2. La désinfection : un accueil favorable du public

Les opérations de désinfection ne dépendent pas seulement du dépistage des maladies contagieuses ; il faut également que les assujettis les acceptent. Sur ce plan, le discours des responsables sanitaires est beaucoup plus enthousiaste que pour les déclarations. Dès 1891, le directeur du bureau d'hygiène relève que la population se prête volontiers aux mesures de désinfection 2104 et ses commentaires ultérieurs insistent sur l'absence de difficulté ou de contestation. Il existe bien sûr quelques cas de refus - on les découvre notamment au hasard de la correspondance 2105 - toutefois, ceux-ci ne sauraient tempérer l'optimisme général. En revanche, la population du reste du département est plus lente à se familiariser avec les mesures de désinfection. L'inspecteur départemental évoque, en 1906, la difficulté à faire accepter la désinfection dans certaines communes et relève encore, en 1910, de nombreuses infractions 2106 . Mais, dès l'année suivante, les commentaires changent de ton et deviennent plus enthousiastes : les infractions n'existent plus et la désinfection est " partout bien accueillie " 2107 .

Plusieurs éléments, tirés encore une fois de la situation grenobloise, viennent étayer le discours des autorités sanitaires. Le premier invite à s'intéresser à la répartition des opérations de désinfection suivant leur nature.

Graphique n° 23 : Répartition des désinfections grenobloises suivant leur nature (1890-1914)
Graphique n° 23 : Répartition des désinfections grenobloises suivant leur nature (1890-1914)

Sources : AMG, 390 W 462-465 : Registres des désinfections, 1890-1914.

Liste des abréviations :
MDO : Maladie à déclaration et à désinfection obligatoires
MDF : Maladie à déclaration et à désinfection facultatives
PR : Précaution-Prévention-Propreté
DIV : Maladie diverse
INC : Inconnu

La pratique de la désinfection ne saurait se limiter à la seule obligation réglementaire 2108 ou légale 2109 . Le nombre d'opérations effectuées pour la tuberculose nous faisait déjà entrevoir un tel constat, le graphique nous le confirme pleinement. Les désinfections obligatoires ne représentent en effet qu'en moyenne 37,1 % de l'ensemble des opérations. La proportion varie évidemment suivant les années : elle dépasse ainsi la moitié entre 1901 et 1907, puis elle décline par palier et atteint 19,4 % à la veille de la première mondiale.

Les désinfections facultatives constituent le second volet important des opérations de désinfection. Presque exclusivement effectuées pour des cas de tuberculose 2110 , elles représentent en moyenne 38,9 % du total des désinfections. Contrairement aux désinfections obligatoires, le poids des désinfections facultatives connaît beaucoup moins de variations : à l'exception des années 1890-1891, la proportion oscille en effet entre 31,1 % et 47,1 %.

Le reste des désinfections concerne soit d'autres maladies, auxquelles nous avons agrégé le faible nombre d'opérations pour lesquelles les registres ne donnaient aucune indication 2111 , soit des mesures de prévention ou de propreté. La première catégorie, constituée essentiellement par des angines, des bronchites ou d'autres maladies de poitrine, est surtout bien représentée dans les deux premières années de fonctionnement du bureau d'hygiène. Par la suite, le poids des autres maladies dans l'ensemble des désinfections diminue et, malgré quelques sursauts comme en 1911 (26,7 %), reste marginal dans l'immédiate avant-guerre. En revanche, les désinfections préventives et de propreté connaissent une toute autre évolution. Représentant 10,3 % des opérations en 1890, elles voient par la suite leur poids augmenter jusqu'à 31,3 % en 1897. Puis la proportion diminue et les désinfections préventives et de propreté disparaissent presque entre 1902 et 1911. Elles reviennent en force dans les trois années précédant la guerre et représentent 38,6 % de l'ensemble des opérations.

Il est difficile de traduire avec précision ce que représentent ces désinfections en termes de comportements de la part de la population. Nos informations se limitent en effet aux indications inscrites par le bureau d'hygiène sur les registres de désinfections : "précautions ", puis " désinfections préventives ", lesquelles sont distinguées, à partir de 1904, des opérations de " propreté " 2112 . L'emploi d'une telle terminologie laisse toutefois penser qu'une partie de la population n'a pas seulement recours à la désinfection lorsqu'elle est directement confrontée à la maladie. Elle l'utilise également pour écarter des risques plus diffus de contamination, qu'ils soient réels ou supposés. On peut en effet imaginer toutes sortes de situations exposant une personne à la contagion et dont elle souhaite se prémunir grâce à la désinfection : contacts temporaires avec un malade ou ses effets, présence d'un malade dans un immeuble et crainte des voisins de contracter l'infection 2113 , éclosion ou rumeurs d'éclosion 2114 d'une épidémie dans une école, un quartier de la ville, etc... Avec les désinfections de propreté 2115 , et pour autant qu'il nous soit possible de les distinguer des désinfections préventives, la protection contre le germe pathogène prend, nous semble-t-il, une autre tournure. Le risque infectieux ne serait plus symbolisé par l'existence de malades, imaginaires ou non, mais par la présence de microbes dans les moindres recoins de la maison. Les appartements de la Belle Epoque apparaissent en effet comme de véritables nids à bactéries, qui se logent dans les planchers, les tapis, les tentures, les fauteuils et la literie 2116 . Aussi, l'étuve et les pulvérisations deviendraient l'une des solutions d'élimination de ces hôtes indésirables.

Toutes ces considérations ne sont évidemment que des hypothèses. La terminologie employée pourrait en effet tout aussi bien masquer des cas de maladies contagieuses, dont la présence dans une famille reste une source de stigmatisation sociale 2117 . Pourtant, la fin du XIXe siècle est caractérisée par une véritable "microbomanie" 2118 : les savants comptabilisent méticuleusement les micro-organismes présents dans les particules de poussière, les pages de livre, les billets de banque ou encore véhiculés par les mouches 2119 . L'obsession du microbe ne reste pas cantonnée dans les sphères scientifiques, elle existe également au sein de la population et se manifeste notamment par une chasse scrupuleuse à la poussière 2120 . Elle est d'autant plus vivace qu'elle prolonge de nouvelles pratiques de propreté corporelle, en vigueur depuis le milieu du XIXe siècle, et dans lesquelles le bain tient une place centrale 2121 . L'importance des désinfections préventives et de propreté témoignerait ainsi des inquiétudes liées à la révélation de l'univers microbien.

Le directeur du bureau d'hygiène peut trouver une seconde source de satisfaction dans la diffusion sociale de la désinfection. Le procédé semble en effet utilisé par toutes les composantes de la société grenobloise.

Graphique n° 24 : Répartition socio-professionnelle des usagers grenoblois de la désinfection (1890-1893 / Juillet 1911-1914)
Graphique n° 24 : Répartition socio-professionnelle des usagers grenoblois de la désinfection (1890-1893 / Juillet 1911-1914) Les registres des désinfections indiquent la profession des utilisateurs entre 1890 et 1893 ainsi qu'entre juillet 1911 et 1914. Pour les classer, nous avons utilisé la classification des groupes socio-professionnels élaborée par Jean-Luc Pinol à partir de sondages effectués dans les listes électorales lyonnaises entre 1896 et 1936. Jean-Luc PINOL, Mobilités et immobilismes d'une grande ville : Lyon de la fin du XIXe siècle à la première guerre mondiale, Thèse de doctorat d'Etat, Université Lyon II, 1989, pp. 339-377 et annexe n°27 : Dictionnaire des appellations professionnelles.

Total des effectifs : 1890-1893 : 975 ; 1911-1914 : 1970.
Sources : AMG, 390 W 462-465 : Registres des désinfections, 1890-1914.

Liste des abréviations :
AGR : Agriculteur
NID : Négociant et industriel
CAS Cadre supérieur et profession libérale
TCM Technicien et cadre moyen
EMP Employé
PCO Petit commerçant
OAR Ouvrier ou artisan
OUV Ouvrier
MAN : Manoeuvre
SPB : Employé des services publics
RET : Retiré des affaires
SER : Domestique et personnel de service
DIV : Divers
SP : Sans profession
INC : Profession inconnue ou illisible
BAT : Bâtiment public ou privé (écoles, hôtel de ville...).

L'interprétation d'une telle représentation graphique n'a toutefois de sens que si l'on dispose d'une classification équivalente pour l'ensemble de la société grenobloise et si l'on connaît la morbidité de chaque groupe professionnel. Sur le premier point, nous devons nous contenter des quelques renseignements fournis par Henri Morsel sur la composition socio-professionnelle de la population grenobloise en 1891 2123 . Le poids de certains groupes dans les usagers de la désinfection serait ainsi conforme à celui qu'ils ont dans le corps social : il en est ainsi des ouvriers, ouvriers-artisans et manoeuvres qui représentent 39,1 % de la population générale et 37 % de la population ayant subi une désinfection. En revanche, d'autres groupes seraient sur-représentés chez les usagers de la désinfection : on peut notamment citer les employés - y compris ceux travaillant dans un service public - (6,5 % / 9,2 %), et surtout les propriétaires rentiers qui constituent l'essentiel de la catégorie " retiré des affaires " (5,8 % / 13,2 %). De telles indications sont bien minces et ne peuvent être poursuivies pour la période 1911-1914 puisque la profession n'est donnée que dans, pratiquement, un cas sur deux.

Nous ne sommes pas davantage renseignés sur la morbidité du corps social grenoblois. Rappelons seulement que si les classes populaires ont plus de chances de contracter le choléra 2124 , la variole 2125 , la tuberculose ou d'autres affections 2126 , les catégories aisées ne sont pas non plus épargnées par la maladie. Leurs intérieurs, particulièrement chargés, offrent en effet de commodes refuges aux microbes et elles sont souvent les premières victimes de la diphtérie, de la coqueluche et de la scarlatine 2127 .

Plus intéressante est l'utilisation que chaque groupe professionnel fait de la désinfection. Afin de travailler sur des effectifs plus élevés, nous avons procédé à un regroupement des différentes catégories en trois ensembles correspondant à la structure ternaire admise de la société.

Graphiques n° 25-27 : Les usages socio-professionnels des désinfections grenobloises (1890-1893 / Juillet 1911-1914)
Graphiques n° 25-27 : Les usages socio-professionnels des désinfections grenobloises (1890-1893 / Juillet 1911-1914) n° 27 : Elites (NID, CAS, RET)

Total des effectifs 1890-1893 : 274
Total des effectifs juillet 1911-1914 : 216

n° 26 : Classes moyennes (TCM, EMP, PCO, SPB)
n° 26 : Classes moyennes (TCM, EMP, PCO, SPB)

Total des effectifs 1890-1893 : 212
Total des effectifs juillet 1911-1914 : 212

n° 27 : Classes populaires (OAR, OUV, MAN, SER)
n° 27 : Classes populaires (OAR, OUV, MAN, SER)

Total des effectifs en 1890-1893 : 396
Total des effectifs en 1911-1914 : 482
Sources : AMG, 390 W 462-465 : Registres des désinfections, 1890-1914.

Liste des abréviations :
MDO : Maladie à déclaration et à désinfection obligatoire
MDF : Maladie à déclaration et à désinfection facultative
TUB : Tuberculose
DIV : Divers
PRE : Désinfection préventive
PRO : Désinfection de propreté
INC : Inconnu.

La différenciation sociale de la pratique de la désinfection s'observe surtout à travers deux éléments. Plus on descend dans l'échelle sociale, moins le recours à la désinfection pour des opérations de prévention ou de propreté est important. 37,6 % des désinfections effectuées chez les catégories aisées entre 1890 et 1893 sont pratiquées dans un but préventif ; la proportion tombe à 18,4 % pour les classes moyennes et à 8,3% pour les classes populaires. La hiérarchie reste la même dans la période 1911-1914, mais si l'on ajoute les désinfections de propreté, le poids des désinfections qui ne concernent pas directement des cas de maladies contagieuses ou infectieuses augmente dans toutes les catégories. Les seules désinfections de propreté représentent en effet 43,5 % des opérations pratiquées chez les élites, 17,4 % chez les classes moyennes et 27,8 % chez les classes populaires. Dans ce dernier cas, elles prennent nettement l'apparence d'une action professionnelle : elles concernent en effet à 89,5 % le groupe " ouvrier ou artisan " et parmi eux, on trouve 78,3 % de matelassiers. Au nombre de 94, ces derniers constituent la profession la plus représentée de l'ensemble des usagers de la désinfection de propreté. Cette sur-représentation est certainement liée aux conditions d'exercice du métier. La fabrication du matelas est en effet une industrie particulièrement malsaine et dangereuse : les matières utilisées - laine, plumes et vieux chiffons - sont de redoutables niches à microbes, que le cardage disperse dans l'atmosphère 2128 . Aussi n'est-il pas douteux que certains matelassiers grenoblois passent à l'étuve, d'eux-mêmes ou sur les recommandations du bureau d'hygiène, les matériaux employés pour se protéger de l'infection. On peut également imaginer que les nécessités de la vente commandent aussi la désinfection : celle-ci deviendrait alors un argument commercial d'autant plus fort s'il existe des pressions de la part de la clientèle.

La désinfection professionnelle existe également dans d'autres catégories, mais elle concerne des effectifs en nombre beaucoup plus faible. On peut ainsi la supposer présente chez les négociants : sur les 45 individus du groupe " négociants et industriels " ayant utilisé la désinfection dans un but de propreté, 37 ont déclaré la profession de négociants. Il faudrait, bien sûr, davantage d'informations pour conclure définitivement à utilisation professionnelle de la désinfection dans cette catégorie. Il faudrait notamment savoir si l'opération a lieu dans les appartements ou les dépôts de marchandises et connaître exactement la nature des activités de ces négociants. En l'absence de ces données, on se gardera d'aller plus en avant. En revanche, on trouve, parmi les usagers de la désinfection de propreté, des métiers à risque par le contact avec la clientèle qu'ils supposent : il y a ainsi 11 médecins sur les 36 individus du groupe " cadres et professions libérales " et 9 cafetiers, restaurateurs ou hôteliers sur les 18 petits commerçants.

La désinfection professionnelle apparaît comme une nouveauté de l'immédiate avant-guerre. Si les négociants ou les médecins 2129 apparaissaient déjà comme des familiers de la désinfection préventive entre 1890 et 1893, les matelassiers n'y figuraient que de façon très marginale. Pendant cette période d'ailleurs, la catégorie la plus nombreuse à user de la désinfection préventive était celle des propriétaires et des rentiers. Ces derniers formaient en effet 26,2 % des usagers de la désinfection préventive. On ne sait toutefois, compte tenu de la forte proportion d'inconnus en 1911-1914, si une telle représentation perdure par la suite.

La répartition des désinfections pour tuberculose constitue le second indice de la différenciation sociale de la désinfection. Leur fréquence augmente en effet au fur et à mesure que l'on descend dans l'échelle sociale. La tuberculose représente ainsi 19 % en 1890-1893 et 6,5 % en 1911-1914 des désinfections effectuées dans des foyers aisés. La proportion augmente à 27,8 % et 33,5 % pour les classes moyennes et atteint 37,6 % et 45 % pour les classes populaires. Si de tels pourcentages reflètent le caractère social de la maladie, on peut néanmoins s'étonner de l'importance accordée à une opération somme toute facultative par des catégories peu fortunées. La désinfection est, rappelons-le, une opération payante 2130 et elle représente un coût certain pour des familles ne consacrant qu'une faible part de leur budget aux dépenses de santé 2131 .

Tableau n° 35 : Coût moyen d'une opération de désinfection pour chaque groupe professionnel (Juillet 1911-1914)
  Prix moyen d'un désinfection (en francs)
Agriculteurs 4,50
Négociants et industriels 10,38
Cadres supérieurs et professions libérales 14,91
Techniciens et cadres moyens 11,59
Employés 8,03
Petits commerçants 8,69
Ouvriers ou artisans 6,19
Ouvriers 8,20
Manoeuvres 6,49
Employés des services publics 8,73
Retirés des affaires 18,12
Domestiques et personnels de service 7,36
Divers 9,67

Sources : AMG, 390 W 462-465 : Registres des désinfections, 1911-1914.

Il faudrait bien sûr replacer ces différents prix dans les revenus de chaque groupe. On peut néanmoins estimer, grâce aux données fournies par Yves Lequin, que la désinfection représente une à deux journées de travail d'un ouvrier de l'atelier ou de l'usine 2132 . En tout cas, il est évident que, pour certains ménages, les dépenses de désinfection, qui s'ajoutent souvent aux frais de maladies, constituent une gêne réelle et les familles ne manquent pas de l'exprimer. Ici, c'est cet instituteur à la retraite qui ne peut faire face à la somme de 28,85 francs que lui réclame la mairie 2133 . Là c'est cette dame dont le mari gagne 2,50 francs par jour et qui doit également payer un accouchement ainsi que les soins de ses enfants diphtériques 2134 .

Certes, la désinfection n'est pas toujours une opération payante mais la gratuité n'est accordée, dans les années d'avant-guerre, qu'avec la plus grande restriction. Le règlement de 1910 pose en effet comme condition nécessaire l'inscription sur les registres de l'assistance publique 2135 et malgré les pressions du bureau d'hygiène, la règle ne semble souffrir aucune exception 2136 . De fait, un tiers seulement des classes populaires en bénéficie entre 1911 et 1914 2137 .

Le coût de la désinfection ne constitue, pour les familles, que l'un des désagréments de l'opération. Il faut y ajouter la nécessité de se reloger temporairement pour les plus pauvres 2138 , la violation de l'intimité des foyers 2139 , les risques d'endommagements des intérieurs 2140 ou encore le manque de discrétion de la mesure 2141 . Pourtant, malgré ses multiples handicaps, la désinfection est plutôt bien accueillie par la population, contrairement à d'autres mesures 2142 . Les familles la concèdent sans trop de difficultés, la réclament et l'utilisent bien au-delà de la seule obligation légale. En fait, les avantages de la désinfection compensent de très loin ses inconvénients. Ainsi que l'explique Olivier Faure, " l'opération apparaît comme une action rassurante, voire conjuratoire, qui dispense de toute autre mesure et ne remet pas en cause les manières de vivre (...) Elle s'apparente à la prise du remède déjà si populaire " 2143 .

On peut se demander si une telle explication ne vaut pas pour les responsables sanitaires eux-mêmes et la lutte contre la tuberculose représente un exemple particulièrement significatif à cet égard. La désinfection des appartements occupés par des tuberculeux semble en effet être le seul moyen de combattre la maladie. Le directeur du bureau d'hygiène de Grenoble y veille avec attention et se félicite de son action en ce domaine, peut-être d'autant plus que les désinfections ont lieu dans des foyers populaires, par définition plus exposés à la maladie. Pour autant, la désinfection n'est pas la seule mesure propre à endiguer la tuberculose : les dispensaires de dépistage et les sanatoria apparaissent comme des instruments de lutte beaucoup plus efficaces. Or aucune initiative de ce genre n'existe à Grenoble et dans le département de l'Isère avant la première guerre mondiale 2144 . Dans toute la France même, les publics se montrent extrêmement timorés sur ce point, et à quelques exceptions près, l'abandonnent à l'initiative privée, dont l'action reste elle-même très ponctuelle et limitée 2145 .

Notes
2104.

AMG, 5 I 5 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 25 novembre 1891.

2105.

AMG, 1 R 7/1 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 11 décembre 1902 et AMG, 5 I 9 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 30 décembre 1907. Dans les deux cas, il s'agit de la scarlatine.

2106.

ADI, PER 56-103 et 111 : CG/IDAHP pour les années 1906 et 1910.

2107.

ADI, PER 56-113 et 115 : CG/IDAHP pour les années 1911 et 1912.

2108.

AMG, 5 I 3/4 : Arrêté du maire de Grenoble " ordonnant des mesures de précautions contre les maladies contagieuses et épidémiques ", 22 avril 890.

2109.

Décret du 10 février 1903 portant désignation des maladies auxquelles sont applicables les dispositions de la loi du 15 février 1902. RTOSP, Tome IV, pp. 65-66.

2110.

Les désinfections pour tuberculose représentent en moyenne 92,5 % des désinfections facultatives.

2111.

En moyenne 0,6 % de l'ensemble des désinfections.

2112.

ADI, 390 W 462-465 : Registres des désinfections, 1890-1914.

2113.

Les désinfection préventives demandées par les habitants voisins d'un foyer contaminé sont attestées dans la région lyonnaise. Olivier FAURE, " De la peur aux soins : les attitudes face aux maladies épidémiques dans la région lyonnaise au XIXe siècle ", Bulletin du centre d'histoire économique et sociale de la région lyonnaise, n°1-2, 1984, p. 81.

2114.

On trouve en effet dans les dossiers d'archives quelques communiqués de presse émanant du bureau d'hygiène, attestant de la vivacité de la rumeur publique sur l'éclosion d'épidémies. AMG, 5 I 9 : Coupure de presse, 1884 (choléra) ; Communiqué de la mairie de Grenoble, 12 septembre 1895 (fièvre typhoïde), 1900 (coqueluche).

2115.

Jusqu'en 1912, le nombre des désinfections préventives et de désinfections de propreté est sensiblement équivalent. A partir de 1913, les secondes dépassent plus largement les premières : 113 désinfections préventives sont recensées en 1913-1914 contre 280 opérations de propreté. AMG, 390 W 465 : Registre des désinfections, juillet 1911-1914.

2116.

Pierre DARMON, L'homme et les microbes, Paris, Fayard, 1999, pp. 431-432 et 436-437.

2117.

Cette crainte de la stigmatisation sociale est particulièrement vivace chez les élites, comme l'a montré Catherine Pellissier pour le cas lyonnais. Catherine PELLISSIER, " La médicalisation des élites lyonnaises au XIXe siècle ", Revue d'histoire moderne et contemporaine, n° 43-4, octobre-décembre 1996, p. 655.

2118.

Georges VIGARELLO, Le sain et le malsain. Santé et mieux-être depuis le Moyen-Age, Paris, Seuil, 1993, p. 261.

2119.

Ibid, p. 260 et Pierre DARMON, L'homme et les microbes, op. cit., p. 414-415, 474 et 492.

2120.

Georges VIGARELLO, Le sain et le malsain..., op. cit., p. 261.

2121.

Ibid, p. 262. Sur l'évolution des pratiques de propreté corporelle, voir du même auteur, Le propre et le sale..., op. cit.

2122.

Les registres des désinfections indiquent la profession des utilisateurs entre 1890 et 1893 ainsi qu'entre juillet 1911 et 1914. Pour les classer, nous avons utilisé la classification des groupes socio-professionnels élaborée par Jean-Luc Pinol à partir de sondages effectués dans les listes électorales lyonnaises entre 1896 et 1936. Jean-Luc PINOL, Mobilités et immobilismes d'une grande ville : Lyon de la fin du XIXe siècle à la première guerre mondiale, Thèse de doctorat d'Etat, Université Lyon II, 1989, pp. 339-377 et annexe n°27 : Dictionnaire des appellations professionnelles.

2123.

Vital CHOMEL (dir.), op. cit., p. 290. La classification socio-professionnelle utilisée par Henri Morsel est la suivante : salariés agricoles, domestiques, ouvriers, employés commis, propriétaires exploitants, patrons de l'industrie et du commerce, professions libérales et administratives, propriétaires rentiers, militaires, divers (étudiants, hospitalisés), familles des actifs. Cette dernière catégorie a été retirée de notre base de calcul.

2124.

Patrice BOURDELAIS, Jean-Yves RAULOT, op. cit., pp. 119-123.

2125.

Pierre DARMON, La longue traque de la variole..., op. cit., pp. 391-394.

2126.

Gérard JACQUEMET, Belleville au XIXe siècle. Du faubourg à la ville, Paris, Editions de l'EHESS, 1984, pp. 232, 248-253 et 259-262.

2127.

Pierre DARMON, L'homme et les microbes, op. cit., p. 437.

2128.

Pierre DARMON, L'homme et les microbes, op. cit., pp. 472-473.

2129.

Soit 16 négociants sur 45 négociants et industriels pratiquant la désinfection préventive et 12 médecins sur 36 cadres et professions libérales.

2130.

Cf. supra, chapitres I et III, p. 116 et 321-322.

2131.

Yves LEQUIN, Les ouvriers de la région lyonnaise...., Tome 2, op. cit., p. 35.

2132.

Ibid., p. 61.

2133.

AMG, 5 I 5/1 : Lettre d'un instituteur retraité au maire de Grenoble, 7 décembre 1908.

2134.

AMG, 5 I 5/1 : Lettre de madame P. au maire de Grenoble, 8 mai 1913.

2135.

Le graphique de l'annexe n°41 rapporte l'évolution de la répartition des désinfections gratuites et payantes entre 1890 et 1914. Celle-ci reflète la position de la ville de Grenoble vis-à-vis de la gratuité qui évolue au gré de la réglementation. Ainsi, en 1889, un certificat du bureau de bienfaisance est nécessaire et les désinfections gratuites représentent environ le tiers des opérations de désinfection. A partir de 1903, une simple enquête du bureau d'hygiène suffit et le graphique témoigne de cette libéralité : la proportion de désinfections gratuites varie entre 58,3 % et 74 %. Avec le retour aux listes de l'assistance publique, le poids des désinfections gratuites retombe autour de 25, 6 %. AMG, 5 I 3/4 : Règlement du bureau d'hygiène de Grenoble, 16 décembre 1889 ; AMG, 5 I 3 : Règlements du bureau d'hygiène de Grenoble des 30 décembre 1889 et 1er avril 1910 ; AMG, 390 W 462-465 : Registres de désinfection, 1890-1914 et AMG, 390 W 5-21 : Annuaires du bureau d'hygiène de Grenoble, 1890-1908.

2136.

En 1911, le directeur du bureau d'hygiène réclame l'autorisation d'accorder lui-même la gratuité après une enquête auprès des intéressés. " Si la loi est exécutée à la lettre, explique-t-il, il est certain que les désinfections pour tuberculose ne pourront presque plus se faire ; les intéressés refuseront énergiquement si l'on exige le paiement. Bien souvent, ces individus, quoique non inscrits à l'assistance publique, sont dans une indigence relative par suite de la maladie du membre de la famille décédé ou entré à l'hôpital et ne peuvent payer ". La requête du directeur du bureau d'hygiène est refusée par le maire. AMG, 5 I 5/1 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 4 juillet 1911 et 390 W 28 : Lettre du maire de Grenoble au directeur du bureau d'hygiène, 7 juillet 1911.

2137.

AMG, 390 W 465 : Registres des désinfections, 1911-1914.

2138.

Le directeur du bureau d'hygiène de Grenoble se montre particulièrement sensible au problème des familles pauvres qui doivent quitter leur chambre ou leur appartement le temps de la désinfection, et par conséquent doivent se reloger temporairement. Sur sa proposition, le conseil municipal vote, le 29 mars 1912, un crédit de 100 francs destiné à couvrir les frais de logement temporaire des familles nécessiteuses. Notons qu'à Paris, le problème se pose dans des termes plus aigus puisque la désinfection entraîne parfois des expulsions de locataires par leur propriétaire. AMG, 5 I 5/1 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 13 décembre 1911 et conseil municipal de Grenoble, séance du 29 mars 1912. Lion MURARD, Patrick ZYLBERMAN, L'hygiène dans la République..., op. cit., p. 403.

2139.

Olivier FAURE, Les Français et leur médecine..., op. cit., p. 262.

2140.

Ibid, pp. 262-263 et AMG, 5 I 5/1 : Lettre du directeur du bureau d'hygiène au maire de Grenoble, 19 octobre 1912. Le directeur du bureau d'hygiène évoque le cas de deux appartements inondés parce que le désinfecteur avait oublié de fermer le robinet d'eau.

2141.

Olivier FAURE, Les Français et leur médecine..., op. cit., p. 262.

2142.

Ibid, pp. 264-266. L'auteur évoque l'attitude de la population face à l'isolement des malades contagieux et aux précautions alimentaires. On retrouve la plupart de ces comportements dans le département de l'Isère. Ainsi, faire bouillir de l'eau pour limiter les risques de transmission de la fièvre typhoïde semble une folie aux yeux des habitants de Salaise et les médecins cantonaux se plaignent unanimement de l'impossibilité d'obtenir l'isolement des malades. ADI, 4 Z 130 : Commission sanitaire de Beaurepaire, séance du 4 décembre 1913 et ADI, PER 56-105 et 56-107 : CG/IDAHP pour les années 1907 et 1908.

2143.

Olivier FAURE, Les Français et leur médecine..., op. cit., p. 263.

2144.

La question de la fondation d'un dispensaire antituberculeux est étudiée à Grenoble dès 1902, à la suite d'une sollicitation de l'Oeuvre générale des dispensaires antituberculeux. Elle ne reçoit aucune concrétisation, la ville ayant estimé que ses " ressources ne permettaient pas de contribuer à la création de cette oeuvre ". L'étude de la fondation d'un dispensaire et d'un sanatorium est remise à l'ordre du jour du conseil municipal en 1913 et 1914. AMG, 5 I 10 : Lettre du maire de Grenoble au Président de l'Oeuvre des dispensaires antituberculeux, 20 février 1903 et RDCM : Conseil municipal de Grenoble, séances du 28 novembre 1913 et 20 février 1914.

2145.

Il faut en fait attendre la première guerre mondiale pour que la lutte contre la tuberculose soit l'objet d'un investissement massif des pouvoirs publics. Yvonne KNIBIEHLER, " La " lutte antituberculeuse " instrument de la médicalisation des classes populaires ", Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, Tome 86, n°3, 1979, pp. 321-329 ; Olivier FAURE, Dominique DESSERTINE, op. cit., pp. 14-26 et chapitre 2 : " L'apparition de l'Etat ". Lion MURARD, Patrick ZYLBERMAN, L'hygiène dans la République..., op. cit., cinquième partie : " Le sacrifice : la Belle époque face à la tuberculose ".