Sources : ADI, 113 M 1-M 3 : Registres des délibérations du conseil d'hygiène de Grenoble, 1878-1898 ; ADI, 120 M 114 : Registre des délibérations du conseil d'hygiène de Saint-Marcellin, 1881-1888 ; ADI, 113 M 6-M 7 : Conseil d'hygiène de Saint-Marcellin, 1878-1880, Conseil d'hygiène de Vienne, 1878-1879, 1881-1883 et 1889-1894, Conseil d'hygiène de La Tour-du-Pin, 1878-1882 et 1889-1894.
Entre 1878 et 1894, l'activité des conseils d'hygiène est surtout concentrée sur les questions d'hygiène industrielle, qui représentent 53,9 % des affaires instruites. Cette proportion est essentiellement due au conseil d'hygiène de l'arrondissement de Grenoble, qui étudie 76,5 % des affaires d'hygiène industrielle du département, lesquelles dominent incontestablement son activité. Les questions liées aux établissements insalubres, dangereux ou incommodes constituent également la majorité des affaires du conseil d'hygiène de Vienne mais dans des proportions beaucoup moins importantes qu'à Grenoble (40 % contre 79,1 %). En revanche, l'hygiène industrielle n'arrive qu'en troisième position à Saint-Marcellin et à la Tour-du-Pin, dont les conseils instruisent davantage de dossiers liés à l'hygiène et à la salubrité du milieu ainsi qu'à l'alimentation des communes en eau potable.
Une telle répartition des affaires reflète une utilisation minimaliste des conseils d'hygiène par les autorités publiques. Ces derniers sont en effet surtout saisis de questions pour lesquelles leur avis est obligatoire. Il en est ainsi des projets d'approvisionnement des communes en eau potable, des projets de constructions scolaires et des demandes en autorisation d'établissements classés 1800 , qui représentent environ 87 % des affaires d'hygiène industrielle 1801 . De plus, dans tous ces dossiers, les conseils d'hygiène ont un rôle limité. Ils ne représentent en effet qu'un maillon parmi d'autres de la procédure aboutissant à la prise de décision. Ainsi, dans l'étude des projets de constructions scolaires, l'avis des conseils d'hygiène s'ajoute à ceux de l'Inspecteur de l'académie, du conseil départemental de l'instruction publique et du conseil des bâtiments civils 1802 .
Le cas le plus symptomatique reste néanmoins celui des demandes d'installation des établissements dangereux, insalubres ou incommodes. Ces dossiers mobilisent, en plus des conseils d'hygiène, les maires des communes concernées et divers services techniques comme la voirie municipale, surtout à Grenoble, les services des mines ou des ponts et chaussées, voire l'inspection des eaux et forêts 1803 . Dans 75 % des cas, le conseil d'hygiène départemental se contente d'entériner la décision du service intervenant. Pour le reste, il apporte en général de légères modifications et les avis divergeant complètement restent rares.
Par ailleurs, la marge de manoeuvre dont disposent les conseils d'hygiène est réduite par les interprétations du texte de 1810. Le préfet de l'Isère explique ainsi en 1886 que, pour les établissements appartenant à la troisième classe, " l'administration, n'a (...) pas qualité pour refuser une autorisation ; elle doit simplement intervenir pour prescrire les conditions qu'elle jugerait utiles au point de vue de la salubrité et de la sécurité " 1804 . Les conseils d'hygiène ne peuvent donc pas émettre un avis défavorable à l'installation d'industries telles que les blanchisseries, les buanderies, les mégisseries, les tanneries, les teintureries de peaux, les dépôts de chiffons ou de peaux sèches. Une telle restriction est d'autant plus importante pour le conseil d'hygiène de Grenoble, que ces établissements représentent plus du tiers des demandes en autorisation qu'il examine. Le conseil fait d'ailleurs par deux fois les frais de cette jurisprudence, lorsqu'il se voit retourner par le préfet des dossiers contre lesquels il s'était prononcé 1805 . En 1890, le conseil persiste toujours dans son attitude et refuse une demande d'autorisation d'une teinturerie de peaux, mais il précise que " si invoquant des dispositions réglementaires, le pétitionnaire insistait pour obtenir de nouveau son autorisation, le conseil demanderait à être de nouveau saisi de l'affaire pour étudier les conditions à imposer de manière à rendre l'établissement le moins nuisible possible pour la salubrité publique " 1806 .
L'intervention des conseils d'hygiène est un peu plus importante dans les affaires d'approvisionnement des communes en eau potable. Les assemblées ne sont encore une fois qu'un maillon d'une procédure associant les municipalités et le Comité consultatif d'hygiène publique, mais elles jouent un rôle tampon entre ces deux acteurs. Les projets des municipalités sur lesquels l'instance parisienne statue doivent en effet contenir plusieurs informations, qui se standardisent à partir de 1892 : état sanitaire de la commune, provenance de l'eau à capter, nature du captage et de la distribution, analyses chimiques et bactériologiques de l'eau 1807 . Le rôle des conseils consiste non seulement à émettre un avis sur les projets d'adduction, mais aussi à vérifier que les dossiers sont complets, quitte à remplir eux-mêmes certaines rubriques du questionnaire 1808 . Les conseils d'hygiène de l'Isère s'acquittent à merveille de cette tâche de filtre des projets. Ils s'intéressent particulièrement à la qualité des analyses, effectuées en général par des pharmaciens, et n'hésitent pas à rejeter celles qui ne correspondent pas aux conditions exigées par le Comité consultatif ainsi qu'à en redemander de nouvelles 1809 .
Les affaires sur lesquelles les conseils d'hygiène jouent un rôle plus important se réduisent finalement à la rubrique " Hygiène et salubrité générales ". Les dossiers les plus nombreux portent sur la prophylaxie locale ou nationale des épidémies 1810 , l'hygiène de l'alimentation ou des boissons 1811 ou encore sur l'examen de situations d'insalubrité communale persistante 1812 . Toutefois, ces affaires restent globalement peu nombreuses et certaines reviennent plusieurs fois devant les conseils d'hygiène 1813 . En fait, ces derniers sont très loin d'être sollicités sur la totalité des matières que le décret de 1848 énumérait.
Les conseils d'hygiène disposent pourtant, depuis 1873, d'un droit d'initiative 1814 , qui leur permet d'inscrire des questions à leur ordre du jour et ainsi, de diversifier davantage leurs activités. Ils ne l'utilisent en fait que très rarement : seulement deux cas explicites ont été relevés pour les conseils de Grenoble, de Vienne et de La Tour-du-Pin 1815 . L'assemblée de Saint-Marcellin use, en revanche, un peu plus abondamment de son droit d'initiative et c'est ce qui permet en partie d'expliquer l'importance relative des affaires d'hygiène et de salubrité générales instruites par elle. Ainsi, entre 1881 et 1888, environ la moitié des affaires se rapportant à cette rubrique avaient été inscrites à l'ordre du jour du conseil à l'initiative de ses membres. Ces derniers sont notamment à l'origine de l'étude de questions telles que l'état des vins et de la viande foraine vendus à Saint-Marcellin, les mesures à prendre contre l'épidémie de variole qui règne en 1882 dans la commune, la propreté des rues de la localité ou encore les améliorations à apporter dans l'organisation départementale du service des enfants placés en nourrices 1816 . Il semble pourtant que, par la suite, l'usage du droit d'initiative fait par le conseil de Saint-Marcellin s'étiole. Ainsi, en 1900, le sous-préfet de l'arrondissement déclarait : " Il faudrait alors que chacun des membres du conseil prit l'initiative d'exposer à ses collègues quelque question qui put intéresser l'assemblée, soit une réglementation ou une commune. Or presque toujours chacun se garde soigneusement de cette initiative " 1817 .
Malgré quelques exceptions, l'activité principale des conseils d'hygiène de l'Isère est constituée par des affaires pour lesquelles leur avis est obligatoire, avec une nette domination de l'hygiène industrielle. Une telle situation n'est pas propre à notre département d'étude ; elle concerne la plupart des assemblées sanitaires de France et perdure encore après l'application de la loi de 1902 1818 . On note néanmoins une importante évolution dans la répartition des affaires examinées par les anciens et les nouveaux conseils d'hygiène de l'Isère. A partir de 1904, les questions d'hygiène et de salubrité générales passent au premier plan.
On trouvera une présentation des chiffres et des pourcentages de ce graphique dans l'annexe n°36.
André-Justin MARTIN , " Projet de réorganisation des conseils et commissions d'hygiène publique et de salubrité...", op. cit., p. 81.
Le reste des affaires d'hygiène industrielle concerne soit des questions de réglementation - le ministre du Commerce interroge les conseils d'hygiène sur l'opportunité de classer certaines activités industrielles-, soit l'examen de plaintes formulées par les particuliers à l'encontre d'industries polluantes ou sources de nuisances. Geneviève Massard-Guilbaud note en effet qu'au cours du XIXe siècle, les plaintes sont de plus en plus déposées en dehors des périodes d'enquêtes officielles prévues par le décret de 1810. Geneviève MASSARD-GUILBAUD, " La régulation des nuisances industrielles urbaines...", op. cit., p. 56 et " Les citadins auvergnats face aux nuisances industrielles (1810-1940) ", Recherches contemporaines, n°4, 1997, p.17.
C'est ce qu'il ressort de l'étude de tous les dossiers de constructions scolaires soumis aux conseils d'hygiène.
ADI, 113 M 1 à 113 M 3 : Registres des délibérations du conseil d'hygiène de Grenoble, 1868-1898.
ADI, 113 M 2 : Lettre du préfet lue dans la séance du conseil d'hygiène de Grenoble du 27 janvier 1886.
ADI, 113 M 2 : Conseil d'hygiène de Grenoble, séances du 24 janvier 1884 (mégisserie) et du 27 janvier 1886 (buanderie).
ADI, 113 M 3 : Conseil d'hygiène de Grenoble, séance du 24 avril 1890.
ADI, 113 M 7 : Questionnaire relatif aux projets d'alimentation des communes en eau potable, annexe à la circulaire ministérielle du 23 juillet 1892. Nous avons reproduit ce questionnaire en annexe n°47.
ADI, 113 M 7 : Circulaire du ministère de l'Intérieur du 23 juillet 1892.
C'est particulièrement le cas du conseil d'hygiène de Saint-Marcellin. ADI, 120 M 114 : Conseil d'hygiène de Saint-Marcellin, registre des délibérations, 1881-1888.
Par exemple, invasion du choléra en 1884, épidémies de fièvre typhoïde à Grenoble, Voiron ou Saint-Marcellin en 1888, 1889 et 1886 ; acquisition par le département d'une étuve à désinfection en 1891 ; Voeu du conseil d'hygiène de Saint-Marcellin sur la pratique systématique de l'isolement ; Approbation par le conseil d'hygiène de Grenoble du voeu du conseil des Pyrénées-Orientales sur la vaccination obligatoire, etc. ADI, 113 M 2 et 113 M 3 : Conseil d'hygiène de Grenoble, séances des 25 juin et 4 juillet 1884, 24 décembre 1888, 7 juin 1889 et 4 décembre 1891 ; ADI, 120 M 114 : Conseil d'hygiène de Saint-Marcellin : séances des 31 mai 1884, 26 novembre et 10 décembre 1886.
Notamment sur les questions de falsification des vins. ADI, 113 M 2 : Conseil d'hygiène de Grenoble, séance du 5 décembre 1882 ; ADI, 113 M 5 : Conseil d'hygiène de La Tour-du-Pin, liste des affaires traitées en 1882 ; conseil d'hygiène de Vienne, séance du 13 novembre 1882 et ADI, 120 M 114 : Conseil d'hygiène de Saint-Marcellin : séances des 29 octobre 1881, 1er août 1882 et 31 mai 1884.
Par exemple les marais de Janneyrias à l'origine de fièvres persistantes, les étangs d'Entraigues ou l'accumulation de détritus en amont du barrage du canal de La Bourne à Pont-en-Royans. ADI, 113 M 3 : Conseil d'hygiène de Grenoble, séance du 19 juin 1894 ; ADI, 113 M 5 : Conseil d'hygiène de Vienne, séance du 28 octobre 1882 et ADI, 120 M 114 : Conseil d'hygiène de Saint-Marcellin, séances des 18 juillet 1885, 9 juillet 1886 et liste des travaux pour les années 1890, 1891, 1892 et 1893.
L'affaire la plus symptomatique est celle du canal de La Bourne citée dans la note précédente. Elle revient six fois devant le conseil d'hygiène de Saint-Marcellin.
Le droit d'initiative est accordé aux conseils d'hygiène par la circulaire ministérielle du 2 juillet 1873. André-Justin MARTIN, " Projet de réorganisation des conseils et commissions d'hygiène publique et de salubrité...", op. cit., pp. 89-91.
En 1878, l'un des membres du conseil d'hygiène de Vienne propose de mener une enquête sur la pollution de la rivière de la Gère par les industries environnantes. En 1881, le conseil d'hygiène de Grenoble décide de rédiger un projet de règlement modèle relatif à l'aménagement et à l'exploitation des tueries dans les communes du département de moins de 10 000 habitants. ADI, 113 M 6 : Conseil d'hygiène de Vienne, séance du 25 octobre 1879 et ADI, 113 M 2 : Conseil d'hygiène de Grenoble, séance du 4 octobre 1881.
ADI, 120 M 114 : Conseil d'hygiène de Saint-Marcellin, registre des délibérations, 1881-1888. Dans la séance du 29 octobre 1881, le sous-préfet de Saint-Marcellin rappelait d'ailleurs aux membres du conseil d'hygiène qu'il pouvait user du droit d'initiative accordé par la circulaire ministérielle de 1873.
ADI, 116 M 4 : Compte-rendu du fonctionnement du conseil d'hygiène de Saint-Marcellin pour le quatrième trimestre de l'année 1900.
André-Justin MARTIN , " Projet de réorganisation des conseils et commissions d'hygiène publique...", op. cit., p. 81 et Albert BLUZET, " Loi du 15 février 1902 sur la santé publique : application. Rapport présenté à M. le Président du Conseil, ministre de l'Intérieur, par l'IGSA... " (Tournée de 1908), op. cit., pp. 258-259.