2.2.2 Agencement syntaxique de la structure thème-rhème à des fins d’enchaînement textuel

2.2.2.1 Changement de diathèse pour maintien du même thème en fonction de sujet grammatical

Le changement de diathèse est un procédé permettant la conservation de la fonction syntaxique de sujet à l’élément à valeur thématique. Parce qu’il permet de maintenir le même thème et les mêmes référents en fonction de sujet grammatical dans une paire d’énoncés consécutifs, il augmente la cohérence sémantique des énoncés. Il simplifie sur le plan syntaxique leur enchaînement à la condition que les deux éléments utilisés alors en fonction de sujet grammatical soient coréférents, c’est-à-dire qu’ils désignent le même référent dans le monde extra-linguistique.

Nous avons « lâché » un mot important qu’il convient de définir avant d’aborder la fonction d’enchaînement du passif. Il s’agit de la notion de cohérence. Le terme « cohérence » revient avec une insistance particulière dans les recherches de linguistique textuelle et de transphrastique. Il constitue pour le texte un concept équivalent à celui de grammaticalité pour la phrase. Terme polysémique, il exprime à la fois la conformité du contenu propositionnel à notre vision du monde et l’intégration des énoncés dans le texte, la connexion entre les parties d’un tout. Il marque la continuité logique et référentielle entre les phrases qui se succèdent dans le discours et concerne en cela le plan des relations syntagmatiques. Il doit être rapproché du concept de « Übergang  » (transition) dans le sens où H. J. Heringer le définit, à savoir comme « eine gedankliche Brücke »146. Le besoin de précision a entraîné par la suite la multiplication des termes. R.-A. de Beaugrande et W. Dressler ont ainsi opposé « cohérence » à « cohésion » en disant que le premier renvoyait au plan sémantico-logique tandis que le second concernait le plan formel. Cette distinction a été rejetée par la suite par d’autres linguistes (en particulier par K. Brinker et H. Vater).

Ce qui vaut pour le microcontexte restant vrai à une plus grande échelle, nous nous proposons d’illustrer la fonction d’enchaînement du passif dans le cadre plus large de la perspective macrotextuelle, laquelle présente l’avantage didactique de « grossir » le phénomène et ainsi de le rendre plus manifeste, plus facile à cerner. La diathèse passive permet le maintien du même thème en fonction de sujet grammatical dans une série d’au moins deux énoncés. Elle sert à satisfaire l’une des quatre conditions d’emploi cotextuelles (ou contraintes séquentielles) définies par J. Moeschler, à savoir la condition thématique, laquelle impose au deuxième énoncé le même thème discursif, le même objet général de discours, que celui présent dans le premier énoncé147. L’extrait de Schlafes Bruder est exemplaire à cet égard :

Ein Kind jedoch blieb ruhig unterm Fenster stehen. Es hieß Peter Elias und war der Sohn des Nulf Alder. Wir sind ihm schon begegnet, denn es wurde mit unserem Elias getauft. Peter stand und rührte sich nicht mehr von der Stelle. Nicht, weil er unter Schock stand, keineswegs. Peter blieb aus einer plötzlich erwachten kalten Faszination an dem so Andersgearteten. Und er hörte, wie der da oben in ein lautes Weinen ausbrach. (SB, pp.43-44)’

L’auteur R. Schneider centre le passage sur le personnage de Peter et insiste sur la fascination qu’Elias exerce sur lui dès leur première rencontre. Cette fascination prendra par la suite la forme d’une amitié profonde et ambiguë. Elle se traduit ici par l’immobilité de l’enfant qui est comme pétrifié sous la fenêtre de son futur ami et trouve un pendant dans l’attitude du narrateur qui, l’espace de quelques lignes, fixe son attention sur le même personnage, maintenant le même thème en fonction de sujet grammatical dans tous ses énoncés - à l’exception toutefois de celui où il entre lui-même en scène : « Wir sind ihm schon begegnet ». La phrase passive ne fait pas exception à la règle. C’est précisément le choix de la diathèse passive qui permet à l’auteur de conserver la fonction de sujet grammatical à l’élément à valeur thématique « es ». Le correspondant actif, s’il avait été adopté, aurait entraîné une discontinuité dans le déroulement du texte en faisant du pronom anaphorique le complément d’objet de l’énoncé. Il aurait produit un effet légèrement « bizarre », effet probablement suscité par la mention d’un agent que le verbe rend inutile par ailleurs et, partant, par l’espoir déçu d’un changement de thème discursif dans le co-texte aval :

Ein Kind jedoch blieb ruhig unterm Fenster stehen. Es hieß Peter Elias und war der Sohn des Nulf Alder. Wir sind ihm schon begegnet, denn der Kurat hatte es mit unserem Elias getauft. Peter stand und rührte sich nicht mehr von der Stelle. Nicht, weil er unter Schock stand, keineswegs. Peter blieb aus einer plötzlich erwachten kalten Faszination an dem so Andersgearteten. Und er hörte, wie der da oben in ein lautes Weinen ausbrach.’

En aucun cas, l’anaphore « es » n’aurait pu occuper la première place dans l’énoncé à la diathèse active. E. Faucher fait remarquer qu’il est certes possible de trouver « es » objet en première position mais qu’une telle rencontre étonne en raison de l’atonie de ce mot. Le refus de « es » objet à l’initiale traduit donc non pas une règle grammaticale mais une « tendance puissante »148 de la langue allemande :

Ein Kind jedoch blieb ruhig unterm Fenster stehen. Es hieß Peter Elias und war der Sohn des Nulf Alder. Wir sind ihm schon begegnet, denn *es hatte der Kurat mit unserem Elias getauft. Peter stand und rührte sich nicht mehr von der Stelle. Nicht, weil er unter Schock stand, keineswegs. Peter blieb aus einer plötzlich erwachten kalten Faszination an dem so Andersgearteten. Und er hörte, wie der da oben in ein lautes Weinen ausbrach.’

Le correspondant actif aurait rendu impossible la réalisation de la progression à thème constant, caractéristique des types de descriptions où les prédicats fonctionnels décrivent les propriétés ou les actions d’un même acteur149. Ce type défini par F. Daneš150 maintient un référent unique comme support d’une série de prédications. Il se présente schématiquement de la manière suivante :

message URL img7.gif

ou encore sous la forme d’un éventail :

message URL img8.gif

Examinons un deuxième exemple :

Der damals blutjunge Konstantin Serafim Izjumov, hospitierender Sportredakteur der Prawda, hielt sich anläßlich der Olympischen Winterspiele des Jahres 1976 als Berichterstatter in Innsbruck auf. Er faßte die Gelegenheit beim Schopf, Land und Leute kennenzulernen, und machte einen Tagesausflug ins Rheintalische.
Der erst 18jährige Russe, mit brillanten Deutschkenntnissen ausgestattet und heißhungrig nach westlicher Presse, bekam zufällig ein Exemplar der Tat in die Hand. Er, gewohnt, das Kleingedruckte zu lesen, las auf dem Titelblatt die Worte Auflagenstärkste, parteiunabhängige Tageszeitung. Er schlug das Blatt auf und staunte nicht wenig, als er sah, daß es zu einem Drittel aus Nekrologen bestand. Große und fettumrandete Todesanzeigen, Danksagungen, Nachrufe und Jahresgedächtnisse. So was hatte er in dieser massierten Form noch nirgendwo gesehen, und es fing an, ihn zu interessieren. Er kritzelte sich die Telefonnummer der Chefredaktion heraus, rief dort unverzüglich an und wurde, nachdem er sich tatsächlich als Prawda-Mitarbeiter ausweisen konnte, vom stickigen Besucherzimmer ins lichte Chefzimmer gebeten. (L, pp.40-41) ’

L’extrait de Die Luftgängerin de R. Schneider est centré sur le journaliste russe Konstantin Serafim Izjumov. Il se subdivise en deux paragraphes qui développent deux thématiques différentes. Le premier explique pourquoi le journaliste se trouve dans la région d’Innsbruck pendant l’hiver 1976 tandis que le second s’attache à montrer l’intérêt soudain d’Izjumov pour le journal Die Tat. Le passage du premier au second paragraphe est indiqué par le signe typographique de l’alinéa et la renominalisation. Celle-ci marque le début d’une sous-partie et s’oppose à la pronominalisation qui caractérise un développement interne au paragraphe151. Le thème discursif du premier paragraphe est conservé dans le second. Ce qui change, c’est ce que l’on en dit. D’où un enrichissement de ce que l’on en sait au fur et à mesure des prédications successives. Le texte est en évolution continue, il se caractérise par sa nature procédurale, se construit dans un mouvement, présente une dynamique interne malgré le maintien du même référent en fonction de sujet grammatical dans les deux paragraphes. Le choix de la diathèse passive dans le dernier énoncé permet la conservation de la fonction syntaxique de sujet à l’élément à valeur thématique, il concourt à la réalisation de la progression à thème constant. La diathèse active n’est pas impossible bien qu’elle présente deux inconvénients. Elle crée une ambiguïté quant au référent du dernier « er » et mentionne l’agent « der Chef », ce qui laisse croire à l’allocuté qu’il y aura changement de thème discursif :

Der damals blutjunge Konstantin Serafim Izjumov, hospitierender Sportredakteur der Prawda, hielt sich anläßlich der Olympischen Winterspiele des Jahres 1976 als Berichterstatter in Innsbruck auf. Er faßte die Gelegenheit beim Schopf, Land und Leute kennenzulernen, und machte einen Tagesausflug ins Rheintalische.
Der erst 18jährige Russe, mit brillanten Deutschkenntnissen ausgestattet und heißhungrig nach westlicher Presse, bekam zufällig ein Exemplar der Tat in die Hand. Er, gewohnt, das Kleingedruckte zu lesen, las auf dem Titelblatt die Worte Auflagenstärkste, parteiunabhängige Tageszeitung. Er schlug das Blatt auf und staunte nicht wenig, als er sah, daß es zu einem Drittel aus Nekrologen bestand. Große und fettumrandete Todesanzeigen, Danksagungen, Nachrufe und Jahresgedächtnisse. So was hatte er in dieser massierten Form noch nirgendwo gesehen, und es fing an, ihn zu interessieren. Er kritzelte sich die Telefonnummer der Chefredaktion heraus, rief dort unverzüglich an, und der Chef bat ihn vom stickigen Besucherzimmer in sein eigenes Zimmer, nachdem er sich tatsächlich als Prawda-Mitarbeiter ausweisen konnte.’

Les diathèses complémentaires du passif contribuent également au renforcement de la cohérence sémantique d’un passage. Elles évitent de rompre le rythme interne de ce passage, de casser sa structure itérative caractérisée par la répétition du même élément en première position et facilitent la réalisation de la progression à thème constant en maintenant le même thème en fonction de sujet grammatical dans une série d’énoncés consécutifs. La construction « sein + groupe infinitif avec zu » autorise la conservation de la fonction de sujet grammatical à l’unité thématique qui a le rôle sémantique de patient :

Die großen Waldameisen wurden wieder sehr unternehmungslustig und zogen in grauschwarzen Prozessionen an mir vorüber. Sie schienen äußerst zielbewußt und waren nicht abzulenken von ihrer Arbeit. Sie schleppten Fichtennadeln, kleine Käfer und Erdstückchen und plagten sich sehr. Sie taten mir immer ein wenig leid. (W, pp.219-220) ’

La construction « bekommen + participe II » autorise la conservation de la fonction de sujet grammatical à l’unité thématique qui a le rôle sémantique de bénéficiaire. E. Faucher pense que « la seule raison d’être » de la construction est de « donner forme de sujet à l’élément initial »152 dans le but de lui permettre de jouer son rôle de démarcateur amont. S’il ne s’agissait que d’un problème de démarcation, on ne devrait pas rencontrer des phrases où la plage pré-verbale n’est pas occupée par le sujet. Or on trouve de telles phrases :

Ich führe seit vier Jahren die Wirtschaft und den Haushalt dort [bei den Blornas] selbständig, meine Arbeitszeit beginnt um sieben Uhr morgens und endet nachmittags gegen sechzehn Uhr dreißig, wenn ich mit den Haus- und Reinigungsarbeiten, dem Einkaufen, den Vorbereitungen für das Abendessen fertig bin. Ich besorge auch die gesamte Wäsche des Haushalts. Zwischen sechzehn Uhr dreißig und siebzehn Uhr dreißig kümmere ich mich um meinen eigenen Haushalt und arbeite dann gewöhnlich noch eineinhalb bis zwei Stunden bei dem Rentnerehepaar Hiepertz. Samstags- und Sonntagsarbeit bekomme ich bei beiden gesondert bezahlt. In meiner freien Zeit arbeite ich gelegentlich beim Traiteur Kloft, oder ich helfe bei Empfängen, Parties, Hochzeiten, Gesellschaften, Bällen, meistens als frei angeworbene Wirtschafterin auf Pauschale und eigenes Risiko, manchmal auch im Auftrag der Firma Kloft. Ich arbeite in der Kalkulation, der organisatorischen Planung, gelegentlich auch als Köchin oder Serviererin. (VEKB, pp.25-26)’
Ces quelques lignes, tirées du protocole de l’interrogatoire de Katharina Blum, constituent ce que J.-M. Adam et A. Petitjean appellent une « description d’actions »153. Elles exposent sommairement l’emploi du temps de l’héroïne, ordonnant ses diverses tâches quotidiennes d’une manière chronologique, comme en témoignent les compléments de temps à valeur situative (« um sieben Uhr morgens », « nachmittags gegen sechzehn Uhr dreißig », « zwischen sechzehn Uhr drei message URL flechebas.gif ig und siebzehn Uhr drei message URL flechebas.gifig », « dann ») et durative (« noch eineinhalb bis zwei Stunden »). Elles présentent ses travaux hebdomadaires sous la forme d’une liste, Katharina se contentant d’énumérer les noms de ses employeurs (les couples Blorna et Hiepertz, le traiteur Kloft) ainsi que ses charges de travail. La quasi-totalité des phrases ont le pronom personnel « ich » pour sujet grammatical (la seule exception comporte le déterminatif possessif « meine » et ne crée donc pas de discontinuité avec le reste du texte). Lorsque le déictique n’a pas le rôle sémantique d’agent, mais celui de bénéficiaire, l’auteur utilise la construction « bekommen + participe II ». Elle « passe » mieux que la diathèse active car le co-texte environnant sélectionne le point de vue de Katharina alias « ich ». La diathèse active, qui centrerait l’énoncé sur les employeurs de Katharina, n’est pas exclue pour autant :
Ich führe seit vier Jahren die Wirtschaft und den Haushalt dort [bei den Blornas] selbständig, meine Arbeitszeit beginnt um sieben Uhr morgens und endet nachmittags gegen sechzehn Uhr dreißig, wenn ich mit den Haus- und Reinigungsarbeiten, dem Einkaufen, den Vorbereitungen für das Abendessen fertig bin. Ich besorge auch die gesamte Wäsche des Haushalts. Zwischen sechzehn Uhr dreißig und siebzehn Uhr dreißig kümmere ich mich um meinen eigenen Haushalt und arbeite dann gewöhnlich noch eineinhalb bis zwei Stunden bei dem Rentnerehepaar Hiepertz. Samstags- und Sonntagsarbeit bezahlen mir beide gesondert. In meiner freien Zeit arbeite ich gelegentlich beim Traiteur Kloft, oder ich helfe bei Empfängen, Parties, Hochzeiten, Gesellschaften, Bällen, meistens als frei angeworbene Wirtschafterin auf Pauschale und eigenes Risiko, manchmal auch im Auftrag der Firma Kloft. Ich arbeite in der Kalkulation, der organisatorischen Planung, gelegentlich auch als Köchin oder Serviererin.’

M. Vuillaume compare la diathèse « bekommen + participe II » à la construction française « se voir + infinitif »154 :

Distinction suprême pour « Otto »
Le 9 novembre, le président du Directoire de la plus grande maison de vente par correspondance du monde, Otto, Michael Otto (photo), a reçu le Prix allemand de l’environnement 1997. Otto s’est ainsi vu remettre, pour son engagement pour l’environnement, la distinction écologique la plus dotée au monde avec un million de DM. Dès le milieu des années 80, il a fait de la protection de l’environnement une partie intégrante de la philosophie d’entreprise. Il a ainsi commercialisé des produits respectueux de l’environnement, a rayé de son assortiment les bois exotiques et la fourrure véritable et diminué de 30 % les émissions d’oxyde de carbone des transports Otto à l’échelle mondiale. (Deutschland n°6, décembre 1997, p.23)’

Les paramètres co-textuels jouent un rôle déterminant dans le choix de la diathèse. Le co-texte induit des préférences linguistiques. Il fait apparaître de manière privilégiée un énoncé par rapport à un autre dit prétendument synonymique. Il va même parfois jusqu’à obliger de façon quasi absolue à la sélection de l’un des énoncés. Soit l’exemple suivant, que nous empruntons à R. Martin155 :

‘Il fallut du temps à Maigret pour mettre la main sur l’assassin du ministre. Il a cru tout d’abord ... Puis il a cherché du côté de ... Après bien des péripéties, il a enfin trouvé la trace de ce criminel abominable. Finalement, il l’a arrêté à Lyon.’

Malgré l’équivalence référentielle entre les diathèses active et passive, dans ce co-texte particulier qui sélectionne la perspective de Maigret et non celle de l’assassin, il est difficile d’avoir :

‘Il fallut du temps à Maigret pour mettre la main sur l’assassin du ministre. Il a cru tout d’abord ... Puis il a cherché du côté de ... Après bien des péripéties, il a enfin trouvé la trace de ce criminel abominable. *Finalement, il a été arrêté à Lyon.’

Si le choix de la diathèse passive semble ici totalement inapproprié, c’est le fait d’une mauvaise utilisation de la pronominalisation. L’emploi d’un pronom doit être efficace, c’est-à-dire économique. Il doit faciliter au maximum le travail de décodage de l’allocuté, lui permettre un gain de temps. Or ici, le pronom anaphorique « il » s’avère ambigu car il peut s’appliquer aussi bien au commissaire qu’à l’assassin. Il nécessite un processus interprétatif relativement long qui vient annuler l’avantage que constitue la brièveté de la forme156. La congruence morphologique (nombre et genre) ne permet pas de déterminer lequel des deux antécédents potentiels est le bon. Les autres critères qui servent à identifier le référent d’un pronom se contredisent et conduisent à des conclusions opposées : les critères de la préférence pour la conservation du même sujet et du même thème parlent en faveur du référent « Maigret », le critère de la proximité du référent et de l’anaphore et celui de la pertinence en faveur du référent « criminel ». Au terme du processus interprétatif, le récepteur opte pour la deuxième interprétation. Elle lui semble plus cohérente que la première car dans notre représentation du monde, ce sont les commissaires qui arrêtent les criminels et non l’inverse. Le choix de la diathèse passive devient possible dès lors que le déictique « celui-ci » se substitue dans la dernière phrase à l’anaphore « il ». Tandis que l’anaphore (associée à « finalement » qui introduit le dernier procès d’une série) fonctionne comme signal de continuité, le déictique marque une charnière, une rupture. Il reprend un élément mentionné précédemment pour en faire le nouvel objet du discours et opère ainsi une réorientation thématique :

‘Il fallut du temps à Maigret pour mettre la main sur l’assassin du ministre. Il a cru tout d’abord ... Puis il a cherché du côté de ... Après bien des péripéties, il a enfin trouvé la trace de ce criminel abominable. Finalement, celui-ci a été arrêté à Lyon.’

La comparaison en co-texte de soi-disant couples d’énoncés synonymiques révèle l’existence d’un continuum dont les deux extrêmes sont, d’une part, un pôle réel où le co-texte impose l’un des énoncés vis-à-vis de l’autre et, d’autre part, un pôle idéel où les deux énoncés sont possibles sans que l’un apparaisse plus acceptable157 que l’autre. Entre ces deux pôles se trouve une zone charnière dans laquelle l’un des deux énoncés apparaît de manière privilégiée sans que l’autre soit nécessairement exclu.

Pour R. Martin158, la question de la substituabilité en co-texte d’expressions logico-sémantiquement équivalentes en langue est à traiter dans une « composante discursive, où la phrase s’insère dans la cohésion du texte », située à mi-chemin de la « composante phrastique, lieu des conditions de vérité, où se déterminent l’acceptabilité et le sens des phrases en tant que telles, ainsi que les relations de vérité qui les unissent » et de la « composante pragmatique, lieu du vrai et du faux, où la phrase, devenue énoncé, s’interprète dans la situation énonciative ». R. Martin juge la notion de cohésion tout aussi importante que celle de grammaticalité. A ses yeux, les phrases ne doivent pas être seulement conformes à la grammaire de la langue. Elles doivent aussi s’adapter harmonieusement au co-texte où on les fait apparaître, notamment être acceptées comme des suites possibles du co-texte amont. En d’autres termes, elles doivent s’enchaîner de manière « naturelle ».

La diathèse passive ne se contente pas de faciliter l’enchaînement d’énoncé à énoncé. Elle facilite aussi l’enchaînement interne à la phrase. Dans le cas de la relation hypotaxique de subordination, la diathèse passive est fortement représentée dans les groupes verbaux dépendants relatifs, puisque D. Baudot, G. Schoenthal et H.-W. Eroms évaluent à respectivement 13,5, 14,3 et 14,8 % la proportion des groupes relatifs au passif dans l’ensemble des énoncés au passif de leur corpus. Les relatives sont majoritairement déterminatives ou appositives, c’est-à-dire qu’elles ont le plus souvent un antécédent nominal avec lequel le pronom relatif s’accorde en genre et en nombre. Le pronom relatif constitue l’information servant de point de départ à la subordonnée et fait partie du thème. Il doit son statut thématique à son rôle d’anaphore. Il est formé de l’amalgame de deux éléments qu’avec L. Tesnière nous appellerons le translatif et l’anaphorique159. Ces éléments amalgamés d’ordinaire apparaissent disjoints quand il y a répétition du pronom personnel à l’intérieur de la relative (« ich, der (die) ich ... », « du, der (die) du ... », « wir, die wir ... », « ihr, die ihr ... »). Dans ce cas (relativement rare), le pronom relatif n’exerce que la fonction d’opérateur formel de la transformation et c’est le pronom personnel qui remplit la fonction syntaxique de sujet dans la relative. Lorsque le pronom relatif joue à la fois le rôle de translatif et d’anaphorique, la diathèse passive permet la congruence de la valeur communicative de thème du pronom relatif avec la fonction grammaticale de sujet, elle permet la réalisation de la position dite non marquée et facilite l’enchaînement au sein de la phrase. Si l’antécédent a la fonction syntaxique de sujet, elle fait correspondre les fonctions grammaticales de l’anaphorique et de l’anaphorisé :

‘Viele Wunden, die den Opfern seinerzeit von Preterius beigebracht worden waren, waren nämlich keineswegs sauber ausgeheilt. (F, p.216)’

La diathèse passive autorise également le maintien de la fonction syntaxique de sujet à l’élément à valeur thématique dans les autres types de subordonnées. Il s’agit le plus souvent d’un pronom personnel de la troisième personne qui est employé comme pro-forme anaphorique et reprend le groupe nominal en fonction de sujet dans la principale :

  • Zu beklagen galt es dieses Mal aber nur ein einziges Menschenleben, das Vieh blieb unversehrt, weil es rechtzeitig genug nach Götzberg getrieben worden war. (SB, p.202)

  • Dann stieg und kletterte das Kind gehetzt durchs Unterholz, als würde es von einer unbekannten Macht gerufen. (SB, p.32)

Pour ce dernier exemple, la fonction d’enchaînement de la diathèse passive se double d’une fonction désambiguïsatrice. La subordonnée à la diathèse active : « [...] als riefe es [das Kind] eine unbekannte Macht » donne lieu à deux lectures qui s’excluent mutuellement. La diathèse passive contribue à lever l’ambiguïté potentielle en langue de la subordonnée à la diathèse active en tranchant sur le rôle sémantique de « das Kind » et de « eine unbekannte Macht ». Elle indique que l’enfant est patient et la force inconnue agent du procès « appeler ». Elle interagit avec le co-texte qui fonctionne comme une sorte de « filtre »160 et ne laisse passer que la bonne signification :

‘Anläßlich dieser Ausforstung der Emmer durfte Elias den Vater begleiten. Und dort entdeckte das Kind jenen Ort, genauer gesagt jenen wasserverschliffenen Stein, der ihn auf so unheimliche Art und Weise anzog. [...] Dann stieg und kletterte das Kind gehetzt durchs Unterholz, als würde es von einer unbekannten Macht gerufen. [...] Der Stein rief. (SB, pp.32-33) ’

Dans le cas des relations parataxiques de coordination et de juxtaposition, la voix passive facilite l’enchaînement interne à la phrase tout en permettant une économie de moyens linguistiques. La coordination interpropositionnelle se caractérise par l’identité du sujet grammatical dans les deux propositions et entraîne obligatoirement l’ellipse du sujet dans la seconde proposition par mise en facteur commun au niveau de la première. Dans la mesure où la diathèse passive maintient la fonction syntaxique de sujet là où la diathèse active nécessiterait la fonction objet, elle rend possible l’ellipse d’un élément :

‘Niemand wußte ihm das Land des Kaliforniers zu bedeuten, und so irrte er in abenteuerlichen Märschen über den Rätikon und durch die Bergamaster Alpen und wurde schließlich in Lecco von einem Lohgerber halbverhungert aufgegriffen. In Lecco blieb er acht Wochen, dann riß er aus und wurde seither im Lombardischen steckbrieflich gesucht. (SB, p.157)’

A la voix active, le complément d’objet apparaîtrait nécessairement dans la seconde proposition :

‘Niemand wußte ihm das Land des Kaliforniers zu bedeuten, und so irrte er in abenteuerlichen Märschen über den Rätikon und durch die Bergamaster Alpen, und ein Lohgerber griff ihn schließlich in Lecco halbverhungert auf. In Lecco blieb er acht Wochen, dann riß er aus, und man suchte ihn seither im Lombardischen steckbrieflich.’

L’ellipse du sujet s’accompagne fréquemment de l’ellipse de l’auxiliaire « sein ». Il faut envisager trois cas de figure :

  1. La forme active d’un verbe intransitif qui se conjugue au parfait ou au plus-que-parfait avec l’auxiliaire « sein » (phase de l’accompli) est reliée à un autre verbe au même temps, mais à la diathèse passive161 :
    • Ein prächtiger Moschusochse war der Schmach der Enthauptung entronnen und in seiner Gänze ausgestopft worden. (R, p.77)

    • Le choix du correspondant actif aurait nettement compliqué la structure de la phrase par l’ajout du sujet « man », du complément d’objet « ihn » et de l’auxiliaire « haben » :
      • Ein prächtiger Moschusochse war der Schmach der Enthauptung entronnen, und man hatte ihn in seiner Gänze ausgestopft.

  2. La forme passive d’un verbe au parfait ou au plus-que-parfait (phase de l’accompli) est relié à un autre verbe au même temps, mais tandis que le premier verbe figure au passif processuel, le second figure au passif-bilan (ou vice-versa) :
    • [...] er könne beschwören - falls ihm ein Schwur angebracht erschien -, daß der größere Teil der Möbel gestohlen gewesen und trotz des Verbots, von dem er wisse, nach Deutschland transportiert worden sei (ED, p.363)
      Le coordonnant « und » relie deux propositions décrivant un événement passé. Le sujet est mis en facteur commun au niveau de la première proposition et l’auxiliaire au niveau de la seconde car en linéarisation continue, la forme conjuguée du verbe occupe la position finale (ordre de base de la subordonnée).

  3. La diathèse complémentaire du passif « sein + groupe infinitif avec zu » se trouve dans un même énoncé à côté de la structure attributive « sein + adjectif » ou « sein + substantif » :
    • Christus sei nun mal wichtiger als Judas Ischarioth und deshalb auch größer darzustellen. (L, p.25)

    • Nichts ist erfunden, alles ist wahr und heute noch im Archiv der Tat (en italique dans le livre) nachzulesen (L, p.123)

    • Das mit roten Flaggen abgesteckte Brachland zwischen Waldrand und der Moorer Ostgrenze sei wegen der dort ungebrochenen Druckwelle Verbotszone und unbedingt zu meiden. (MK, pp.243-244)

Dans la mesure où la diathèse « bekommen + participe II » maintient la fonction syntaxique de sujet là où la diathèse active nécessiterait la réalisation d’un complément d’attribution, elle permet l’économie d’un élément :

Anna aus München studiert ein Jahr in London und bekommt nachher zu Hause die Scheine angerechnet. (Deutschland n°4, août 1996, p.38)’

Au parfait et au plus-que-parfait, elle combine l’ellipse du sujet avec celle de l’auxiliaire « haben » :

Ich habe an das Institut für Zeitgeschichte geschrieben und eine entsprechende Spezialbibliographie geschickt bekommen. (V, p.194)’

La construction permet d’aligner les groupes infinitivaux les uns à la suite des autres et constitue une jonction irremplaçable, « en ce sens qu’il n’y a pas d’autre procédé grammatical qui permettrait d’exprimer la même signification et que, pour éviter d’y recourir, il faudrait employer des moyens lexicaux. »162 Dans l’extrait suivant, elle rend possible le croisement des termes (chiasme) là où on attendrait plutôt la poursuite du parallélisme :

‘Liebe kann man erbetteln, erkaufen, geschenkt bekommen, auf der Gasse finden, aber rauben kann man sie nicht. (SID, p.97)’

Lorsque deux verbes sémantiquement proches font leur apparition dans une structure coordonnant une proposition à l’actif et une proposition au passif ou lorsqu’un même verbe est répété dans une structure coordonnant une proposition à l’actif et une proposition au passif, l’opposition syntaxique se double d’une opposition sémantique pour produire un effet stylistique d’antithèse. Il y a renversement de la direction du procès :

‘Sie haben den Jungen geschnappt, dummerweise hat er geschossen und ist beschossen worden, verletzt, aber nicht lebensgefährlich. (VEKB, p.95) ’

Le criminel Götten, qui s’était réfugié dans la luxueuse maison secondaire d’Alois Sträubleder pour échapper à ses poursuivants, est retrouvé par la police. La villa est encerclée de tous côtés par les forces de l’ordre. Götten tire pour se défendre. Il essuie à son tour le feu de l’ennemi et est blessé. Au plan des faits, la symétrie est totale : les tirs de la police répondent aux tirs de Götten. Il y a « échange » de coups de feu. Au plan de la description linguistique, la relation est dissymétrique car la scène est vue dans la seule perspective de Götten. Il a successivement le rôle d’agent : A (Götten) > B (police) et de patient : A (Götten) ⇐ B (police).

L’opposition des diathèses ne traduit pas nécessairement une relation conflictuelle entre les acteurs du procès. Elle peut exprimer une complémentarité :

  • Auch böse Menschen, auch Diebe und Räuber haben Kinder, und lieben sie, und werden von ihnen geliebt, nur ich nicht. (SID, p.104)

L’amour des parents envers leurs enfants trouve un pendant dans l’affection que portent les enfants à leurs parents. Cette réciprocité des sentiments crée une parfaite harmonie dans la cellule familiale. Seul Siddharta semble ne pas connaître ce bonheur. Malgré tout ce qu’il fait pour son fils, celui-ci ne lui montre aucune reconnaissance : il est un monstre d’ingratitude.

  • Schröder braucht Öffentlichkeit als Bühne. Er muss raus. Sehen und gesehen werden, nicht nur im Wahlkampf. (Der Spiegel n°36, 06.09.1999, p.45)

Le chancelier allemand a besoin d’apparaître en public pour être populaire (« gesehen werden ») et pour vérifier par lui-même sa popularité (« sehen »). Il est une sorte de comédien qui aime à fasciner les spectateurs et à savourer leurs applaudissements.

Le schéma A ⇔ B, qui est la contraction des schémas : A > B et A ⇐ B, impose la totale réciprocité du procès et ne prend pas en compte l’intervention éventuelle d’une tierce personne. Dans l’extrait de Ende einer Dienstfahrt de H. Böll :

‘[...] wie sie sehr jung geheiratet habe, beziehungsweise verheiratet worden sei an den damaligen Unteroffizier Wermelskirchen (ED, p.436),’

le passage de la voix active à la voix passive sert à marquer l’opposition entre un mariage délibéré et un mariage forcé, imposé de l’extérieur et subi comme une souffrance par la mariée. Les rôles d’agent et de patient sont répartis sur trois acteurs : A (la mariée) > B (le marié), A (la mariée) ⇐ C (l’entourage immédiat : les parents, etc.). Nous retrouvons la même opposition entre une action volontaire et une action imposée par l’extérieur dans l’extrait du roman policier Der Kammgarn-Killer de Hj. Martin :

‘Er redet, dachte Zylian und hatte große Mühe, an sich zu halten ; er redet und redet und redet, er weicht aus und tut so, als ob das Krankenhausproblem mich interessierte - bloß, um nichts zu dieser Scheiße sagen zu müssen, in die ich da getreten ... Was heißt getreten - reingeschubst worden bin ! (KK, p.92) ’

Zylian revient sur le choix du participe II « getreten », il s’auto-corrige et marque cette opération d’auto-correction par le connecteur métalinguistique « was heißt ». Il remplace la première formulation par le verbe « reinschubsen » à la diathèse passive, ce qui a pour effet de transformer le message de départ malgré la zone de chevauchement sémantique entre les deux lexèmes verbaux (idée d’un mouvement vers). Par le choix de la diathèse passive, Zylian marque nettement qu’il rejette toute culpabilité dans cette douloureuse affaire. Lors d’une interview effectuée par le journaliste Ulf Beissel, il a commis un lapsus et prononcé le mot « Drecksleute » au lieu de « Dreckschleuder ». Le journaliste a relevé le lapsus et en a fait le titre de son article, le sortant totalement de son contexte ; il s’est bien gardé de mentionner qu’il ne s’agissait que d’un lapsus.

Notes
146.

HERINGER 1989, p.45

147.

MOESCHLER 1985, p.116

148.

FAUCHER 1984, p.69

149.

COMBETTES 1993, p.48

150.

DANEŠ 1970, p.76 : « Typus mit einem durchlaufenden Thema »

151.

SCHECKER 1995, p.494

152.

FAUCHER 1984, p.150

153.

ADAM & PETITJEAN 1989, p.156

154.

VUILLAUME 1977, p.3

155.

MARTIN 1983, p.205

156.

Cf. BEAUGRANDE & DRESSLER 1981, pp.69-70 : « Das Kriterium der Effizienz wird bei Dressler (1979a) und Beaugrande (1980a) als primäre Motivation für Pro-Formen überhaupt gebraucht. An einem bestimmten Punkt entsteht allerdings eine Gewinn-Verlust-Relation (engl. ‘trade-off’) zwischen Gedrängtheit und Klarheit. Eine Pro-Form verkleinert die Verarbeitungsmühe, da sie kürzer ist als der Ausdruck, den sie ersetzt. Wenn jedoch dieser ersetzte Ausdruck schwer zu finden oder zu rekonstruieren ist, geht dieser Gewinn wieder durch Such- und Abbildungsoperationen verloren. »

157.

Cf. CULIOLI 1990, p.18 : « le linguiste travaille sur des formes (c’est-à-dire des séquences textuelles), et ces formes, il ne va pas les prendre telles qu’elles sont (on n’aurait dans ce cas que des régularités séquentielles), mais il va les faire travailler sur elles-mêmes et les soumettre à cette forme d’évidence qu’est le jugement d’acceptabilité. » ; p.23 : « Le linguiste est obligé de travailler de façon plus rudimentaire : produire des observations, travailler sur des valuations (c’est la même chose ; c’est différent ; c’est la même chose à telle modulation près ; c’est acceptable ; c’est inacceptable) ».

158.

MARTIN 1983, pp.204-205

159.

TESNIÈRE 1969, p.570

160.

FUCHS 1994, p.89

161.

Cf. VEISER 1949, p.34 : « Die Verbindung einer zusammengesetzten aktivischen Vergangenheitsform eines intransitiven Verbs mit einer passivischen Verbform ermöglicht eine Vereinfachung der Satzkonstruktion. Denn auf diese Weise können die Formen des Hilfsverbs ‘sein’ für die Partizipien beider Verben verwandt werden. Eine Anhäufung von Hilfsverben wird damit vermieden. »

162.

VUILLAUME 1977, p.13