b. Des membres plus assidus

La question de l'assiduité des membres aux réunions des assemblées sanitaires prend une importance nouvelle avec la loi du 15 février 1902. La législation exige en effet la présence minimum des deux tiers des membres pour que leurs délibérations soient reconnues valides 1772 . Cette disposition, introduite par la commission du Sénat, est directement liée aux nouvelles responsabilités des conseils d'hygiène, dont les décisions en matière d'assainissement des habitations et des communes sont susceptibles d'entraîner des dépenses coûteuses pour les particuliers et les collectivités 1773 . Elle rappelle en même temps, et implicitement, " l'obligation rigoureuse de présence réelle et régulière " 1774 pour les membres des conseils d'hygiène. L'absentéisme, bien qu'il fût toujours évoqué d'une façon détournée dans les textes centraux 1775 , constituait en effet une caractéristique des membres des anciens conseils d'hygiène. Le tableau suivant montre que le problème perdure dans la période postérieure à 1902, bien que des progrès certains aient été réalisés sur ce point.

Tableau n° 28 : Assiduité des membres aux séances des conseils d'hygiène et des commissions sanitaires (1878-1914)
  Nombre de séances
Membres présents : 1878-1894 1904-1906, 1909-1911, 1914
  Nbre % Nbre %
Tous 0 0 14 5,2
3/4 12 8,9 50 18,7
2/3 17 12,7 72 27,0
1/2 77 57,5 75 28,1
1/3 27 20,1 51 19,1
1/4 1 0,7 5 1,9
Total 134 100 267 100

Sources : ADI, 113 M 1-M 3 : Registres des délibérations du conseil d'hygiène de Grenoble, 1878-1898 ; ADI, 120 M 114 : Registre des délibérations du conseil d'hygiène de Saint-Marcellin, 1881-1888 ; ADI, 113 M 6-M 7 : Conseil d'hygiène de Saint-Marcellin, 1878-1880, Conseil d'hygiène de Vienne, 1878-1879, 1881-1883 et 1889-1894, Conseil d'hygiène de La Tour-du-Pin, 1878-1882 et 1889-1894 ; CDH-CS, 1904-1906, 1909-1911 et 1914.

Sur les 267 séances que tiennent les assemblées sanitaires en 1904-1906, 1909-1911 et 1914, la moitié seulement ont lieu avec au moins les deux tiers des membres. La proportion est très insuffisante au regard des exigences fixées par la législation, mais le progrès réalisé par rapport aux anciens conseils d'hygiène est sensible. La majorité de leurs réunions (57,5 %) rassemblaient en effet la moitié de leurs membres et la proportion des deux tiers n'était atteinte ou dépassée que dans 21,6 % des cas. C'est d'ailleurs et surtout le haut du tableau qu'il faut regarder pour apprécier la meilleure assiduité des membres des nouvelles assemblées sanitaires. La proportion de séances réunissant un tiers ou moins des effectifs reste en effet à peu près identique à celle des anciens conseils d'hygiène. En revanche, on relève un petit pourcentage d'assemblées totalisant tous les membres, cas de figure inexistant pour les conseils d'arrondissement, tandis que celui réunissant les trois quarts des effectifs double.

L'assiduité des membres des assemblées sanitaires mises en place à partir de 1904 varie néanmoins suivant les conseils, ainsi que le montre le tableau ci-après.

Tableau n° 29 : Répartition des séances du conseil d'hygiène et des commissions sanitaires de l'Isère suivant la présence des membres (1904-1906, 1909-1911, 1914)
Memb. Proportion des séances sur 10
prés. CDH GRE VIZ LM VIE BEAU LTP BOUR ST-M RIV
2/3 et plus 3,7 9,2 5,8 7,9 2,6 4,2 3 4,2 4,6 7,8
1/2 3,7 0,7 2,5 2,1 5,2 2,6 3,7 3 1,7 1,7
1/3 et moins 2,5 0 1,7 0 2,2 3,1 3,2 2,8 3,7 0,5
Abréviations utilisées :
CDH : Conseil d'hygiène départemental ; GRE : Commission sanitaire de Grenoble ; VIZ : Commission sanitaire de Vizille ; LM : Commission sanitaire de La Mure ; VIE : Commission sanitaire de Vienne ; BEAU : Commission sanitaire de Beaurepaire ; LTP : Commission sanitaire de La Tour-du-Pin ; BOUR : Commission sanitaire de Bourgoin ; ST-M : Commission sanitaire de Saint-Marcellin ; RIV : Commission sanitaire de Rives.

Sources : CDH-CS, 1904-1906, 1909-1911, 1914.

Les commissions de Grenoble, La Mure et Rives se distinguent par une bonne assiduité de leurs membres, qui se rendent dans la proportion des deux tiers à huit ou neuf séances sur dix. En revanche, le conseil départemental ainsi que les commissions de Vienne, Beaurepaire, Saint-Marcellin, La Tour-du-Pin et Bourgoin affichent des résultats plus médiocres : la majorité de leurs séances se passe sans que le seuil de présence exigé par la loi de 1902 soit atteint 1776 . Certaines d'entre elles s'en préoccupent. La commission de Beaurepaire annule ainsi, en 1906, deux réunions en raison de l'insuffisance des membres présents 1777 ; pour honorable qu'elle soit, cette attitude n'empêche pas l'assemblée de siéger par la suite dans des conditions non réglementaires. Les scrupules du conseil d'hygiène départemental n'ont pas été aussi loin ; son vice-président s'était en effet borné à regretter " les trop nombreuses absences des membres du conseil " et leur avait proposé de fixer des séances à des intervalles réguliers, mais sans obtenir de réelles améliorations 1778 .

Il est très difficile d'expliquer l'absentéisme des membres des assemblées sanitaires. Ces derniers, lorsqu'ils justifient leur défection, évoquent vaguement la "maladie" ou l'"empêchement". Nous avons tenté de repérer, parmi 106 conseillers sanitaires en fonction entre 1904 et 1914 1779 , ceux qui étaient les plus et les moins assidus. L'absentéisme apparaît comme un comportement généralisé puisque 13,2 % seulement des membres sélectionnés ont assisté à toutes les séances ou en ont manqué une seule. La proportion remonte à 39,6 % pour ceux qui se sont rendus aux trois quarts des réunions au moins, puis se répartit équitablement entre ceux qui ont assisté à plus de la moitié des séances mais moins des trois quarts (24,5 %) et ceux qui ont participé à moins de la moitié (22,6 %). Les membres les plus assidus sont souvent ceux qui sont investis d'une responsabilité particulière au sein des assemblées sanitaires, tels que les vice-présidents ou les secrétaires. Il en est ainsi des commissions de l'arrondissement de Grenoble dont les vice-présidents et secrétaires assistent à huit ou neuf séances sur dix. Toutefois, le constat peut être infirmé par d'autres exemples. Le président de la commission de Saint-Marcellin, le conseiller général Mallein, ne siège qu'à quatre assemblées sur vingt-deux ; celui de Beaurepaire, le conseiller général Plissonnier, n'assiste qu'à deux séances sur dix-neuf. Quant au secrétaire de La Tour-du Pin, le pharmacien Faure, il n'est présent qu'au tiers des séances tenues par la commission.

Ces quelques exemples incitent à penser que certaines professions ou qualités, telles que les conseillers généraux, feraient davantage preuve d'absentéisme que d'autres. Le tableau suivant confirme cette impression, même si des nuances doivent être apportées.

Tableau n° 30 : Répartition de la fréquentation des séances des assemblées sanitaires selon la profession ou la qualité des membres et leur lieu de résidence (1904-1906, 1909-1911, 1914)
  Répartition selon la profession ou la qualité Répartition selon le lieu de résidence
Membres ayant assisté à : Professions de santé Professions techniques Conseillers généraux et industriels Commune chef-lieu de la circonscription sanitaire Autre commune
  Nbre Sur 10 Nbre Sur 10 Nbre Sur 10 Nbre Sur 10 Nbre Sur 10
3/4 des séances au moins 28 4,2 10 5 5 2,6 37 4,8 6 2,1
Entre les 3/4 et la 1/2 des séances 23 3,4 9 4,5 7 3,7 29 3,8 10 3,4
Moins de la 1/2 des séances 16 2,4 1 0,5 7 3,7 11 1,4 13 4,5
Total 67 10 20 10 19 10 77 10 29 10

Sources : CDH-CS, 1904-1906, 1909-1911, 1914.

Les plus forts taux d'assiduité se retrouvent en effet parmi les professions de santé (médecins, vétérinaires et pharmaciens) ainsi que parmi les professions techniques (ingénieurs, conducteurs, agents-voyers, professeurs d'agriculture). A l'inverse, les conseillers généraux et les industriels sont moins assidus : ils assistent dans des proportions beaucoup plus faibles (2,6 sur 10) aux trois quarts ou plus des séances et sont plus nombreux (3,7 sur 10) à venir à moins de la moitié des séances. Pour autant, on trouve quelques exceptions. S'il est vrai que le conseiller général de La Tour-du-Pin ne se rend à aucune des 40 séances de la commission, son collègue de Grenoble assiste à 26 réunions sur 27. A l'inverse, le docteur Gerspacher de la commission de Bourgoin ne siège qu'à deux assemblées sur 34. Le lieu de résidence apparaît comme un facteur plus discriminant. L'assiduité a tendance à augmenter lorsque le domicile des membres est situé dans la commune chef-lieu de la circonscription sanitaire, commune dans laquelle les réunions sont en général tenues. En revanche, la fréquentation diminue lorsque les membres résident dans une autre commune et sont alors astreints à se déplacer.

Les déplacements entre le lieu de résidence et le lieu de réunions des commissions ne sauraient être négligés. Ils posent en effet un réel problème aux conseillers sanitaires, par leur longueur ainsi que leur faible ou non-indemnisation. Dès le 7 juin 1904, la commission de Bourgoin proposait de dédoubler la circonscription pour éviter à ses membres résidant à Crémieu ou Morestel de se transporter jusqu'à Bourgoin. " En effet, expliquait la commission, les réunions de la commission sanitaire ayant généralement lieu à 15 heures, il est nécessaire de partir de Crémieu et Morestel vers les 10 heures du matin, ce qui entraîne la perte à peu près totale d'une journée pour les délégués de ces localités" 1780 . Les déplacements semblent d'autant astreignants qu'ils ne sont pas ou faiblement indemnisés si l'on en croit la commission de La Mure. En 1911, celle-ci émettait le voeu " de demander au préfet de vouloir bien allouer aux membres de la commission qui n'habitent pas à La Mure leurs frais de déplacements " sur la base du tarif du décret du 21 novembre 1893 relatif aux honoraires, frais de transport et de séjour des médecins-experts 1781 .

Si l'absentéisme des membres des conseils d'hygiène perdure après 1902, malgré des progrès certains, il est en revanche en partie compensé par la présence des autorités préfectorales et des membres admis à titre consultatif. Les premiers président, depuis 1848 et encore après 1902, les assemblées sanitaires et leur participation aux séances de ces institutions peut être révélatrice de l'intérêt qu'ils leur portent. Personnage central dans le système napoléonien, particulièrement absorbé par sa double fonction d'homme du gouvernement et du département 1782 , le préfet n'assiste, très logiquement pourrions-nous dire, que très rarement aux réunions du conseil départemental d'hygiène. Entre 1878 et 1894, il ne préside que trois réunions sur 54 et quatre sur 49 à partir de 1904. Sa présence était surtout motivée par des circonstances exceptionnelles, telles que la réapparition du choléra en 1884 1783 , ou par la nécessité de régler certaines questions d'organisation interne au conseil, comme en 1881 et en 1904 1784 .

Pour moins central qu'il soit, le métier de sous-préfet était loin de constituer une sinécure 1785 . Mais peut-être en raison de leur suivi attentif des affaires communales 1786 , les sous-préfets ont davantage participé aux séances des assemblées sanitaires. Ceux de Vienne et de Saint-Marcellin ont ainsi été respectivement présents à 30 réunions sur 37 et à 21 réunions sur 28 entre 1878 et 1894. De telles attitudes perdurent après 1904, avec des variantes. Les sous-préfets de Vienne et de La Tour-du-Pin fréquentent régulièrement les deux commissions de leur arrondissement 1787 , tandis que ceux de Saint-Marcellin se contentent de participer, mais avec non moins d'assiduité, aux séances de la commission de Saint-Marcellin 1788 . Il en est de même des secrétaires généraux de la préfecture de l'Isère, qui délaissent les commissions de la Mure et de Vizille au profit de celle de Grenoble, mais leurs apparitions sont beaucoup plus épisodiques que dans les cas précédents 1789 .

Les membres adjoints à titre consultatif 1790 au conseil d'hygiène et aux commissions sanitaires de l'Isère sont de plusieurs types. On y trouve suivant les assemblées : l'inspecteur départemental de l'assistance et de l'hygiène publiques ou son adjoint, l'inspecteur d'Académie ou les inspecteurs primaires, l'ingénieur des mines, les conducteurs des ponts et chaussées, l'inspecteur du travail, les trois directeurs de bureaux d'hygiène, le médecin-major de régiment, et quelques médecins cantonaux 1791 . Un tiers des séances des assemblées ont lieu avec la présence d'un ou plusieurs membres consultatifs. Certes, tous ne viennent pas. Mais si certains y font quelques apparitions ponctuelles, d'autres se signalent par une assiduité remarquable. Les inspecteurs successifs de l'assistance et de l'hygiène publiques ainsi que les sous-inspecteurs assistent respectivement à 30 et 22 séances du conseil départemental sur 32. Ils fréquentent également régulièrement, ensemble ou alternativement, les commissions de l'arrondissement de Grenoble, ce qui témoigne de leur implication dans le fonctionnement des assemblées sanitaires. On peut également citer le conducteur des ponts et chaussées de Saint-Marcellin, qui participe à 11 réunions sur 13 de la commission, ou le directeur du bureau d'hygiène de Vienne qui, en plus d'assister aux trois quarts des réunions de la commission, rapporte quelques affaires.

Notes
1772.

Article 20 de la loi du 15 février 1902.

1773.

André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., p. 269.

1774.

Ibid. L'article 8 du décret du 18 décembre 1848 stipulait que " tout membre des conseils ou des commissions de canton qui, sans motifs d'excuses approuvés par le préfet, aura manqué de se rendre à trois convocations consécutives, sera considéré comme démissionnaire ".

1775.

Il était en effet difficile à l'autorité centrale de blâmer les membres des conseils d'hygiène pour leur absentéisme alors que le mauvais fonctionnement, réel ou supposé, de ces institutions contribuait pour beaucoup à l'encourager. Ainsi, le projet de la loi pour la protection de la santé publique présenté par le ministre de l'Intérieur en 1891 évoquait le problème en ces termes : " C'est un fait d'observation que seules les assemblées qui travaillent avec esprit de suite sont celles qui allouent à leurs membres des jetons de présence, quelle que soit d'ailleurs la valeur de ces jetons. A cette seule condition, elles obtiennent une présence assidue à leurs séances et une participation effective à leurs travaux ". Ernest CONSTANS, op. cit., p. 2905.

1776.

Remarquons que la commission sanitaire de Rives compense la faiblesse de la périodicité de ses réunions par une bonne assiduité de ses membres. Au contraire, la bonne fréquence des séances de la Tour-du-Pin et Bourgoin se traduit par une maigre mobilisation de ses membres.

1777.

CDH-CS :Commission sanitaire de Beaurepaire, séances des 3 février et 30 mars 1906. Deux et trois membres sur sept étaient alors présents.

1778.

CDH-CS : Conseil d'hygiène départemental, séance du 17 septembre 1909. Sur les 14 séances suivantes, 9 ont eu lieu avec moins des deux tiers des membres présents.

1779.

Soit 82,8 % des membres des conseils d'hygiène en fonction entre 1904 et 1914. Nous avons sélectionné les membres qui pouvaient justifier d'une présence potentielle à la moitié des séances tenues entre 1904 et 1906, 1909 et 1911 et en 1914. Ce critère a été ramené, dans quelques rares cas, à une présence potentielle sur trois années consécutives.

1780.

CDH-CS : Commission sanitaire de Bourgoin, séance du 7 juin 1904.

1781.

CDH-CS : Commission sanitaire de La Mure, séance du 13 décembre 1911.

1782.

François BURDEAU, Histoire de l'administration française..., op. cit., pp. 211-214 et 214-218 sur l'évolution des tâches de l'institution préfectorale.

1783.

ADI, 113 M 2 : Conseil d'hygiène de l'arrondissement de Grenoble, séances du 25 juin et du 4 juillet 1884.

1784.

ADI, 113 M 2 : Conseil d'hygiène de l'arrondissement de Grenoble, séance du 3 mai 1881 et CDH-CS : Conseil d'hygiène départemental, séance du 6 juin 1904. Dans le premier cas, il s'agissait de réorganiser le conseil d'hygiène départemental dont la composition et le nombre de membres n'étaient plus conformes aux prescriptions des textes centraux. Le second cas correspond à l'installation du conseil d'hygiène réorganisé en application de la loi du 15 février 1902.

1785.

François BURDEAU, Histoire de l'administration française..., op. cit., p. 218.

1786.

Ibid.

1787.

Ils assistent à 8 ou 9 séances sur 10 des commissions de la Tour-du-Pin, Bourgoin, Vienne et Beaurepaire. CDH-CS : 1904-1906, 1909-1911, 1914.

1788.

Ibid. Il est présent à 8 séances sur 10 de la commission de Saint-Marcellin mais délaisse complètement celle de Rives.

1789.

Ibid. Soit 3 séances sur 10.

1790.

La loi du 15 février 1902 ne prévoyait pas explicitement l'adjonction de membres à titre consultatif aux assemblées sanitaires. Néanmoins, cette disposition existait dans l'arrêté ministériel du 15 février 1849 sur la composition des conseils d'hygiène et plusieurs circulaires ministérielles avaient précisé ou allongé la liste de ces membres. Dans leur commentaire de la loi de 1902, André-Justin Martin et Albert Bluzet recommandent vivement de poursuivre cette pratique. Commentaire administratif et technique..., op. cit., pp. 266-267.

1791.

CDH-CS : Liste des membres du conseil départemental et des commissions sanitaires, 1904.