Le choix du recrutement au concours des chimistes et des médecins-inspecteurs du bureau d'hygiène s'accompagne d'une transformation de leur " statut ", plus ou moins profonde suivant les cas.
La situation des nouveaux chimistes du laboratoire n'a plus rien à voir avec celle de leurs prédécesseurs. Les traitements sont tout d'abord considérablement réévalués. On s'en souvient, le premier directeur du laboratoire percevait une indemnité de 700 francs, portée à 1 000 francs en 1895, tandis que celle de son assistant s'élevait à 300 francs 1599 . Le rattachement du laboratoire au bureau d'hygiène en 1903 avait mis fin à cette organisation et les professeurs étaient rémunérés au prorata des analyses effectuées. Enfin, la préparatrice nommée en 1908, suite à l'agrément des ministères de l'Agriculture et du Commerce, voyait ses appointements fixés à 500 francs. La réorganisation de 1910 change complètement les données. Le traitement du chef du laboratoire s'élève à 4 000 francs et celui de son adjoint à 1 800 francs 1600 ; les deux chimistes reçoivent en outre des gratifications sur le produit des analyses payantes supérieur à 1 000 francs 1601 .
Ces augmentations de traitement modifient également le rapport que les employés du laboratoire entretiennent avec leur fonction. Dans les organisations antérieures, celle-ci constituait une activité secondaire tant pour le premier directeur et son assistant, respectivement professeur et préparateur à l'école Vaucanson, que pour les professeurs de l'école de médecine. Au contraire, pour le personnel recruté en 1911, il s'agit d'une véritable profession même si rien dans les arrêtés de nomination ne lui interdit explicitement de se livrer à d'autres activités extérieures 1602 . Toutefois, les chimistes se distinguent du reste du personnel municipal par leur non-assujettissement aux versements pour la caisse de retraites des employés communaux 1603 .
La réorganisation du service des médecins-inspecteurs du bureau d'hygiène, proposée par le docteur Berlioz en 1911, avait pour premier objectif de mettre un peu d'ordre dans des situations très disparates 1604 . Tout d'abord, les appointements de chaque titulaire variaient considérablement suivant leurs attributions. Ainsi, le dispensaire, l'asile Gerin et l'inspection des écoles rapportaient au docteur Hauquelin 3 000 francs par an ; cette somme était réduite à 1 000 francs pour le docteur Berthollet, qui assurait, en plus de l'inspection des écoles, le service de la nursery, et à 500 francs pour le docteur Roux, dont le service se limitait à l'inspection des écoles. De plus, les médecins-inspecteurs étaient placés dans des positions différentes vis-à-vis de la caisse de retraites des employés communaux : deux médecins sur trois subissaient en effet les retenues réglementaires 1605 . Enfin, se posait le problème du moment de la cessation d'activité des praticiens puisqu'aucune limite d'âge n'avait été fixée. Deux médecins-inspecteurs avaient ainsi dépassé l'âge communément admis de la retraite. Le docteur Hauquelin exerçait encore ses activités au bureau d'hygiène malgré ses 67 ans ; quant au docteur Berthollet, il aurait peut-être continué sur sa lancée si la mort ne l'avait pas fauché à l'âge de 74 ans 1606 .
Ces trois points avaient particulièrement attiré l'attention du directeur du bureau d'hygiène et l'avaient conduit à proposer une réglementation du personnel des médecins-inspecteurs 1607 . Une meilleure répartition des services devait en premier lieu atténuer la diversité des traitements. Le projet du docteur Berlioz avait ainsi prévu que la visite sanitaire des prostituées serait effectuée à tour de rôle par chaque médecin-inspecteur, chacun recevant un tiers de l'indemnité consacrée à ce service. La participation à la caisse des retraites des employés communaux était institutionnalisée et étendue à tous les médecins-inspecteurs, qui devaient quitter leurs fonctions à l'âge de 65 ans. En somme, il s'agissait d'assimiler le personnel médical du bureau d'hygiène " à des fonctionnaires municipaux " 1608 .
Des trois propositions du directeur du bureau d'hygiène, le conseil municipal n'a retenu que la première. Celle-ci ne reçoit toutefois pas une application immédiate : elle ne doit entrer vigueur qu'avec le départ du docteur Hauquelin, prévu pour le 1er avril 1915 1609 . En revanche, l'assemblée municipale n'a pas cru bon de s'engager dans la voie de la fonctionnarisation souhaitée par le docteur Berlioz. Au contraire, sa décision conforte les médecins du bureau d'hygiène dans leur position de personnel auxiliaire de l'administration municipale. Ces derniers ne participent pas à la caisse de retraites des employés communaux 1610 et doivent exercer leurs fonctions pendant vingt ans, sous réserve d'une limite d'âge fixée à 65 ans 1611 .
Les réorganisations du personnel médical et scientifique du bureau d'hygiène marquent ainsi le passage d'une gestion circonstancielle à une gestion réglementée. L'instauration du concours comme mode de recrutement en constitue le volet le plus important et le plus abouti, notamment parce qu'il participe à la définition des compétences que requièrent ces postes particuliers. La codification de l'exercice des fonctions est variable selon les cas. Pour les chimistes du laboratoire, les transformations résident essentiellement dans les niveaux de traitement, tandis que l'activité des médecins-inspecteurs est davantage réglementée. Le souci d'une gestion normée s'affirme encore plus nettement chez les employés administratifs du bureau d'hygiène.
Cf. supra, chapitre 1, pp. 109-110.
AMG, 390 W 39 : Arrêtés de nomination des chimistes du laboratoire, 1er mars et 5 mai 1911. Notons que les traitements des chimistes du laboratoire de Grenoble se rapprochent de ceux de leurs homologues lyonnais. En 1913, le traitement de début du directeur du laboratoire municipal de Lyon s'élève à 5 000 francs, les chimistes et les aides-chimistes débutants perçoivent respectivement 2 400 et 2 000 francs. Archives municipales de Lyon : Personnel des services municipaux. Règlement général, Lyon, Imprimerie nouvelle lyonnaise, 1913. Nous remercions Claire Borjon de nous avoir communiqué ce document.
Soit 25 % du produit des analyses supérieur à 1 000 francs pour le chef du laboratoire, 18 % pour le chimiste et 7 % pour le garçon de laboratoire. D'après nos calculs effectués à partir des données budgétaires, les gratifications s'élèvent respectivement à 62, 50 francs, 45 francs et 17, 50 francs en 1911 et 1912 ; elles atteignent 125 francs, 90 francs et 35 francs en 1913 et 1914 . AMG, 5 I 1 : Conseil municipal, séance du 6 octobre 1910 et Budgets de la ville de Grenoble pour les exercices 1911 à 1914.
Les dossiers personnels des chimistes ne font aucune allusion à d'autres activités exercées concurremment. Ce fait ne constitue pas une preuve mais il renforce nos présomptions.
Le fait est explicitement mentionné dans leur arrêté de nomination. Le directeur du bureau d'hygiène avait pourtant inscrit la participation du chef-chimiste à la caisse des retraites dans son projet d'affiche pour le concours. (AMG, 5 I 1 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 10 décembre 1910).
AMG, 1 R 7 : Lettre du docteur Berlioz au maire de Grenoble, 11 mai 1911.
AMG, 2 K 305 : Registre des traitements des employés communaux, 1905 et 1910.
Il ne s'agit pas d'une pure spéculation de notre part. Le docteur Berthollet avait candidaté en 1910 à la direction du bureau d'hygiène de Grenoble et le CCHPF l'avait inscrit sur la liste d'aptitude. ANF, MS 820 279 : Procès-verbal des opérations de la commission des bureaux d'hygiène du CSHPF, 4 juillet 1910.
AMG, 1 R 7 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 28 mars 1912.
Ibid.
AMG, 2 K 235 : Conseil municipal de Grenoble, séance du 23 octobre 1912.
A l'exception du docteur Roux auquel est reconnu ce droit. AMG, 2 K 235 : Conseil municipal de Grenoble, séance du 22 avril 1912.
AMG, 2 K 235 : Conseil municipal de Grenoble, séance du 23 octobre 1912.