1.2.3 Conditions de formation de la construction « bekommen + participe II »

La périphrase « bekommen + participe II » fonctionne avec les verbes transitifs trivalents qui expriment l’idée de don, de transmission, de transfert (« schenken », « bieten », « anbieten », « reichen », « überreichen », « bringen », « liefern », « schicken », etc.) ou de communication linguistique (« sagen », « mitteilen », « erzählen », « erklären », « melden », « versichern », etc.). Ces verbes comportent fréquemment le préverbe séparable « zu- » qui marque une relation dynamique dirigée vers le bénéficiaire84. Ils expriment la visée de la personne à qui le procès est destiné (« zuflüstern », « zusprechen », « zuteilen », « zuweisen », « zuschicken », « zuschanzen », etc.) :

La construction est compatible avec les verbes de privation et de refus (« wegnehmen », « entziehen », « abreißen », « abkaufen », « verwehren », « verweigern », etc.), qui sont fréquemment formés au moyen des préverbes marquant l’éloignement « weg- », « ent- » et « ab- », de sorte que le sujet grammatical recouvre, au niveau de la représentation mentale, non seulement le rôle de celui qui reçoit mais aussi le rôle de celui à qui on enlève quelque chose :

‘Sie möchte von äußerlich anzuwendenden Hilfsmitteln Verantwortlichkeiten abgenommen kriegen. (KS, p.216) ’

La construction se rencontre avec certains verbes intransitifs divalents dont le second actant est au datif. M. Vuillaume fait remarquer que de nombreux auteurs (et notamment K. Brinker) ont limité l’emploi de « bekommen + participe II » aux verbes qui exigent « einen Dativ der Person und einen Akkusativ der Sache »85. Il leur reproche d’avoir enfermé la structure dans un carcan syntaxique en lui refusant la possibilité de figurer dans des énoncés qui ne comportent pas d’objet à l’accusatif :

M. Vuillaume déduit de l’absence de complément d’objet la non-transitivité du verbe, ce qui l’amène à classer le verbe « einschenken » dans la catégorie des verbes intransitifs86 alors qu’il n’y a en fait qu’ellipse du complément d’objet. Le complément d’objet est élidé quand il est facilement reconstructible dans la situation de discours. C’est en particulier le cas quand il a été nommé dans le co-texte amont :

‘MUTTER COURAGE Ich halt nix von Friedensglocken im Moment. Ich seh nicht, wie sie den Sold auszahln wolln, wo im Rückstand ist, und wo bleib ich dann mit meinem berühmten Branntwein ? Habt ihr denn ausgezahlt bekommen ? (MC, p.80)’

Les verbes intransitifs divalents ne sont pas tous susceptibles d’apparaître dans la construction « bekommen + participe II ». Pour que cela soit le cas, il faut que l’objet au datif puisse être appréhendé comme le récipiendaire d’une grandeur sémantiquement déductible du verbe : « helfen / Hilfe », « widersprechen / Widerspruch », « applaudieren / Applaus », « gratulieren / Gratulation », « beipflichten / Zustimmung », etc. O. Leirbukt a conscience de l’insuffisance de cette règle puisqu’il attire l’attention sur le verbe « vertrauen », pour lequel il est tout à fait possible d’imaginer une grandeur sémantiquement déductible (« Vertrauen ») sans que la construction « bekommen + participe II » soit pour autant envisageable. Il en déduit que cette première règle est nécessaire mais non suffisante et qu’elle doit être complétée par une seconde qui pose le nécessaire dynamisme du verbe intransitif divalent. Ce dynamisme est plus marqué qu’en diathèse passive puisqu’il est possible de dire « Ihm wurde vertraut » mais pas *« Er bekam vertraut » :

‘Zur Unterteilung des gesamten VB [Verbbereichs] « intransitives Verb mit Dativobjekt » läßt sich nun die Kombination von [+/- REZ] und [+/- statisch] benutzen : Innerhalb dieses Bereichs scheint das Vorliegen von [+ REZ] in Koppelung mit [- statisch] eine notwendige Bedingung für die Bildung des bekommen-Passivs darzustellen.87

Il serait prématuré, faute d’exemples authentiques, de porter un jugement dès maintenant sur les conditions sémantiques que doivent remplir les constructions « bekommen + participe II » pour pouvoir fonctionner avec des verbes divalents admettant un objet au datif. O. Leirbukt n’a trouvé qu’un seul exemple (avec « helfen ») sur les 836 constructions « bekommen + participe II » dont se compose son corpus88. Ces résultats tendent à limiter la portée de son essai d’explication. Ils apportent de l’eau au moulin de ceux qui font du verbe « helfen » une exception au sein de la catégorie des verbes intransitifs divalents.

Se pose à présent à nous la question de savoir avec quel type de sujet grammatical se combine la construction « bekommen + participe II ». Il n’existe pas de contrainte concernant la nature du référent du sujet, qui peut être aussi bien un animé qu’un non-animé89 :

Le sujet indique l’instance par rapport à laquelle le procès prend sens (« die sinngebende Person »), il désigne la personne au bénéfice ou au détriment de laquelle se fait l’action, nomme le partenaire de l’agent dans les échanges sociaux ou verbaux. Il n’est pas affecté par le procès au sens où il entrerait dans la sphère d’influence de l’agent.

Le sujet peut être mis en correspondance avec le membre au datif d’une expression active équivalente. En diathèse active, ce membre au datif peut être imposé par la valence verbale (datif régi) et se voir attribuer le statut d’actant à part entière (fonction d’objet au datif) :

‘Er war ganz gierig darauf, sein Todesurteil auch genau vorgelesen zu bekommen. (C, p.360) ---> Er war ganz gierig darauf, daß man ihm sein Todesurteil auch genau vorlas.’

Le sujet peut également correspondre à un membre au datif non conditionné par le programme valenciel du verbe, c’est-à-dire non impliqué par le sens même du lexème verbal (datif libre). Nous n’avons pas rencontré le datif d’énonciation (« dativus ethicus ») qui concerne uniquement les pronoms de la première et de la deuxième personne du singulier et du pluriel. Cela tient vraisemblablement au fait que le datif d’énonciation ne répond pas aux tests de reconnaissance du membre de phrase et se comporte comme un mot du discours (« Werde mir nur kein Priester ! »). Il a une fonction communicative et fait référence à une personne engagée dans un acte de communication exprimant le plus souvent une injonction. H.-W. Eroms90 cite deux exemples de « dativus ethicus » ... qui n’en sont pas. Il émet d’ailleurs lui-même quelques réserves. Dans le premier exemple « Was, ihr wollt nur ein Stück essen ? So kriege ich den Kuchen aber gar nicht aufgegessen ! », le sujet correspond à un datif de possession ou à un datif d’intérêt. Dans le second exemple « (Eine Dame vor einem Lebensmittelgeschäft) Ich muß schnell machen. Ich krieg’ das ja sonst nicht mehr eingekauft », le sujet n’est pas le bénéficiaire, mais l’agent du procès « einkaufen » - ce que nous montrent d’ailleurs 1°) la paraphrase de H.-W. Eroms : « Es ist mir nicht mehr möglich, das noch einzukaufen » et 2°) le test de l’adjonction d’un groupe prépositionnel à désigné « agent » : *« Ich krieg’ das ja sonst nicht mehr von ihr eingekauft ». La construction « bekommen + participe II » ne revêt pas une valeur passive mais une valeur modale proche de « können ».

Si le sujet de la construction « bekommen + participe II » à valeur passive ne correspond jamais au datif d’énonciation, il peut néanmoins référer à un datif libre exprimant l’idée de possession (possibilité d’une commutation avec un adjectif possessif). En cas de possession inaliénable, on parle de « Pertinenzdativ ». En cas de possession non inaliénable, on parle plutôt de « datif de possession ». Dans les trois exemples qui suivent, le sujet est mis en relation avec un verbe connecté à un groupe prépositionnel dont le membre nominal désigne une partie du corps du référent du membre au datif (« Pertinenzdativ ») :

Le sujet peut également référer au datif d’intérêt, subdivisible en quatre sous-catégories selon 1°) que le datif est régi ou non (niveau syntaxique) et 2°) que le verbe exprime un procès profitable ou dommageable pour la personne concernée (niveau sémantique). Dans le cas d’un « dativus incommodi » (« Pechvogeldativ »), le datif indique la personne au détriment de laquelle s’exerce le procès ; dans le cas d’un « dativus commodi » (« Nutznießerdativ »91), le datif indique à qui profite le procès et commute avec un groupe prépositionnel à base « für » :

Comme le note D. Baudot, « le datif en tant que marque correspondant à un désigné est bien évidemment neutre quant au caractère agréable ou désagréable du procès »92. La catégorisation du datif d’intérêt en « commodus » ou « incommodus » s’effectue en fonction du sémantisme du verbe seul si le verbe désigne un procès toujours subjectivement positif (« etwas bezahlt / angeboten bekommen ») ou négatif (« etwas verweigert / verwehrt bekommen »). Elle est tributaire de l’objet à l’accusatif si le verbe est neutre quant au caractère agréable ou désagréable du procès : « etwas aufgetischt bekommen » est un procès positif pour le récipiendaire si les plats servis sont délicieux (« das Feinste aufgetischt bekommen ») et négatif si les plats servis sont avariés ou empoisonnés (« vergiftete Speisen aufgetischt bekommen ») ; au sens figuré, ce verbe a une connotation négative car il sous-entend que ce qui est raconté ne correspond pas à la vérité (« Lügen aufgetischt bekommen »).

Il n’est pas toujours facile d’établir avec certitude le type de datif auquel nous avons affaire. Il est particulièrement difficile de tracer une frontière nette entre le datif de possession et le datif d’intérêt :

‘Bei einem Stau mindestens drei Meter Abstand zum Vordermann halten, weil man andererseits dessen Auspuffgase in den Wagen gepustet bekommt. (Die Auto-Zeitschrift, 17, 1983, p.86, cité par S. Vesterhus 1985, p.31) ---> Bei einem Stau mindestens drei Meter Abstand zum Vordermann halten, weil andererseits dessen Auspuffgase einem in den Wagen gepustet werden.’

S. Vesterhus classe ce datif (« einem ») dans la catégorie des « dativus incommodi » (« Pechvogeldativ ») car le procès est dommageable pour la personne concernée (« man »), mais ce faisant, il relègue au second plan la relation d’appartenance qui existe entre la voiture et cette personne : « Bei einem Stau mindestens drei Meter Abstand zum Vordermann halten, weil andererseits dessen Auspuffgase in den eigenen Wagen gepustet werden ».

La description de l’entourage syntaxique de la construction « bekommen + participe II » ne saurait être complète sans l’évocation de l’objet à l’accusatif. On ne constate aucune limitation relative à la nature de son référent. L’objet désigne dans la grande majorité des cas un non-animé :

‘Zum häuslichen Mittagstisch begab sich : Horn, der Speckpfannkuchen, grünen Salat und Zitronencreme aufgetischt bekam und nach dem Essen noch bei einer Tasse Kaffee mit seiner Frau über das Problem der « Koedukation im Pubertätsalter » sprach [...] (ED, p.416)’

Si le participe II est formé sur un verbe de communication linguistique, il peut s’agir d’une complétive, introduite ou non par un mot subordonnant :

Le corpus de D. Baudot contient l’exemple d’une relative membre de groupe verbal. M. Dalmas93 considère ce groupe verbal comme une complétive. Elle justifie son point de vue en soulignant l’absence d’antécédent du pronom « relatif » et la fonction de complément d’objet du groupe dans l’énoncé :

Was er da gesagt hat, hat er eigentlich von seiner Freundin eingetrichtert bekommen. (O. Berlin 02.86, cité par D. Baudot 1989, p.348)’

Il est possible de rencontrer un complément d’objet désignant un animé humain ou animal :

Notes
84.

Notons le parallèle avec le sémantisme des auxiliaires servant à former la voix du récipiendaire (« bekommen » / « kriegen » / « erhalten ») : « Beachtenswert ist, daß alle drei (Hilfs)Verben, die zur Bildung eines Partner-Passivs dienen, eine ‘Her’-Bedeutung haben : ‘auf das Subjekt zu’ » (Weinrich 1993, p.174). 

85.

BRINKER 1971, p.119 ; cf. WEINRICH 1993, p.174 : « Wir besprechen zunächst das Partner-im-Subjekt-Passiv. Es kann nur von transitiven dreiwertigen Verben gebildet werden (Subjekt-Partner-Objekt-Valenz). »

86.

VUILLAUME 1977, p.5, p.10, p.12 mais VUILLAUME 1983, p.192 : « Du reste, dans la plupart des exemples qui sont à ranger dans ce groupe [absence de membre à l’accusatif], on trouve des verbes transitifs divalents ou trivalents (cf. Er bekam eingeschenkt, vorgelesen, bezahlt, etc.) ».

87.

LEIRBUKT 1987, p.114

88.

LEIRBUKT 1997, p.45

89.

Un certain nombre de linguistes ont longtemps affirmé le contraire : « Es [Das bekommen-Gefüge] ist nur auf wenige Verben beschränkt, und zwar auf die Verben, die einen Dativ der Person und einen Akkusativ der Sache fordern » (Brinker 1971, p.119) ; « Ferner lassen bekommen / kriegen / (erhalten) + Part. II-Fügungen nur belebte Subjekte zu, s. (23) ; sie sind also - wenigstens vorläufig noch - gegenüber dem Subjekt selektionsaktiv. » (Reis 1976, p.74) M. Reis reviendra plus tard sur sa première affirmation : « Insbesondere sind je nach Partizip neben belebten Nominativgrößen auch unbelebte zulässig oder sogar obligatorisch » (1985, p.149).

90.

EROMS 1978, p.384

91.

Cf. HERINGER (1989, p.172) pour les termes de « Pechvogeldativ » et « Nutznießerdativ ».

92.

BAUDOT 1989, p.353

93.

DALMAS 1998a, pp.236-237