b. Des remèdes aux causes d'insalubrité les plus criantes

Si l'on met en parallèle le nombre de logements visités par la commission et le le nombre de réparations prescrites entre 1884 2185 et 1903, les deux courbes suivent le même mouvement mais la ligne des travaux est toujours au-dessus. Le rapport moyen entre ces deux ensemble de données varie de 1,5 en 1889 à 4 en 1898, toujours en faveur des réparations. Si ces chiffres semblent peu significatifs, parce qu'ils représentent des moyennes, ils reflètent néanmoins l'état de l'habitat grenoblois : celui-ci ne souffre pas d'une seule cause d'insalubrité, mais de plusieurs. Le tableau suivant indique la répartition des différentes réparations prescrites par la commission.

Tableau n° 36 : Répartition des réparations prescrites par la commission des logements insalubres de Grenoble (1884-1903)
Travaux de réparations : Nbre %
Réfection des lieux et fosses d'aisance 941 41,8
Réfection des parties communes 802 35,6
Réfection des systèmes d'évacuation des eaux pluviales et ménagères 288 12,8
Réfections des toitures 88 3,9
Aération, isolement 56 2,5
Assainissement général du logement 40 1,8
Divers 34 1,5
Total 2249 100

Sources : AMG, 5 I 12 : Commission des logements insalubres. Statistiques générale des travaux, 1879, 1881-1882, 1901-1902 et AMG, 390 W 5-14 et 16 : Annuaires du bureau d'hygiène de Grenoble et rapports sur le fonctionnement du bureau d'hygiène, 1890-1900 et 1903.

Trois grands types de travaux se partagent l'essentiel des prescriptions de la commission des logements insalubres. Les plus nombreux portent sur les lieux et les fosses d'aisance, dont l'état motive d'ailleurs la majorité des plaintes des Grenoblois 2186 . Il est vrai que leur installation laisse souvent à désirer. Mal aérés, communiquant directement et parfois ouvertement avec la fosse, les WC refoulent par les conduits les odeurs du réceptacle et empestent les appartements, quelques étages, voire la maison entière 2187 . L'odeur peut être si prononcée qu'" à certains moments, (il est) impossible de rester dans la pièce voisine " 2188 . Les locataires du 38 quai de France sont, eux, obligés de s'envelopper la figure pour traverser le couloir 2189 . Les habitants ne sont pas seulement confrontés à la puanteur des lieux d'aisance, ils sont aussi parfois en contact direct avec la matière. Dans cet immeuble, " la cuvette du siège du 3° étage déverse presque continuellement dans le cabinet de l'étage inférieur ", de sorte que le plaignant " ne peut pas se servir de son siège sans s'exposer lui et les siens à être sali par les immondices découlant de l'étage supérieur " 2190 . Si les conduits de descente ou la fosse sont percés ou fissurés, les matières se répandent alors dans les caves 2191 , les appartements 2192 ou sur les trottoirs 2193 .

Pour remédier à ces diverses situations, la commission des logements insalubres prescrit divers types de réparations, qui se répartissent dans des proportions presque identiques. Elle recommande particulièrement la pose de systèmes inodores, tels que le siphon ou le clapet, l'établissement ou la réfection de gaine de ventilation aux fosses d'aisance, la réfection des tuyaux de descente, des fosses ou encore des sièges d'aisance.

Non moins importants sont les travaux destinés à améliorer l'état des parties communes. Le crépissage et le blanchissage des façades intérieures, des allées et des escaliers constituent près de 80 % de ce type de réparations indiquées par la commission des logements insalubres. Les murs et les plafonds de certains immeubles de la vieille ville apparaissent en effet particulièrement malpropres et vétustes. Ils sont noircis par l'usage 2194 ou par les fumées des usines environnantes 2195 tandis que de grandes parcelles d'enduit boursouflent et se détachent 2196 . Le reste des travaux proposés concerne soit la réfection des dallages des cours et des allées, soit celle des escaliers, dont le mauvais état occasionne de nombreux accidents 2197 .

La troisième grande cause d'insalubrité signalée à la commission concerne les problèmes d'écoulement des eaux pluviales et ménagères. Les habitants sont alors exposés à deux sortes d'inconvénients. Le mauvais état des éviers et des tuyaux de descente est tout d'abord susceptible de produire des infiltrations dans les appartements 2198 . Mais les habitants sont surtout sensibles à la mauvaise odeur des eaux usées croupissant dans les cours par suite d'un système d'évacuation défectueux 2199 . Aussi, la commission des logements insalubres prescrit-elle particulièrement la réfection des éviers et des tuyaux de descente ainsi que la réparation ou la couverture des rigoles d'écoulement.

La commission trouve ainsi une solution aux problèmes d'insalubrité de 99,4 % des habitations qu'elle inspecte. Pour l'infime proportion restante, l'insalubrité est telle que la seule mesure à prendre consiste à déclarer le logement inhabitable : huit habitations, souffrant de graves problèmes d'humidité et d'aération 2200 connaîtront ainsi ce sort entre 1884 et 1903. Ces quelques éléments montrent bien que la commission des logements insalubres, malgré ses interventions, reste très prudente face à la propriété privée 2201 , à l'image du cadre juridique dans lequel elle agit. L'exécution rapide des travaux d'assainissement dépendant avant tout de la diligence des propriétaires, il reste à savoir comment ceux-ci se comportent face aux interventions municipales.

Notes
2185.

Les années antérieures n'ont pas été retenues car le mode de comptabilisation des réparations prescrites est différent. Par exemple, entre 1879 et 1882, les membres de la commission indiquent le nombre de marches d'escaliers à refaire tandis qu'entre 1884 et 1903, ils comptent le nombre d'escaliers à réparer.

2186.

Sur 306 plaintes relatives à l'habitat recensées aux archives municipales entre 1880 et 1913, 41,5 % concernent les lieux et fosses d'aisance. AMG, 5 I 13 à 5 I 17/1 : Plaintes des Grenoblois sur l'état de leurs habitations.

2187.

Ville de Grenoble, Conseil municipal : séance du 22 novembre 1886, Rapport de Monsieur le docteur Girard sur l'assainissement de Grenoble..., op. cit.,pp. 8-11.

2188.

AMG, 5 I 14 suite : Plainte d'un locataire du 5 rue Champollion, 15 septembre 1890.

2189.

AMG, 5 I 13 : Plainte de deux locataires du 38 quai de France, 8 juillet 1898.

2190.

AMG, 5 I 16 : Plainte d'un locataire du 7 rue du Pont Saint-Jaime, 18 novembre 1889.

2191.

AMG, 5 I 15 : Plainte d'une habitante contre la fosse du 17 rue Lafayette, 5 juillet 1890.

2192.

AMG, 5 I 14 suite : Plainte d'un habitant de la montée Chalemont, 7 janvier 1890, 5 I 15 : Plainte d'un habitant du 101 rue Lakanal, 28 janvier 1890 et Plainte d'un locataire du 3 rue Michelet, 26 mars 1890.

2193.

AMG, 5 I 13 : Plainte de neuf locataires du 3 rue du Fer à cheval, 20 janvier 1890.

2194.

AMG, 5 I 14 : Commission des logements insalubres, séance du 6 novembre 1889 (17 rue Chenoise) ; AMG, 5 I 16 : Commission des logements insalubres, séance du 26 août 1896 (10, 12 et 14 rue Sainte-Claire) ; AMG, 5 I 17 / 1 : Commission des logements insalubres, séance du 25 janvier 1905 (14 place Notre-Dame).

2195.

AMG, 5 I 17 / 1 : Rapport de l'architecte Michon à la commission des logements insalubres sur l'immeuble 8 rue Etienne Forest, sans date.

2196.

AMG, 5 I 15 : Commission des logements insalubres, séance du 22 novembre 1895 (7 rue Montorge) ; AMG, 5 I 16 : Commission des logements insalubres, séance du 26 août 1896 (10, 12 et 14 rue Sainte-Claire) ; AMG, 5 I 16 : Plainte de 12 locataires du 31 rue Servan, 10 avril 1899.

2197.

AMG, 5 I 16 : Plainte de 11 habitants du 10 rue du Faubourg Très-Cloîtres, 20 septembre 1890. Quatre accidents se sont produits en deux mois.

2198.

AMG, 5 I 16 : Plainte d'un locataire du 16 rue Jean-Jacques Rousseau, 30 août 1890 ; AMG, 5 I 14 suite : Plainte d'une habitante du 12 montée de Chalemont, 17 mai 1905.

2199.

Par exemple, AMG, 5 I 16 : Plainte d'un locataire du 51 rue Saint-Laurent, 6 novembre 1895.

2200.

Par exemple, AMG, RDCM : Conseil municipal de Grenoble, séances des 13 août 1884 et 14 juin 1901.

2201.

Les dossiers des logements déclarés inhabitables par la commission sont d'ailleurs transmis au conseil municipal.