1.2.2 La relation de possession

La construction « bekommen + participe II » n’est pas réductible à ce que l’on a pu appeler - par analogie avec le « passif de l’accusatif » - « le passif du datif ». Elle ajoute une information à la simple paraphrase par « werden + participe II » en faisant intervenir le sémantisme du verbe « bekommen » lorsqu’il n’est pas déjà impliqué par le participe II (« aushändigen », « überreichen », etc.) ou lorsqu’il n’est pas contraire au sémantisme du participe II (« wegnehmen », « abkaufen », etc.). L’énoncé « Den Psychologen ist eine Camera obscura gebaut worden » n’est pas équivalent sémantiquement à « Die Psychologen haben eine Camera obscura gebaut bekommen ». En effet, la version au passif processuel n’interdit pas la suite textuelle « Aber die Psychologen haben die Camera obscura nicht bekommen » tandis que la version avec la construction « bekommen + participe II » l’interdit. A la voix passive, les psychologues sont les simples destinataires de la chambre noire. A la « voix du récipiendaire », les psychologues sont les possesseurs de la chambre noire. Il y a modification de leur statut. Au moment où le procès s’achève, ils se trouvent dans un état distinct de celui que l’on pouvait observer avant le début du procès.

O. Leirbukt apporte quelques précisions sur les conditions requises pour que la construction « bekommen + participe II » revête une valeur transformative par rapport à la diathèse passive. Il insiste particulièrement sur le rôle des paramètres spatiaux-temporels79 et note 1°) que le verbe doit être à un temps du passé (en particulier au parfait), 2°) qu’il doit s’écouler un certain laps de temps entre le début et la fin du processus de transaction (le procès doit prendre un certain temps) et 3°) que les deux partenaires de la transaction ne doivent pas être au contact l’un de l’autre au moment de l’échange. Ainsi, dans le cas du verbe « aushändigen », la construction « bekommen + participe II » ne dit rien de plus que la diathèse passive car 1°) les deux participants sont au contact l’un de l’autre au moment de la transaction et 2°) entre le début et la fin de la transaction, il s’écoule un laps de temps si petit qu’il ne subsiste aucune incertitude quant à la réception de l’objet de l’échange. Dans le cas du verbe « einsetzen », c’est le préverbe « ein- » qui se charge d’exclure toute éventualité d’une non-réception de l’objet en marquant l’entrée de cet objet dans l’espace clos que constitue le corps de la personne réceptrice : « Zusätzlich bekam etwa ein Drittel der Behandelten ein Metallröhrchen (Stent) eingesetzt, das die aufgesprengte Arterie vor dem erneuten Verschluß bewahren soll » (Focus n°34, 17.08.1998, p.136). Sous peine d’incohérence, on ne peut pas dire d’un trait *« Sie haben ein Metallröhrchen eingesetzt bekommen / ihnen ist ein Metallröhrchen eingesetzt worden, aber sie haben das Metallröhrchen nicht bekommen ».

H. Seiler considère la notion de possession comme caractéristique de la construction « bekommen + participe II » : « Beim Einpacken vertauschte die Verkäuferin aus Versehen die Sachen ; so bekam die Schwester die Handschuhe eingepackt und der junge Mann bekam unwissend das Paket mit dem Höschen » (extrait d’une blague). H. Seiler ne définit pas la notion de possession comme possession d’un objet, mais comme possession d’un acte et ne la lie pas à l’agent qui n’est pas le « possessor of an act »80. F. Schanen illustre parfaitement la thèse défendue par H. Seiler sans toutefois s’y référer explicitement. Il part de l’exemple « Er bekommt den Brief geöffnet » et en propose une double lecture. Dans la première lecture, le sujet grammatical est le simple récipiendaire d’une lettre ouverte (« Er bekommt / den Brief geöffnet »). Le participe II « geöffnet » qualifie « den Brief » et peut figurer en fonction épithétique : « Er bekommt den geöffneten Brief ». Il correspond à une « proposition clandestine » qui constitue une structure attributive : « Er bekommt den Brief. Der Brief ist geöffnet » / « Er bekommt den Brief, der geöffnet ist »81. Dans la deuxième lecture, le sujet grammatical est le « bénéficiaire d’un acte »82 (ouvrir la lettre) qu’une autre personne accomplit pour lui (« Er bekommt / den Brief / geöffnet »).

L’impossibilité de rencontrer la structure « bekommen + participe II » avec certains verbes divalents ou trivalents s’explique en partie par l’impossibilité de concevoir pour ces verbes la relation de possession. K.-R. Choi83 donne l’exemple des verbes trivalents « vorziehen » et « aussetzen » pour lesquels l’objet au datif (qui suit en chaîne son homologue à l’accusatif) n’est pas conçu comme « the one possessing the act » : « Karl zieht Milch allen anderen Getränken vor », « Man setzte ihn unnötig einer Gefahr aus ». La relation établie entre les deux entités apparaissant dans les fonctions d’objet à l’accusatif et d’objet au datif n’est pas la même dans les deux cas. « Vorziehen » marque une préférence, il traduit un jugement graduatif dans une perspective comparative : l’une des entités est placée au-dessus de l’autre. « Aussetzen » implique que l’entité exerçant la fonction d’objet à l’accusatif (« er ») se trouve dans une situation dommageable (« Gefahr ») pour elle : la relation est « locative » (« Er ist in Gefahr »).

Notes
79.

LEIRBUKT 1997, pp.190-193

80.

SEILER 1977, p.169

81.

Remarquons au passage que pour M. Reis (1976, p.72), la périphrase « bekommen + participe II » est née de la réduction d’un énoncé complexe, constitué du verbe « bekommen » exprimant l’acquisition, d’un complément d’objet à l’accusatif et d’une relative au passif processuel : « Maier bekommt den Ball von Müller zugeworfen » <--- « Maier bekommt den Ball [, der] von Müller zugeworfen [wird] ». J. O. Askedal (1984, pp.32-33) souligne les limites de l’analyse de M. Reis en montrant : 1°) qu’elle ne permet pas de rendre compte des constructions où « bekommen » fonctionne comme auxiliaire (cf. infra) car elle se limite à un cas de figure dont M. Reis dit qu’il est historiquement premier ; 2°) qu’elle nécessite la réalisation de l’objet à l’accusatif et que cet objet ne peut être topicalisé (c’est nous qui ajoutons cette remarque) ; 3°) qu’elle fait abstraction de la réalisation de l’agent du procès « geben » en appliquant le groupe prépositionnel à base « von » uniquement au participe II (d’où l’impossibilité de faire précéder l’objet à l’accusatif de l’agent) ; 4°) qu’elle ne prend pas en considération la construction où le participe II est attribut inféré de l’objet.

82.

SCHANEN 1992a, p.464

83.

CHOI 1989, p.282