La répression est le premier moyen à la disposition des autorités publiques pour faire respecter la réglementation sanitaire. Les contrevenants aux arrêtés de salubrité publique risquent ainsi la poursuite devant le tribunal de simple police et une amende de un à cinq francs 2277 . Ces sanctions sont évidemment appliquées dans le département de l'Isère. Entre 1887 et 1904, 1 711 infractions aux règlements de salubrité publique sont ainsi poursuivies devant le tribunal de simple police de Grenoble 2278 . La majorité d'entre elles - 62,7 % - concernent les dépôts d'immondices et les embarras sur la voie publique ; viennent ensuite, à hauteur de 16,3 %, les contraventions dressées pour secouage de tapis et vases de fleurs non assujettis ; le reste se répartit entre les élevages de volailles et de lapins, les jets d'eau et autres matières par les fenêtres, les actes de lavage et d'abreuvement aux fontaines publiques, le défaut de propreté des habitations et de vidange des fosses d'aisance.
Il n'est pas possible de savoir si l'application de la loi du 15 février 1902 entraîne à Grenoble une hausse des poursuites. La chose est peu probable au regard de ce qui se passe globalement dans l'ensemble du département et ailleurs 2279 : le nombre de contraventions augmente certes très légèrement entre 1904 et 1906, au moment de la promulgation des règlements sanitaires, mais la hausse était déjà amorcée deux ans auparavant. De plus, le nombre des poursuites diminue à partir de 1907, accuse une franche diminution en 1910 puis une brusque remontée entre 1911 et 1912. D'autres données, recueillies pour des juridictions de moindre importance, confirment que les poursuites ne semblent obéir à aucune politique particulière d'accentuation de la répression. Aucun contrevenant n'est ainsi traduit devant les tribunaux de simple police de Saint-Marcellin et de Beaurepaire à partir de 1904 2280 . A Bourgoin, le nombre moyen annuel de contraventions déférées avant et après 1904 reste sensiblement le même : 1,9 contre 1,6 2281 . En fait, si la fréquence des poursuites engagées répond à une logique particulière, c'est à celle de la catastrophe épidémique. Le fait est surtout sensible dans la juridiction de Bourgoin où 41,4 % des contraventions poursuivies entre 1880 et 1910, le sont en 1884, année où le choléra menace de nouveau le territoire français.
La répression des infractions à la réglementation sanitaire ne se limite pas à l'engagement de poursuites judiciaires, des condamnations sont également prononcées à l'encontre des contrevenants. Elles paraissent même être quasi-systématiques si l'on se réfère aux juridictions de Beaurepaire, Saint-Marcellin et de Bourgoin 2282 . Dans les deux premières, tous les contrevenants ont été condamnés à payer une amende tandis qu'à Bourgoin, un seul procès-verbal sur 58 a donné lieu à une relaxe 2283 . Les tribunaux restent cependant plutôt cléments. Ainsi, sur les 81 contrevenants poursuivis dans les trois juridictions entre 1880 et 1914, 67 ont été condamnés à une amende d'un franc, soit la peine minimale prévue. La peine maximale, une amende de cinq francs, n'a été prononcée que pour quatre d'entre eux.
C'est surtout en amont que la mansuétude des autorités publiques pour les infractions à la réglementation sanitaire se vérifie. La faiblesse numérique, et surtout relative, des contraventions dressées pour cet objet en constitue un premier indice. A Grenoble, celles-ci ne représentent que 3,8 % de l'ensemble des contraventions de simple police ; la proportion tombe à 1,4 % pour Bourgoin, à 0,5 % pour Saint-Marcellin et à 0,2 % pour Beaurepaire. De plus, il semble que la répression soit strictement cantonnée au cadre urbain : c'est ainsi que sur les 18 contraventions poursuivies devant le tribunal de police de Saint-Marcellin, 17 ont été dressées pour des faits ayant eu lieu à Saint-Marcellin. Il est en de même dans la juridiction de Bourgoin, où 56 contraventions sur 58 ont été relevées dans les villes de Bourgoin et de Jallieu.
Si ces maigres pourcentages peuvent indiquer que les infractions aux arrêtés de salubrité publique sont moins nombreuses que les autres, ils peuvent également signifier que les poursuites sont moins systématiquement engagées pour ce type d'infractions. En effet, le procès-verbal ne constitue pas la première réponse apportée à l'infraction constatée, il n'est établi qu'après un ou plusieurs avertissements de la police 2284 . C'est ainsi qu'à Grenoble, 27,4 % des enquêtes de police menées à la suite de plaintes se concluent par une injonction ordonnant de faire disparaître la cause d'insalubrité 2285 . La contravention n'est dressée que dans 5 % des cas 2286 et ne concerne, le plus souvent, que des personnes n'ayant pas satisfait aux observations du service 2287 . Cette prudence dans l'emploi de l'arme répressive n'est évidemment pas propre à la ville de Grenoble ; on la retrouve dans la plupart des autres communes de l'Isère. L'inspecteur départemental déplore fréquemment l'inapplication des règlements sanitaires 2288 , qu'il attribue aux hésitations des maires à user de la coercition : ce genre d'intervention, explique-t-il, "s'évanouit devant le geste de l'électeur " 2289 . Plusieurs autres solutions sont alors avancées pour obtenir le respect des arrêtés municipaux relatifs à la salubrité publique. La plus radicale serait de transférer au préfet l'exécution de la réglementation sanitaire. Mais si la plupart des maires accueilleraient la mesure " avec plaisir " 2290 , celle-ci demeure toutefois de l'ordre du virtuel en raison du trop grand bouleversement juridique qu'elle implique. Il reste alors à se tourner du côté de la population elle-même pour entreprendre son éducation hygiénique.
Article 471 § 15 du code pénal reproduit in André-Justin MARTIN et Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., p. 450.
AMG, 1 I 1 : Rapports annuels du commissaire central sur le service de la police locale pour les années 1887-1904.
Cf. Annexe n°44.
ADI, 9 U 156 à 167 : Jugements du tribunal de simple police de Beaurepaire, 1888-1914 et 9 U 2218 à 2247 : Jugements du tribunal de simple police de Saint-Marcellin, 1880-1914.
ADI, 9 U 391 à 400 : Jugements du tribunal de simple police de Bourgoin, 1880-1910.
Il n'est pas possible d'établir pour Grenoble le rapport entre le nombre de contraventions poursuivies et le nombre de condamnations prononcées. Les rapports annuels du commissaire central de police se contentent en effet d'indiquer uniquement le montant global des amendes. Ainsi deux contraventions et quatre francs d'amende ne signifient pas forcément que tous les contrevenants ont été condamnés à deux francs d'amende. Il est également possible qu'un seul ait été condamné à une amende de quatre francs ou encore qu'une amende d'un franc et une de trois francs aient été prononcées.
L'infraction n'avait pas été formellement établie dans ce cas. ADI, 9 U 392 : Tribunal de simple police de Bourgoin, audience du 10 août 1885.
AMG, 1 I 1 : Rapports du commissaire central de Grenoble sur le service de la police locale pendant les années 1889 et 1891.
AMG, 1 I 105 et 106 ; AMG, 1 I 114 à 1 I 115 ; AMG, 5 I 13 à 5 I 16 : 201 plaintes des Grenoblois sur l'insalubrité urbaine. On retrouve ici un autre exemple des " normes secondaires d'application " mises en évidence par Pierre Lascoumes. Selon l'auteur, l'établissement des procès-verbaux constitue une norme " de règlement des conflits ", destinée " à cadrer la résolution des situations conflictuelles ". Pierre LASCOUMES, op. cit., pp. 65-66.
Le reste des suites données aux plaintes se répartit ainsi : plaintes infondées (15,4 %), disparition de la cause d'insalubrité (23,4 %), rien à signaler (21,9 %), inconnu (7 %).
Par exemple, AMG, 5 I 14 suite : Rapport du commissaire central de police, 1er juin 1894 (plainte relative à un dépôt de fumier) ; AMG, 1 I 115 : Rapport du commissaire de police du 3e arrondissement, 26 août 1896 (défaut de vidange d'une fosse d'aisance) ; AMG, 1 I 115 : Rapport du commissaire de police du 2e arrondissement, 4 novembre 1903 (défaut de propreté d'un cabinet d'aisance). Dans ces trois cas, les commissaires de police indiquent explicitement que les auteurs des infractions n'ont tenu aucun compte des avertissements de police.
ADI, PER 56-105, 111, 113 et 115 : CG/IDAHP pour les années 1907, 1911 à 1913.
ADI, PER 56-105 : CG/IDAHP pour l'année 1907.
Ibid.