Evaluer les pratiques de vaccination, obligatoire au cours de la première, de la onzième et de la vingt et unième années de la vie 1980 , pose inévitablement le problème des sources et de leur fiabilité. Les témoignages des autorités publiques, des vaccinateurs 1981 ou des habitants étant peu nombreux, pour ne pas dire inexistants, ou très généraux, c'est aux statistiques qu'il faut avoir recours. Nous disposons pour cela de trois séries distinctes. La première est constituée par les listes annuelles des vaccinations pratiquées dans le département de l'Isère entre 1878 et 1887 1982 , qui indiquent, pour chaque médecin cantonal, le nombre d'opérations effectuées. Celles-ci ont pu être complétées jusqu'en 1890 par les informations publiées dans les rapports annuels du préfet au conseil général ainsi que grâce à un récapitulatif global des vaccinations pratiquées entre 1884 et 1890 1983 . A partir de 1904, les résultats des vaccinations sont publiés dans les rapports annuels de l'inspecteur départemental de l'assistance et de l'hygiène publiques 1984 . Ils sont répartis par arrondissement et les différents types de vaccination - primo-vaccination, premières et secondes revaccinations - sont distingués. D'autres informations, telles que le nombre d'inscrits, de succès et d'insuccès ou encore de réfractaires, sont également apportées. Enfin, la troisième série est constituée par les rapports annuels du bureau d'hygiène 1985 , qui indiquent le nombre annuel de vaccinations et de revaccinations pratiquées par le service, ainsi que la proportion de succès et d'insuccès.
Déjà imparfaites par leur nature quantitative ainsi que par les renseignements donnés, les statistiques de vaccination sont également discutables du point de vue de leur fiabilité. Olivier Faure a montré que, pour le début du XIXe siècle, elles révélaient l'"urgence d'un idéal, beaucoup plus que l'état d'une réalité " 1986 . Il serait hasardeux d'affirmer que la statistique vaccinale de la Troisième République est exempte d'erreurs et qu'elle reflète l'exacte réalité. Avant 1902, elle repose exclusivement sur les listes nominatives des sujets vaccinés établies par les médecins cantonaux et transmises chaque année à la préfecture 1987 . Or, ces derniers n'apportent pas toujours toute la rigueur voulue à la confection du document. Ainsi, les états des vaccinations pratiquées en 1879 et 1881 montrent que, dans 20 % des cas, les médecins n'ont pu établir la liste des opérations effectuées " faute d'avoir pris les notes nécessaires ". De plus, lorsque les états n'accusent aucun blanc en face du nom du vaccinateur, le nombre des médecins cantonaux qui y est porté est souvent inférieur à celui des praticiens titulaires d'une circonscription 1988 .
Affirmer que les statistiques vaccinales s'améliorent avec la mise en application de la loi du 15 février 1902 serait tout aussi présomptueux. Le rapport de l'IGSA souligne en effet, en 1910, que " l'ensemble des chiffres récapitulatifs fournis à l'administration ne correspond nullement à la réalité des choses " 1989 . On ne sait si l'Isère appartient à cette "poignée de département où les résultats statistiques, à défaut de pouvoir être considérés comme tout à fait exacts, approchent assez sensiblement de la vérité " 1990 , mais au vu des dysfonctionnements relevés, il est permis d'en douter. A l'instar de l'inspection générale 1991 , la commission iséroise de contrôle de la vaccine, commission issue du conseil d'hygiène départemental, dénonce particulièrement la négligence apportée par les maires dans l'établissement des listes d'assujettis à l'obligation légale 1992 . Si le rapport de 1905 se réjouit que les " listes de vaccination ont été régulièrement dressées dans toutes les communes " 1993 , celui de 1907 se fait beaucoup plus mitigé. Dans l'arrondissement de Grenoble, constate-t-il, " les listes d'inscription obligatoire ont dû souvent être des listes d'inscription à peu près facultatives " 1994 . Les critiques deviennent, par la suite, plus sévères : dans l'arrondissement de La Tour-du-Pin, " un grand nombre de listes sont établies avec plus ou moins de sincérité " ; dans celui de Vienne, les listes " sont en général insuffisamment tenues " et celles de la commune de Saint-Agnin " ont été égarées à la mairie " 1995 . Quant au rapporteur de l'année 1912, il fustige " l'inertie ou le mauvais vouloir des maires (...) qui ne se soucient pas de faire dresser correctement les listes " 1996 . Les magistrats municipaux ne sont pourtant pas toujours responsables de la mauvaise tenue des listes. En effet, remplir cet ensemble complexe de " doubles feuilles " à colonnes multiples et auxquelles se trouvent systématiquement annexés des " tableaux récapitulatifs " soulève de nombreuses difficultés dans les mairies 1997 . La commission de contrôle de l'Isère explique ainsi qu'il en a résulté " le découragement des secrétaires, des erreurs et des chevauchements de colonnes " 1998 .
Après de telles considérations, on peut se demander si l'analyse des pratiques de vaccinations à travers les chiffres a encore un sens. Il nous semble que oui, à condition d'y chercher davantage des grandes tendances que des faits précis. Les statistiques nous révèlent en particulier une évolution à la hausse du nombre de vaccinations, même si celles-ci sont loin de concerner l'ensemble des assujettis.
Article 6 de la loi du 15 février 1902.
Les rapports annuels de l'Académie de médecine font parfois état de mémoires envoyés par les médecins cantonaux isérois et relatant leur expérience en matière de vaccination ou de prophylaxie plus générale des épidémies. Nous avons tenté de retrouver ces documents dans les archives de l'Académie de médecine mais sans succès.
ADI, 115 M 5 : Etat des vaccinations pratiquées dans le département de l'Isère pour les années 1879 à 1887.
ADI, 115 M 5 : Service de la médecine gratuite. Résultats pour les années 1884 à 1890.
ADI, PER 56-99 à 115 : CG/IDAHP pour les exercices 1904 à 1912.
AMG, 390 W 5-21 : Annuaires du bureau d'hygiène de Grenoble et rapports annuels sur le fonctionnement du service pour les années 1890 à 1908.
Olivier FAURE, Les Français et leur médecine..., op. cit., p. 98 et suivantes. Il explique notamment par quels procédés un préfet passe de 651 vaccinations enregistrées en 1808 pour 14 communes à 17 785 opérations déclarées pour l'ensemble du département.
ADI, PER 2437-30 : RAAP, Article 11 de l'arrêté préfectoral du 6 mars 1879 et ADI, 115 M 5 : Etat des vaccinations pratiquées dans le département de l'Isère.
Encore que dans ce cas, cela peut traduire autant l'absence de listes que l'absence de tournées vaccinales effectuées par les médecins cantonaux.
Albert BLUZET, " Loi du 15 février 1902 sur la santé publique : application, services départementaux de vaccination et de désinfection... ", op. cit., p. 241.
Ibid.
Ibid., p. 229 et Lion MURARD, Patrick ZYLBERMAN, L'hygiène dans la République..., op. cit., p. 389.
Le décret du 27 juillet 1903 avait en effet chargé les maires d'établir la liste des personnes soumises à la vaccination. RTOSP, Tome IV, pp. 104-107.
ADI, PER 56-101 : CG/IDAHP pour l'exercice 1905.
ADI, PER 56-105 : CG/IDAHP pour l'exercice 1907.
ADI, PER 56-109 : CG/IDAHP pour l'exercice 1909.
ADI, PER 56-115 : CG/IDAHP pour l'exercice 1912.
Albert BLUZET, " Loi du 15 février 1902 sur la santé publique : application, services départementaux de vaccination et de désinfection... ", op. cit., pp. 232-233.
ADI, PER 56-107 : CG/IDAHP pour l'exercice 1908.