1.2 Le « passif du datif » ou voix du récipiendaire

1.2.1 Préliminaires terminologiques

Après avoir présenté le « passif de l’accusatif », nous nous proposons d’étudier une autre structure que H.-W. Eroms qualifie - par analogie - de « passif du datif »71. Cette structure, apparue relativement récemment (vraisemblablement à la fin du XVIe siècle72), associe le verbe « bekommen » (ou ses variantes en « kriegen » et « erhalten ») à un participe II. Elle plaît particulièrement à la jeunesse qui en fait un usage fréquent à l’oral et dans sa correspondance. A l’écrit, elle est plus utilisée dans la littérature « utilitaire » et dans la littérature technique que dans les belles lettres73.

La structure « bekommen + participe II » est souvent présentée comme une « construction active concurrente du passif »74. Sur le plan de la morpho-syntaxe, elle se rapproche de la diathèse active car elle n’est pas formée au moyen de l’auxiliaire « werden ». Sur le plan informatif-communicatif, elle présente une caractéristique de la diathèse passive en offrant la possibilité de passer l’agent sous silence. Elle permet une réduction actancielle dans environ 85 % des énoncés : S. Vesterhus trouve 89,3 % de diathèses « bekommen + participe II » réalisées sans agent, D. Baudot 86,5 %, nous en trouvons 85,9 %, M. Vuillaume 85 % et H.-W. Eroms 77,9 %. La comparaison de ces résultats nous amène à infirmer la conclusion que tire H.-W. Eroms des données statistiques obtenues pour son propre corpus : « Verglichen mit dem werden-Passiv und dem sein-Passiv ist beim bekommen-Passiv die Zahl der Sätze, in denen eine subjektfähige Präpositionalphrase steht, größer : werden-Passiv : 13,7 % ; sein-Passiv : 12,6 % ; bekommen-Passiv : 22,1 %. Daraus wird wiederum deutlich, daß das bekommen-Passiv nicht eine bloße Variante des werden-Passivs ist. »75 Quand la construction fait apparaître l’agent, il est presque toujours introduit par la préposition « von »76 et désigne un animé humain, voire un agent métonymique. Il n’occupe pas une place fixe dans l’énoncé. Il précède, suit immédiatement en chaîne l’objet à l’accusatif, peut être rejeté en après-dernière position ou apparaître en tête d’énoncé (ce dernier cas n’est pas attesté dans notre corpus, mais semble a priori possible) :

  • Der gesperrte Blanc bekam als erster von Kapitän Deschamps den Pokal gereicht, und der Zusammenhalt strahlte auf das ganze Land ab. (Süddeutsche Zeitung n°159, 14.07.1998, p.29)

  • Der junge Gruhl, der ums Wort gebeten und dieses erhalten hatte, sagte, ihm läge nichts daran, von der Bundeswehr irgend etwas, und sei es ein Gerichtsverfahren, geschenkt zu bekommen. (ED, p.380)

  • Hapag-Lloyd-Chef Bernd Wrede, einer der Verlierer in Frenzels Firmen-Monopoly, muß seine einträgliche Charterfluggesellschaft und Reisebürokette abgeben und bekommt dafür die Transport- und Logistikunternehmen VTG-Lehnkering und Algeco von der Preussag zugeschanzt. (Der Spiegel n°28, 12.07.1999, p.76)

  • [...] fast alle Anwesenden kannten sie, wußten auch, daß sie während ihrer zehn Wochen dauernden Untersuchungshaft Frühstück, Mittagessen und Abendbrot aus dem besten Haus am Platze gebracht bekamen, von einer jungen Dame, einem der hübschesten Mädchen, die je im Kreis Birglar aufgewachsen waren (ED, p.360)

Plutôt que de parler de « construction active concurrente du passif », il nous semble préférable de poser l’existence d’une troisième voix : la « voix du récipiendaire »77. Elle vient pallier une insuffisance dans le système des voix en privilégiant un actant que la voix active et la voix passive ne sont pas à même de mettre en perspective. Elle ne privilégie en effet ni l’agent, ni le patient, mais la « personne intéressée ». Elle n’exprime pas une « perspective proche de celle du passif »78, elle exprime une perspective autre que celle du passif et que celle de l’actif. Ce qui fonde pour D. Baudot son statut de « voix du récipiendaire », c’est précisément qu’elle offre une troisième perspective sur le procès en transposant le complément d’attribution des voix active et passive en fonction de sujet grammatical. Lors de la transformation de la voix active à la voix du récipiendaire, le sujet de la voix active devient le complément d’agent et le complément d’objet n’est pas affecté. Lors de la transformation de la voix passive à la voix du récipiendaire, le sujet de la voix passive devient le complément d’objet et le complément d’agent reste identique :

Notes
71.

Cf. EROMS 1978, p.401 : « Dativpassiv in Analogie zum Akkusativpassiv ».

72.

Cf. ASKEDAL 1984, p.16 : « Daß der Bereich der Dativkonversion weniger voll zur Entfaltung gekommen ist, kann auch aus entwicklungsgeschichtlicher Perspektive betrachtet werden. Die Akkusativkonversion reicht in die germanische und idg. Vorzeit zurück, während die erst durch die bekommen / kriegen / erhalten-Fügung ermöglichte Dativkonversion eine verhältnismäßig junge Entwicklung des (Früh-)Nhd. ist ; die ältesten möglichen Beispiele bei Eroms (1978 : 365 f.) und Wellander (1964 : 139) stammen aus dem späten 16. bzw. aus dem 17. Jh. ».

73.

BAUDOT 1989, p.363

74.

SCHANEN & CONFAIS 1989, p.183, § 269

75.

EROMS 1978, p.388

76.

Cf. VESTERHUS 1985, p.30 : « Als Präposition der Agens-PP scheint für das bekommen-Passiv fast ausschließlich von in Frage zu kommen, was auch mit dem Ergebnis der Untersuchung von Leirbukt übereinstimmt. » Nous avons également rencontré la préposition « bei » à valeur locative et indirectement agentive : « Samstags- und Sonntagsarbeit bekomme ich bei beiden gesondert bezahlt. » (VEKB, p.25)

77.

Cf. BAUDOT 1989, pp.369-370

78.

SCHANEN & CONFAIS 1989, p.183, § 269