b. Un engagement mesuré

Acculé alors au système de la gestion directe, le préfet de l'Isère prépare un nouveau règlement répondant aux voeux du ministère. Celui-ci est avalisé par la DAHP et adopté par le conseil général le 29 septembre 1908 1404 .

Vingt-cinq postes de désinfection 1405 sont établis dans le département : ils sont installés dans les mairies, les sous-préfectures, quelquefois au domicile même des chefs de poste. Leur répartition couvre davantage l'Est montagneux alors que le système des hôpitaux laissait cette région quelque peu en souffrance 1406 . Chaque station est dirigée par un chef de poste, assisté, dans chaque commune, par un agent secondaire indemnisé à hauteur de 3 francs par désinfection. Pour le reste, le règlement reproduit fidèlement les passages du décret de juillet 1906 sur le fonctionnement du service et fixe les taxes à la charge des usagers à 3 % de la valeur locative du logement dans les communes de moins de 5 000 habitants et à 2,5 % pour les communes dont la population est comprise entre 5 000 et 20 000 habitants. Le même tarif est appliqué pour les désinfections non obligatoires et il s'élève à 5 francs par 100 mètres cubes pour les établissements scolaires ou charitables.

Si le département de l'Isère a finalement adopté le système de la gestion directe, il n'en fait pas moins preuve d'un engagement minimum. En témoigne la rémunération des chefs de postes : ces derniers perçoivent une modeste indemnité annuelle de 200 francs alors que le conseil d'hygiène ne la voulait pas inférieure à 125 francs par mois 1407 . En 1912, le conseil général leur attribue une rétribution supplémentaire de 3 francs par désinfection à partir de 20 opérations 1408 . Dès lors, on peut se demander si une rémunération aussi modeste est réellement compatible avec les prescriptions de la circulaire ministérielle du 18 mars 1907 : " disposer du temps nécessaire suivant les besoins de chaque circonscription sinon pour se consacrer exclusivement au service, du moins pour être toujours prêts à procéder sans délai aux mesures qu'il comporterait sur un point quelconque de cette circonscription " 1409 . L'absence d'informations sur le profil de la presque totalité des chefs de poste ne permet pas de répondre à la question de manière sûre. Mais la situation du responsable de la station de Grenoble 1410 , qui couvre quatre cantons, montre qu'il est permis d'en douter. Celui-ci est en effet un employé de l'inspection départementale de l'assistance et de l'hygiène publiques, plus spécialement affecté aux questions de désinfection. Au moins, est-il un bon connaisseur du dossier !

Les délégués des commissions sanitaires de circonscription ne sont pas mieux lotis. La circulaire ministérielle du 18 mars 1907 engageait les autorités locales à leur attribuer une " rémunération proportionnée " à leur responsabilité ainsi que des frais de déplacement. Des deux propositions, le conseil général de l'Isère a choisi seulement la seconde 1411 .

Il n'a pas fait preuve de davantage de générosité dans l'équipement des stations de désinfection. Si celles-ci disposent du matériel nécessaire à la désinfection en surface 1412 , il n'en est pas de même pour la désinfection en profondeur. Les chefs de poste utilisent en effet, pour la pratiquer, des solutions de crésylol sodique dans laquelle ils immergent les effets du malades 1413 . Le procédé est efficace et il est recommandé par le CCPHF, mais toujours par défaut lorsqu'il s'agit de désinfecter les objets de literie 1414 . Dans ce cas, l'étuve est infiniment préférable. Or, les postes de désinfection n'en possèdent pas. La DAHP s'en émeut et invite en 1910 le conseil général à solutionner " dans le moindre délai " la question de la désinfection en profondeur par l'acquisition d'appareils appropriés 1415 . La réponse se fait cinglante : " Il est exact qu'autour du ministère gravitent quantité d'inventeurs qui cherchent à faire imposer aux départements des appareils coûteux et inutiles. Et je propose de refuser non seulement le crédit qui nous est demandé actuellement, mais tous ceux du même genre qu'à l'avenir le ministère cherchera à nous imposer " 1416 . Il est vrai que le préfet avait dressé un tableau plutôt apocalyptique des conséquences du projet ministériel pour les finances départementale : une première mise de fonds de 27 500 francs pour l'achat des étuves à laquelle s'ajouteraient les frais de transport et de remisage, sans compter le relèvement des indemnités des chefs de poste que ceux-ci ne manqueraient pas de réclamer 1417 . L'attitude du conseil général n'était pas moins sage si l'on tient compte de la configuration topographique du département 1418 .

Les autorités iséroises ont hésité un certain temps avant d'admettre, du bout des lèvres et sous la pression du ministère de l'Intérieur, le système de la gestion directe. Elles lui ont préféré, dans un premier temps, des organisations qui n'impliquaient que très modérément le département et notamment au niveau financier. Un tel comportement n'est pas isolé ; Lion Murard et Patrick Zylberman fournissent des exemples éloquents de ces services publics de désinfection " livré(s), comme on l'a tenté de divers côtés dans le début, soit à une entreprise commerciale privée, soit à un syndicat des pharmaciens " 1419 . Du reste, les formules de gestion déléguée n'étaient pas si aberrantes ; elles ne faisaient finalement que reprendre les propositions initiales du CCHPF et de la DAHP dans la préparation du décret du 10 juillet 1906.

Notes
1404.

ADI, PER 56-105 : CG/RP, août 1908 et CG/PVD, séance du 29 septembre 1908.

1405.

ADI, PER 56-105 : CG/RP, août 1908. Règlement du service départemental de la désinfection.

1406.

Cf. Annexe n°29.

1407.

ADI, PER 56-105 : CG/RP, août 1908. Règlement du service départemental de la désinfection et PER 56-103 : CG/IDHAP pour l'année 1907. Rapport du docteur Girard sur l'organisation du service départemental de la désinfection, approuvé par le conseil d'hygiène départemental le 7 juin 1907.

1408.

ADI, PER 56-112 : CG/PVD, séance du 17 avril 1912.

1409.

Circulaire ministérielle du 18 mars 1907 relative à l'organisation des services départementaux et municipaux de désinfection. RTOSP, Tome IV, pp. 301-308. L'indemnité semble d'autant plus modeste que la désinfection n'est pas sans risque pour celui qui la pratique, le désinfecteur pouvant très bien, à cette occasion, contracter une maladie contagieuse.

1410.

ADI, 37 M 1 : IDAHP, Notice individuelle de proposition pour l'obtention d'une médaille d'honneur de l'hygiène publique à Jean Genin, 15 juin 1914.

1411.

ADI, PE 56-103 : CG/PVD, 23 août 1907.

1412.

Les stations sont équipées de fumigators Gonin, sortes de cartouches de trioxyméthylène qui en s'enflammant dégagent des vapeurs de formol. ADI, PER 56-105 : CG/PVD, séance du 29 septembre 1908 et PER 56-111 : CG/IDAHP pour l'année 1910.

1413.

Ibid.

1414.

Instructions générales relatives à la désinfection, approuvées par le Conseil supérieur d'hygiène le 18 février 1907 et Instructions prophylactiques du 25 juillet 1907 applicables aux maladies se manifestant principalement par des symptômes intestinaux ou gastro-intestinaux (application des articles 14 et 17 du règlement d'administration publique du 10 juillet 1906). RTOSP, Tome IV, pp. 284-298 et 347-356.

1415.

ADI, PER 56-109 : CG/RP, septembre 1910. Lettre de la DAHP au préfet de l'Isère, 18 juin 1910.

1416.

ADI, PER 56-109 : CG/PVD, séance du 17 septembre 1910. Intervention du conseiller général Léon Périer.

1417.

ADI, PER 56-109 : CG/RP, septembre 1910.

1418.

Sans aller jusqu'à féliciter le conseil général pour son esprit visionnaire, notons que l'efficacité de la désinfection est contestée par quelques hygiénistes, dont certains de renom. A la fin des années 1920, la pratique est définitivement reconnue sans valeur en France. Lion MURARD, Patrick ZYLBERMAN, L'hygiène dans la République..., op. cit., pp. 322-324.

1419.

Ibid., p. 127. La formule est de Léon Mirman. Voir aussi, pp. 319-320 du même ouvrage.