1. Des dépenses sanitaires plus diversifiées

La répartition des dépenses sanitaires du département de l'Isère reflète le rôle qui est dévolu au préfet et au conseil général par la loi de 1902 : fournir aux communes des moyens de défense contre les maladies épidémiques par l'organisation des services de vaccination et de désinfection, mais également encadrer l'hygiène communale grâce à l'inspection sanitaire.

Tableau n° 15 : Evolution structurelle des dépenses sanitaires départementales (en francs, 1870-1914)
  Vaccine et sérothérapie Conseils d'hygiène Epidémies et inspection sanitaire Désinfection Inspection (administration générale) Participation aux services communaux
1870-1878 2 411 294 678      
1879-1890 11 000 417 383      
1891-1896 16 650 367 300      
1897-1904 18 456 300 300 2 000    
1905-1907 19 000 2 000 8 530 10 000 4 700  
1908-1910 19 000 2 000 8 530 40 000 5 000 4 550
1911-1914 21 500 2 000 9 000 39 000 6 000 6 000

Sources : ADI, 3 N 19/7 à 3 N 19/17 : Budgets départementaux des recettes et des dépenses, 1870-1914.
N.B. : Les dépenses de vaccination pour les périodes 1879-1890 et 1891-1896 ne sont qu'une estimation.

La lutte contre les épidémies reste, tout au long de la période, l'axe privilégié de l'intervention sanitaire départementale. Jusqu'en 1908, la vaccine est le poste de dépenses dominant mais les augmentations les plus importantes se situent avant la mise en oeuvre de la loi du 15 février 1902. En effet, la réforme de 1879 entraîne une multiplication par 4,6 des crédits consacrés à ce service tandis que celle de 1891 se traduit par une hausse de 51,4 %. A partir de cette date, la progression des dépenses se fait dans des proportions plus modérées ; elle est liée, d'une part, à l'apparition en 1897 de la subvention à l'institut sérothérapique pour la fourniture du sérum antidiphtérique (1500 francs) et, d'autre part, aux augmentations ponctuelles du traitement du conservateur départemental du vaccin 1512 . L'application de la loi du 15 février 1902 n'a aucune incidence sur les dépenses du service, qui ne subit pas de restructuration. Cependant, l'ouverture de nouveaux crédits et l'augmentation de plus anciens contribuent à diminuer la part de la vaccine dans les dépenses d'hygiène départementales : de 87,6 % en 1897-1904, celle-ci tombe à 43 % au cours de la période suivante, puis à 25,7 % à la veille de la guerre.

Le relais est alors pris par le service de la désinfection. Entre 1907 et 1908, celui-ci voit ses crédits multipliés par quatre. Il devient alors le premier poste de dépenses et représente 50,6 % des dépenses sanitaires départementales 1513 . La hiérarchie est un peu plus lente à se modifier si l'on considère les dépenses réelles. Il faut en effet attendre 1912 pour que les crédits de la désinfection soient supérieurs à ceux de la vaccination, l'écart s'élargissant de manière notable l'année suivante 1514 .

Face à ces importants postes de dépenses, les institutions chargées de la surveillance générale des conditions sanitaires du département occupent d'abord une place très limitée. Représentées par les conseils d'hygiène jusqu'en 1904, leur part dans les dépenses sanitaires départementales ne fait que diminuer, passant de 8,7 % en 1870-1878 à 1,4 % en 1897-1904. La mise en application de la loi du 15 février 1902 entraîne une multiplication par 6,6 des crédits affectés aux conseils d'hygiène, mais leur poids dans le budget sanitaire reste limité : il est de 4,5 % en 1905-1907 et de 2,4 % pour les années 1908-1910.

Le véritable changement apparaît avec la mise en place de l'inspection départementale, instrument essentiel de la surveillance de l'hygiène communale. Composée d'un service administratif et de médecins cantonaux (inspection sanitaire), celle-ci absorbe, en 1905-1907, le tiers des crédits. Puis son poids diminue autour de 16-17 % avec l'augmentation des dépenses de désinfection à partir de 1908. Cette baisse relative touche d'ailleurs les deux parties de l'inspection : la part du service administratif passe de 10,6 % en 1905-1907 à 6-7 % en 1908-1914, tandis que celle de l'inspection sanitaire diminue de 19,3 % à 10,8 %. Il faut enfin noter que la contribution du département au fonctionnement des services sanitaires municipaux pèse relativement lourd : le crédit est équivalent, en valeurs absolue et relative, à celui consacré à l'inspection dans sa partie administrative.

Entre 1890 1515 et 1914, les dépenses sanitaires de la ville de Grenoble se répartissent entre quatre postes principaux : le bureau d'hygiène, le laboratoire municipal, le service de désinfection et les subventions diverses. Ces dernières se composent de la subvention allouée à l'institut vaccinogène et sérothérapique ainsi que du contingent municipal aux dépenses d'hygiène publique départementales. Nous y avons ajouté, un peu arbitrairement, les maigres frais de fonctionnement de la commission des logements insalubres 1516 , qui apparaissent à partir de 1903.

Graphique n° 10 : Evolution structurelle des dépenses d'hygiène de la ville de Grenoble (1890-1914)
Graphique n° 10 : Evolution structurelle des dépenses d'hygiène de la ville de Grenoble (1890-1914)

Sources : AMG, Budgets de la ville de Grenoble, 1890-1914.

Dès sa création, le bureau d'hygiène absorbe la majorité des crédits sanitaires. Entre 1890 et 1914, ses dépenses ont été multipliées par 2,6, essentiellement grâce aux réorganisations de 1903-1904 et de 1909-1910. En dehors de ces pics de progression, les fluctuations, plutôt à la hausse, sont liées aux évolutions des traitements du personnel. Celles-ci concernent davantage le personnel administratif (direction et employés) que les médecins-inspecteurs, qui ne voient leurs indemnités augmenter qu'à l'occasion des restructurations du service 1517 . D'ailleurs, la part qui leur est consacrée dans les dépenses du bureau d'hygiène diminue - de 58,3 % en 1890 à 29 % en 1914 - au profit de celle du personnel administratif, qui passe aux mêmes dates de 35 % à 61,9 %, signe d'un renforcement de la structure bureaucratique. La forte croissance de ses ressources financières n'empêche pas le bureau d'hygiène de voir son poids diminuer régulièrement au sein du budget sanitaire grenoblois. En 1890, ses crédits représentaient 81,1 % des dépenses ; la proportion tombe à 41 % à la veille de la guerre. Entre-temps, d'autres postes de dépenses sont apparus ou ont pris davantage d'importance.

Le laboratoire, auquel nous avons agrégé les maigres frais de l'inspection des champignons 1518 , en est le premier exemple. Il voit, entre 1890 et 1914, ses ressources multipliées par cinq, progression imputable à sa réorganisation de 1908. En effet, l'agrément qu'il obtient du ministère pour la répression des fraudes alimentaires et agricoles fait grimper ses crédits de 243 %. La hausse continue ensuite de façon presque régulière 1519 , mais dans des proportions beaucoup plus modérées. En 1914, le laboratoire représente 24 % des crédits sanitaires.

La subvention que la ville de Grenoble verse à l'établissement vaccinogène et sérothérapique ainsi que sa participation aux dépenses d'hygiène départementales connaissent une évolution presque similaire. Deux pics de progression sont en effet repérables. Le premier intervient en 1897, peu après que l'institut vaccinogène eut décidé d'ajouter la fabrication du sérum antidiphtérique à celle du cow-pox 1520 . La subvention municipale passe ainsi de 300 francs à 4 300 francs. La seconde augmentation de ce poste de dépenses, en 1909, est liée à l'apparition du contingent communal aux dépenses sanitaires départementales. Evalué au départ à 3 400 francs, celui-ci augmente à 4 500 francs en 1911, puis retombe à 4 000 francs deux ans plus tard. Ces fluctuations expliquent les variations de la courbe dans l'immédiate avant-guerre.

Dernier poste de dépenses, la désinfection est représentée, pendant une quinzaine d'années, par une subvention de 1 500 francs versée par la ville à l'hôpital. Les crédits commencent à augmenter lorsque le service devient municipal à partir de 1909. Ils progressent alors de 73,3 % mais le poids de la désinfection reste limité 1521 . La hausse de 1911-1913 est plus significative : les crédits croissent de 156,9 % et le service pèse deux fois plus lourd dans le budget de l'hygiène. En 1914, il talonne de très près le poste "subventions-contingent " : 16, 6 % contre 18,5 %.

Les données que nous avons recueillies pour la ville de Vienne ne permettent pas d'être très précis dans l'analyse de la structure des dépenses sanitaires. Tout d'abord, ce qui apparaît à Grenoble sous les termes de " contingent pour les dépenses départementales de santé publique " est dénommé à Vienne " emploi de la subvention du département pour la protection de la santé publique ", ce qui recouvre a priori deux réalités différentes. Ensuite, les dépenses d'hygiène de la commune ne sont vraiment détaillées que pour l'année 1910, ce qui interdit d'en mesurer l'évolution. L'hypothèque n'est du reste pas bien grande puisque, jusqu'en 1914, les dépenses du bureau d'hygiène et du service de la désinfection varient très peu 1522 , les fluctuations des crédits sanitaires que nous avons constatées dans le graphique n° 6 étant surtout imputables à l'" emploi de la subvention du département ". C'est pourquoi, nous nous sommes limités à une présentation de la répartition des dépenses sanitaires en 1910.

Tableau n° 16 : Répartition des dépenses d'hygiène de la ville de Vienne en 1910
  Dépense en francs %
Bureau d'hygiène dont : 5330 69,2
* Traitements du personnel 5160  
* Frais de bureau 170  
Désinfection dont : 1170 15,2
* Indemnités aux employés de la désinfection 420  
* Achats de désinfectants et de vaccin 750  
Emploi de la subvention du département pour la protection de la santé publique 1200 15,6
Total des dépenses 7700 100

Source : ACV, 2 L 3 : Budget ou état des recettes et des dépenses de la ville de Vienne, 1910.

Comme à Grenoble, le bureau d'hygiène absorbe la plus grande partie des crédits sanitaires viennois, mais dans des proportions plus importantes 1523 . Le reste se répartit équitablement entre la désinfection et l'" emploi de la subvention du département ". Si la désinfection pèse relativement aussi lourd que dans le chef-lieu, l'organisation en est sensiblement différente. Le service ne s'appuie pas sur un personnel spécial mais sur l'utilisation d'agents déjà occupés à d'autres fonctions. Les fonctions de chef de poste sont ainsi remplies par le secrétaire du bureau d'hygiène tandis que les auxiliaires appartiennent au service de la voirie 1524 . Cette organisation explique la modicité de la somme consacrée à la rémunération du personnel. Compte tenu des incertitudes qui pèsent sur la signification de la dernière composante des dépenses d'hygiène de la ville, on hésite à la commenter. Si celle-ci correspond au contingent communal pour les dépenses de santé départementales, on peut simplement constater que son poids est plus élevé à Vienne (15,6 %) qu'à Grenoble (10,5 % en 1910).

L'évolution de la répartition des dépenses sanitaires départementales et municipales révèle la diversification et la consolidation des interventions des collectivités locales. De nouveaux postes de dépenses apparaissent, tandis que des secteurs plus anciens voient leurs crédits s'accroître dans des proportions variables. La loi du 15 février 1902 a une responsabilité non négligeable dans ce processus. Elle a entraîné l'organisation ou la restructuration des services, ce qui s'est traduit par le recrutement d'un personnel plus nombreux.

Notes
1511.

Les postes départementaux de dépenses sanitaires étant relativement nombreux, la présentation en tableau s'est révélée préférable.

1512.

ADI, 114 M 1 : Arrêtés préfectoraux relatifs à l'augmentation du traitement du conservateur départemental du vaccin, 16 février 1893 et 26 février 1900.

1513.

Il en est ainsi dans la plupart des départements. Olivier FAURE, Les Français et leur médecine..., op. cit., p. 256.

1514.

En 1912, les dépenses réelles de vaccination s'élèvent à 20 225 francs tandis que celles de la désinfection se montent à 23 285 francs. En 1913, les premières stagnent à 19 236 francs tandis que les secondes grimpent à 32 630 francs.

1515.

La répartition des dépenses d'hygiène que nous avons adoptée, et qui suit globalement la structure du budget sanitaire grenoblois, nous a incité à construire notre graphique à partir de la création du bureau d'hygiène. La composition des dépenses antérieures à 1890 a d'ailleurs déjà été évoquée. Cf. infra, pp. 344-345.

1516.

Soit 50 francs entre 1903 et 1910.

1517.

Soit en 1901 (création de l'inspection médicale de l'asile Gerin), en 1903 (transfert de la vaccination du directeur à l'un des médecins-inspecteurs) et en 1909-1910 (réorganisation générale du bureau d'hygiène). En dehors de ces mouvements, seuls le médecin-dentiste et le médecin du dispensaire ont connu une augmentation de leurs indemnités.

1518.

Les frais d'inspection des champignons apparaissent dans le budget de 1898 et s'élèvent à 300 francs. Ils augmentent à 360 francs l'année suivante et restent stables jusqu'à leur disparition en 1909.

1519.

La baisse des crédits affectés au laboratoire que l'on peut constater en 1911 est due à une nouvelle organisation du personnel qui n'a fonctionné que neuf mois sur douze. Les rapporteurs du budget ont tenu compte de ce fait dans leurs propositions.

1520.

Cf. infra, chapitre IV, pp. 453-455.

1521.

6,5 % en 1908 et 8,4 % en 1909.

1522.

Elles passent de 6 500 francs en 1910 à 6 400 francs l'année suivante et restent ainsi fixées jusqu'en 1914.

1523.

En 1910, le bureau d'hygiène de Grenoble représente 42,4 % des dépenses sanitaires de la ville.

1524.

ACV, 5 I 11/1 : Arrêté municipal organisant un service municipal de désinfection à Vienne, 28 mars 1909.