Le règlement de 1889 ne limitait pas les attributions du bureau d'hygiène à la seule lutte contre les maladies contagieuses. Le directeur était notamment habilité à proposer " à l'Administration les mesures de salubrité et d'assainissement qu'il croira nécessaires" 1925 . Toutefois, à en croire les différents dossiers d'archives consultés, celles-ci semblent fort rares et se limitent surtout au problème de l'évacuation des matières usées.
Il est vrai que, dans ce domaine, la situation grenobloise est particulièrement préoccupante. Le système dominant d'évacuation est celui de la fosse fixe qu'il faut vidanger périodiquement et qui donne lieu à de nombreux problèmes d'insalubrité 1926 . Les matières filtrent à travers les parois des fosses, dont l'étanchéité est toute théorique, et infectent le sous-sol ; les gaz dégagés par la fermentation des matières empestent les appartements et les rues environnantes ; les opérations de vidange, malgré l'obligation de désinfection 1927 ou les systèmes d'aspiration inodore 1928 , apportent également leur contribution à l'empoisonnement de l'atmosphère. Précisons enfin que les deux tiers des matières de vidange sont déversées directement dans les ruisseaux ou les égouts 1929 .
Face à cette situation éminemment problématique, on peut s'étonner de la modestie des interventions du bureau d'hygiène. Celles-ci se limitent à dénoncer l'absence de désinfection systématique des fosses par les entrepreneurs de vidange 1930 ou à l'instruction de quelques affaires particulières 1931 . Le bureau d'hygiène préconise bien des mesures d'ordre plus général, comme lorsqu'il réclame en 1894 l'établissement de fosses d'aisance dans les maisons des quartiers de l'Esplanade et de la route de Lyon et l'interdiction d'épandre les matières de vidange dans les jardins 1932 , mais celles-ci restent localisées et subordonnées à l'apparition d'une épidémie. En fait, la solution au problème de l'évacuation des matières usées consisterait en l'établissement du système du tout-à-l'égout. La question avait agité la municipalité grenobloise entre 1885 et 1887, avant d'être abandonnée devant les multiples oppositions manifestées 1933 . Elle est relancée trois ans plus tard, lorsque le chef du génie sollicite l'autorisation de pratiquer le tout-à-l'égout: le directeur du bureau d'hygiène est alors invité à produire un rapport et le conseil municipal en adopte le principe 1934 . Mais l'opposition du ministère des Travaux publics met un terme, pour le moment définitif, au projet 1935 . Par la suite, le bureau d'hygiène tentera à nouveau de remettre à l'étude la question de l'évacuation des matières usées mais visiblement sans succès 1936 .
Conclure à l'intervention limitée du bureau d'hygiène dans les affaires de salubrité publique à partir d'exemples peu nombreux retrouvés dans les archives est certainement insuffisant. Certains dossiers peuvent très bien ne pas avoir été conservés tandis que d'autres peuvent aussi se trouver dans des séries non consultées. Quelques éléments, et notamment la façon dont le bureau d'hygiène appréhende lui-même son domaine de compétences, tendent pourtant à confirmer cette hypothèse.
C'est ainsi que le service ne se perçoit pas véritablement comme un acteur de l'assainissement des habitations. A un article du Grenobloisqui dénonçait l'inaction du bureau d'hygiène dans ce domaine, Fernand Berlioz répondit que " le bureau d'hygiène est chargé des services sanitaires sauf précisément de l'inspection des logements insalubres " 1937 . Et il est vrai que le bureau d'hygiène reste singulièrement absent de la procédure d'instruction des plaintes relative à l'insalubrité des immeubles, laissant la commission des logements insalubres s'en occuper 1938 .
Les annuaires du bureau d'hygiène, si on les considère comme les reflets de son activité annuelle, tendent à montrer que les problèmes de salubrité publique ne font pas vraiment partie de son univers quotidien : les nuisances engendrées par les fosses d'aisance ou les poussières de la ville y sont quelquefois évoquées 1939 , mais la place accordée à ces questions n'a rien de comparable à celle tenue par l'analyse de la mortalité et de ses causes. Le regard rétrospectif que jette le directeur du bureau d'hygiène sur ses états de service entre 1890 et 1902 1940 va également dans ce sens : Fernand Berlioz insiste sur son action en faveur de la lutte contre les maladies contagieuses ; il cite en exemple la distribution de lait stérilisé, la désinfection des logements tuberculeux ainsi que la fondation de l'institut sérothérapique et ne retient, comme intervention relative à l'hygiène urbaine, que l'analyse régulière des eaux de boissons.
Dans sa première décennie de fonctionnement, le bureau d'hygiène de Grenoble concentre essentiellement ses efforts sur la lutte contre la propagation des maladies contagieuses. Celle-ci est en effet l'objet d'une attention constante de la part du service, tandis que les interventions en matière d'assainissement urbain se font plus limitées. C'est avec la loi du 15 février 1902 que le bureau d'hygiène va prendre une part plus importante dans l'amélioration des conditions sanitaires de la ville.
AMG, 5 I 3/4 : Article 4 du règlement du bureau d'hygiène de Grenoble, 16 décembre 1889.
Ville de Grenoble, Conseil municipal : séance du 22 novembre 1886, Rapport de Monsieur le docteur Girard sur l'assainissement de Grenoble par les égouts, Grenoble, Imp. Breynat et Cie, 1886, pp. 8-12.
La désinfection des fosses d'aisance avant leur vidange est obligatoire à Grenoble depuis 1858 ; toutefois, les nombreux procès-verbaux dressés par l'administration de l'octroi montrent que l'opération est loin d'être toujours pratiquée. AMG, 1 I 112 : Arrêté municipal portant règlement de la désinfection et de la vidange des fosses d'aisance, 8 janvier 1858 et AMG, 1 I 114 suite : Divers rapports quotidiens de l'inspecteur de la désinfection des fosses d'aisance, années 1880.
Jusqu'en 1876, la vidange des fosses est effectuée par les cultivateurs des environs de Grenoble qui opèrent à l'aide de pompes et de baquets et transportent la matière dans des tombereaux. A partir de cette date, un nouveau système dit de vidange inodore est appliqué. Les deux systèmes fonctionnent concurremment jusqu'en 1891, date à laquelle l'emploi de tombereaux est interdit à l'intérieur de la ville. AMG, 1 I 115 : Rapport du préposé au chef de l'octroi sur le service de la vidange et de la désinfection des fosses d'aisance au maire de Grenoble, 14 août 1890 et arrêté municipal du 8 décembre 1891.
Ville de Grenoble, Conseil municipal : séance du 22 novembre 1886, Rapport de Monsieur le docteur Girard ..., op cit, pp. 8-12.
AMG, 1 I 115 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 24 février 1890.
AMG, 1 R 7/1 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 26 février 1890.
AMG, 1 I 115 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 23 janvier 1894. Un arrêté enjoindra les propriétaires de ces quartiers de construire des fosses d'aisance dans le délai d'un an. AMG, 1 I 112 : Arrêté municipal du 20 octobre 1894.
AMG, 1 O 632 : Conseil municipal de Grenoble, séance du 28 octobre 1885, Rapports de la commission extra-municipale d'étude de l'assainissement de Grenoble par le tout-à-l'égout, 2 et 6 mai 1887 et 1er juillet 1887 et diverses oppositions de particuliers, d'agriculteurs, de sociétés et de municipalités, 1887.
AMG, RDCM : Conseil municipal de Grenoble, séance du 19 mai 1890.
Le ministre des Travaux publics avait considéré le projet de la municipalité " dangereux pour l'hygiène publique et contraire à la législation ". AMG, 1 O 632 : Commission extra-municipale d'étude sur l'application du tout-à-l'égout à Grenoble, séance du 29 octobre 1912. Sur les débats que suscitèrent l'application du système du tout-à-l'égout à Paris, Gérard JACQUEMET, " Urbanisme parisien... ", op. cit., pp. 505-548.
AMG, 5 I 5 : Rapport de Fernand Berlioz au maire de Grenoble sur l'assainissement de la ville, sans date, vraisemblablement 1896-1897. En fait, l'étude de l'application du système du tout-à-l'égout à Grenoble ne sera reprise qu'à partir de 1911 et adoptée en 1913. Estelle BARET, " Santé publique et environnement urbain... ", op. cit., p. 148.
AMG, 5 I 12 : Bureau d'hygiène. Note envoyée aux journaux, 8 décembre 1891.
AMG, 5 I 12 à 5 I 16 : Instructions des plaintes relative aux habitations insalubres.
AMG, 390 W 5, 6 et 13 : Annuaires du bureau d'hygiène de Grenoble pour les années 1862-1890, 1891-1892 et 1899.
AMG, DP 886 : Exposé des titres et services du docteur Fernand Berlioz. Services au point de vue de l'hygiène.