du 20 décembre 1907 à l'organisation de l'inspection générale concerne le cadre statutaire de ses membres. Leur nombre est désormais fixé à vingt dont au moins " deux docteurs en médecine ou techniciens d'une compétence spéciale en matière publique ou de service sanitaire " 1247 . Les inspecteurs généraux et les inspecteurs généraux adjoints sont répartis désormais en classes auxquelles correspondent des traitements spécifiques relevés 1248 . Les conditions de leur nomination sont également modifiées. Alors que, jusqu'en 1907, le recrutement était, malgré quelques règles générales, largement discrétionnaire, un concours est institué pour les inspecteurs généraux adjoints, qui constituent l'unique vivier des inspecteurs généraux 1249 . En fait, le concours pérennise, plus qu'il ne modifie, le profil des fonctionnaires de l'inspection générale : ces derniers proviennent dans leur majorité de l'administration centrale et sont docteurs en droit 1250 . Mais ce qu'il nous faut justement relever est que le contrôle des services de l'hygiène publique et de l'application de la loi du 15 février 1902 va désormais être effectué non plus seulement par des médecins mais aussi par des spécialistes de l'organisation administrative.

L'intégration de l'inspection générale des services sanitaires au sein de l'inspection générale des services administratifs ne visait pas seulement à étendre la compétence de cette dernière. Elle avait également pour objectif de poursuivre la mise en oeuvre de la loi du 15 février 1902 dans de meilleures conditions grâce à l'application des méthodes de l'inspection des services administratifs au domaine sanitaire.

Quelques mois auparavant, le ministre de l'Intérieur avait relevé, dans un discours, les progrès qu'il fallait encore accomplir pour convaincre les municipalités, les conseils généraux et la population de l'utilité et de la nécessité des prescriptions de la loi de 1902 1251 . Le rapport qu'il adressait au Président de la République à la fin de l'année 1907 n'était pas plus optimiste : " Cette législation rencontre, en maints endroits, par suite de la nouveauté de ses principes et du peu de développement de l'éducation sanitaire de notre pays, soit une opposition ouverte, soit une force d'inertie plus dangereuse encore" 1252 . Et de poursuivre sur les moyens de remédier à cette situation : " L'oeuvre à entreprendre doit donc consister à contrôler l'application de la loi, mais aussi à aider à sa mise en vigueur, à donner sur tous les points du territoire, l'impulsion nécessaire pour qu'elle ne reste pas lettre-morte, et ce ne sera pas trop d'une inspection coordonnée, permanente et méthodique pour obtenir ce résultat " 1253 . Or, telle qu'elle était organisée, l'inspection générale des services sanitaires ne pouvait répondre à cette mission : " Deux de ses membres sont spécialisés, l'un pour le contrôle du service sanitaire dans les ports, l'autre pour l'application de la loi de 1902 sur la santé publique. Les deux autres, bien que portant le titre d'inspecteurs, ne font pas d'inspections régulières. Leur rôle consiste surtout à donner des avis sur des questions techniques concernant les mesures à prendre contre certaines épidémies ou menaces d'épidémies et à exécuter certaines missions spéciales ayant trait au même objet " 1254 . Pour Clémenceau, la solution "rationnelle" devait alors passer par l'intégration de l'IGSA à l'IGSA, organisme possédant une bonne expérience en matière de contrôle des service. " Il est essentiel en effet, avait-il dit, que le contrôle des différents services administratifs de ministère de l'Intérieur s'inspire du même esprit et procède des mêmes méthodes, si l'on veut qu'il donne des résultats comparables, tant pour la répression des abus que pour la généralisation de meilleures pratiques administratives " 1255 .

Les conditions de contrôle de l'application de la loi du 15 février 1902 par l'administration centrale vont ainsi être transformées. Celui-ci n'est plus seulement exercé sur pièces, à partir des renseignements fournis par les préfectures, mais aussi sur place. Reprenant les méthodes de l'ancienne IGSA, le décret du 20 décembre 1907 1256 prévoit en effet l'organisation de tournées individuelles pour les inspecteurs généraux. Leurs observations sont ensuite présentées et discutées en comité des inspecteurs, puis, un rapport d'ensemble est établi et publié au Journal Officiel.

Trois tournées vont être organisées successivement à partir de 1908 1257 . La première est particulièrement intéressante puisqu'elle porte sur l'organisation des assemblées sanitaires, des bureaux d'hygiène et des services départementaux d'inspection ainsi que sur les mesures contre les maladies contagieuses, la réglementation sanitaire communale et l'assainissement d'office des communes. Et c'est ainsi, qu'en 1908, le département de l'Isère, et plus particulièrement la ville de Grenoble, reçoit la visite de l'inspecteur général Paul Faivre 1258 .

Le cadre normatif instauré par les textes ministériels de 1905 et de 1906, la réforme de la DAHP et de l'inspection générale constituent autant de manifestations de la volonté du pouvoir central de reprendre en main l'hygiène locale. Celle-ci est d'autant plus forte qu'il existe un lien physique entre la préparation des directives ministérielles et le contrôle de leur application : on le trouve en la personne d'Albert Bluzet. Secrétaire adjoint du Comité consultatif d'hygiène publique, il prépare avec André-Justin Martin les projets de règlements des bureaux municipaux d'hygiène ; rédacteur principal à la DAHP, il a certainement participé à l'élaboration des premiers décrets et circulaires ministérielles ; inspecteur général, il contrôle l'application de la loi du 15 février 1902 et rédige le rapport d'ensemble de la première tournée de l'IGSA en 1908. Sans vouloir donner trop d'importance à ce personnage, sur lequel nous avons peu d'informations 1259 , d'autant plus qu'il n'est pas le seul intervenant, on peut néanmoins remarquer que le bilan de la mise en oeuvre de la législation sanitaire est rédigé par quelqu'un qui en a préparé les textes d'application 1260 . Il reste à savoir comment cette reprise en main du pouvoir central va s'exercer concrètement au niveau local et pour cela, il nous faut retourner dans le département de l'Isère.

Notes
1243.

Ibid., p. 496.

1244.

Rapport de Georges Clémenceau sur la réorganisation de l'IGSA et son application aux services de l'hygiène, 20 décembre 1907. RTOSP, Tome IV, p. 423 ; Organigramme des services sanitaires du ministère de l'Intérieur, Recueil des travaux du CCHPF, Tome 38, 1908, p. 12 et Liste des inspecteurs généraux des services administratifs en 1908, Bulletin officiel du ministère de l'Intérieur, 1908, pp. V-VI.

1245.

Albert Bluzet n'apparaît plus comme inspecteur général adjoint des services sanitaires dans l'organigramme des services d'hygiène du ministère de l'Intérieur de 1906 ; il figure en revanche parmi les inspecteurs généraux des services administratifs en 1907. Recueil des travaux du CCHPF, Tome 36, 1906, p. 12 et Bulletin officiel du ministère de l'Intérieur, 1907, p. V-VI.

1246.

D'après les renseignements donnés par Lion MURARD et Patrick ZYLBERMANN, L'hygiène dans la République..., op. cit., chapitre 1. L'inspecteur général des services administratifs Gustave Drouineau et l'inspecteur des services sanitaires Fauvel faisaient également parti de la Société de médecine publique et d'hygiène professionnelle.

1247.

Article 6 du décret du 20 décembre 1907 qui donne par ailleurs la composition de l'inspection générale: 8 inspecteurs généraux, 9 inspecteurs généraux adjoints et 3 inspectrices générales. RTOSP, Tome IV, p. 426.

1248.

Quatre classes pour les inspecteurs généraux dont les traitements varient entre 8 000 et 14 000 francs et trois classes pour les inspecteurs généraux adjoints dont le traitement est compris entre 5 000 et 7 000 francs. Articles 7 et 8 du décret du 20 décembre 1907.

1249.

Marie VOGEL, op. cit., p. 498.

1250.

Ibid., pp. 501-502.

1251.

Georges CLEMENCEAU, " Organisation de l'hygiène publique en France ; bureaux municipaux d'hygiène ; services publics de désinfection", Discours prononcé le 27 avril 1907 devant la commission de préservation de la tuberculose, Recueil des travaux du CCHPF, Tome 37, 1907, pp. 28-33.

1252.

Rapport de Georges Clémenceau sur la réorganisation de l'inspection générale des services administratifs et son application aux service d'hygiène. RTOSP, Tome IV, p. 422.

1253.

Ibid.

1254.

Ibid., p. 423.

1255.

Ibid., p. 422.

1256.

Articles 2 et 5 du décret du 20 décembre 1907. RTOSP, Tome IV, pp. 425-426.

1257.

Albert BLUZET, " Loi du 15 février 1902 : application. Rapport présenté à M. le Président du Conseil par l'IGSA en exécution de l'article 5 du décret du 20 décembre 1907 ", Recueil des travaux du CCHPF, Tome 39, 1909, pp. 251-234 ; Albert BLUZET, " Loi du 15 février 1902 : application. Services départementaux de vaccination et de désinfection. Rapport présenté à M. le Président du Conseil par l'IGSA en exécution de l'article 5 du décret du 20 décembre 1907 ", Recueil des travaux du CCHPF, Tome 40, 1910, pp. 220-275 ; Paul FAIVRE, " Services municipaux de désinfection. Rapport adressé par l'IGS à M. le ministre de l'Intérieur à la suite de sa tournée d'inspection de 1911 ", Revue pratique d'hygiène municipale, Tome 8, 1912, pp. 530-544.

1258.

AMG, 5 I 3/4 : Lettre du maire de Grenoble au préfet de l'Isère, 20 août 1908. Nous reparlerons de la visite de Paul Faivre à Grenoble dans la partie suivante.

1259.

Il existe aux archives nationales un dossier personnel d'un certain Bluzet, mais il ne s'agit pas d'Albert. D'après Didier Renard, un autre dossier existe mais il est vide !

1260.

Une analyse similaire est faite par Didier Renard sur le rôle d'Edouard Campagnole, sous-chef du 3° bureau de la DAHP, dans l'application de la loi de 1893 sur l'assistance médicale gratuite. " La Direction de l'Assistance publique...", op. cit., pp. 12-13.