2.3 Expression ou omission de l’agent

2.3.1 Omission de l’agent

Le complément d’agent, quand il est exprimé, n’a pas pour seule fonction de retarder l’apparition du sujet grammatical, unité dynamique. Il sert entre autres à spécifier la nature de l’agent et à mettre en valeur l’information qu’il transmet. Il est cependant le plus souvent absent de l’énoncé passif - selon les comptages de K. Brinker et G. Schoenthal, le pourcentage d’agents non-exprimés en texte s’élève à 85 % -, ce qui explique que de nombreux linguistes voient la spécificité du passif dans la possibilité qu’il offre de passer l’agent du procès sous silence. A. Meillet est l’un des premiers à avoir constaté que « le vrai rôle du passif est d’exprimer le procès là où l’agent n’est pas considéré ». « Ce qui donne au passif son utilité », écrit-il, « c’est que, au lieu de présenter le procès comme résultat de l’intervention d’un agent, il le présente en lui-même, sans aucune notion étrangère. »174 Il est regrettable que les travaux d’A. Meillet soient longtemps passés inaperçus et qu’ils n’aient commencé à porter leurs fruits qu’à travers l’étude de L. Weisgerber intitulée Die täterabgewandte Diathese. Dans cette étude, L. Weisgerber se sert de la mention de l’agent comme critère de distinction entre les deux diathèses. Il note que l’agent est obligatoirement mentionné dans la phrase active tandis qu’il est le plus souvent omis dans la phrase passive. Il forge sur ce constat le couple d’opposition « täterbezogene / täterabgewandte Diathese » qui a fait date depuis :

Aktiv - Passiv, das ist also hier verbale Forderung nach einem aufweisbaren ‘Täter’, dort Belassen (oder Zurückversetzen) des Agens, des ‘tatsächlichen’ Trägers, unter den anders geordneten Komponenten eines Geschehens, das man nicht auf einen dafür Verantwortlichen zurückführen will. Es handelt sich tatsächlich um zwei geistige Verfahrensweisen, die aller Aufmerksamkeit wert sind. Kann man die erstere zur Not mit aktiv fassen, wenn man darunter eine täterbezogene Sehweise versteht, so sollte man für das in falsche Richtung weisende passiv eine angemessenere Kennzeichnung suchen ; sie müßte etwas von der täterfreien, täterfernen Sicht aussagen, die für die ‘passivischen’ Verfahrensweisen wesentlich ist, wenn sie auch bei der Grundstruktur des indogermanischen Verbs nie voll erreichbar ist. Die täterabgewandte Diathese bleibt eine Reaktion gegen die vorherrschende täterbezogene175. ’

Les raisons pour lesquelles le locuteur décide de taire l’agent du procès sont de deux ordres. Soit l’omission de l’agent est une finalité première et fait l’objet d’un choix délibéré de la part de l’énonciateur. La diathèse passive lui permet de passer sous silence l’agent du procès quand il est dans l’incapacité de le nommer ou quand il ne veut pas le nommer. S’il ne le connaît pas, il ne peut que l’omettre. S’il le connaît, il peut choisir de le taire pour des raisons d’évidence, de non pertinence ou de manipulation. Soit l’omission de l’agent résulte de la focalisation de l’énoncé sur le patient ou le procès et ne constitue que la conséquence de la mise en valeur dans la phrase d’un autre élément que l’agent. C’est la position que défend H.-W. Eroms : « Das Passiv wird verwendet, weil die Satzthematik nach noch genauer zu bestimmenden Regularitäten an hervorgehobener Stelle des Satzes ein anderes Glied als das sog. logische Subjekt erfordert. ‘Täterverschweigung’ ist dann nur eine Folge der primären Erscheinung, daß etwas anderes im Zentrum der Aufmerksamkeit steht. »176 Dans les quelques lignes qui suivent, le choix de la diathèse passive permet à R. Schneider de dynamiser sa description en mettant l’accent sur les procès plus que sur les agents de ces procès. R. Schneider fait passer au premier plan tout ce qui contribue à l’atmosphère « impressionniste » de la scène. Il livre une suite d’instantanés où les sensations auditives et tactiles sont omniprésentes, il dépeint un monde dans lequel les objets ont une existence propre et occulte toute présence humaine :

‘Es grapschte und rutschte auf den Bänken, es raschelten die Sonntagsröcke, die Mieder knackten, Frisuren wurden nachgesteckt, in Gebetbüchern wurde nervös gefingert, Schuhe glitten donnernd von den Kniebrettern. (SB, pp.60-61)’

Il est inacceptable de réduire l’omission de l’agent à un acte de lâcheté, à une fuite devant des responsabilités :

‘Überall wird etwas getan, nur ganz wenige Menschen tun etwas. Wohin man blickt, überall sprechen die Menschen im Passivum : es wird bekanntgegeben, eine Verfügung wird aufgehoben, Leute werden gesucht, morgen wird Extemporale geschrieben oder ein Ausflug gemacht, durch Gottes Güte wurde uns ein Sohn beschert. So muß selbst der liebe Gott aus seinem Regimente weichen. Unterstreiche einmal rot in einem Zeitungsblatt alle passiven Formen, und du wirst erstaunen, wie rot es da brandet. Es ist nämlich so außerordentlich bequem, sich mit seiner eigenen Person zu drücken und dadurch die Verantwortung von sich abzuwälzen. Das häufige Passivum im Schreiben und Reden trägt den Makel der Energielosigkeit und des vorzeitigen Alters auf seiner Stirn. Es gehört schon ein Teil Mut dazu, sich selber als Subjekt zu bekennen und damit die Verantwortung zu tragen. Darum verrät das Aktivum Jugend und Energie. Also fasse den wahrhaft männlichen Entschluß : schreibe nie mehr ein Passivum !177
Notes
174.

MEILLET 1958, p.195

175.

WEISGERBER 1963, p.248

176.

EROMS 1974, p.170

177.

WUSTMANN (Sprachdummheiten) 1966, pp.79-80, citation reprise de PAPE-MÜLLER 1980, p.148