2.3.1.1 L’agent est connu

2.3.1.1.1 Omission par évidence

Le locuteur peut choisir d’omettre l’agent du procès s’il juge le contexte suffisamment clair pour que l’allocuté reconstitue lui-même l’information manquante. En linguistique, on appelle ce type d’omission une ellipse. Le terme « ellipse » vient du grec « elleipsis » qui signifie « manque » et désigne toute omission d’un ou de plusieurs mots que l’esprit supplée de façon plus ou moins « spontanée ». L’ellipse livre une instruction de décodage : elle invite l’allocuté à aller rechercher dans le co- ou contexte environnant les éléments permettant de compléter le texte, de combler les vides textuels, en termes plus crus, de « boucher les trous ». Elle nécessite une participation active du récepteur. F. Rutten propose de désigner par le terme de « colmatage textuel » cet acte constitutif du processus de lecture. Il entend par là « toute opération de production de sens complémentaire aux opérations de production de sens qui sont déclenchées, de façon directe ou indirecte, par la perception de l’artefact »178, c’est-à-dire du « texte réduit à ses propriétés objectives », avant transformation « en objet sémiotique ou en structure sémantique »179. Il oppose à la « réification » de la notion de sens et à la négation du sujet-récepteur la thèse que le sens est le résultat de la rencontre entre un texte pris comme « source d’instruction du processus de lecture »180 et un récepteur avec son propre savoir lié à ses expériences d’individu social. Il rejette la conception du texte comme produit linguistique pour une conception du texte de nature foncièrement procédurale. Ainsi écrit-il que la « lecture n’est pas une opération de reconnaissance, d’enregistrement ou de découverte de sens textuels dont l’existence précède ou transcende l’acte de lire », mais qu’elle est au contraire « un acte de production de sens »181. Si l’acte de lire laisse la liberté au lecteur de prendre des initiatives personnelles pour produire du sens, alors cela signifie que le décodage n’est pas le symétrique passif du codage. Il ne s’agit pas pour autant d’une activité arbitraire. Le lecteur se soumet à des contraintes, il respecte notamment le principe de coopération de Grice. C’est d’ailleurs parce qu’il postule que le locuteur n’enfreint pas les règles conversationnelles d’informativité et de compatibilité qu’il peut engager un processus d’inférences correct en fonction des indices donnés par le locuteur.

L’ellipse de l’agent a pour fonction d’éviter une redite au plan informatif : « Die Auslassung ist zunächst als Redundanzersparung zu buchen »182. Elle permet de satisfaire à l’un des principes stylistiques de base en vertu duquel le locuteur doit éviter toute répétition. Mais pourquoi le locuteur doit-il éviter toute répétition ? Le critère stylistique, d’ordre purement prescriptif, ne le dit pas. Il faut se situer au plan communicatif pour apporter une réponse à cette question. L’ellipse, en racourcissant l’énoncé, le centre sur l’information principale. Elle empêche une surcharge gênante au niveau du travail de réception en passant sous silence un élément totalement non-informatif (car facilement reconstructible par l’allocuté), qui ne constitue qu’un parasite de la communication. L’agent, s’il était mentionné, aurait pour effet d’affaiblir le poids communicatif de l’unité dynamique principale en détournant partiellement sur lui l’attention de l’allocuté. Il diluerait l’information à la manière de l’eau que l’on additionne dans un verre de vin. Sa présence entraînerait l’augmentation de la quantité de mots dans l’énoncé et affecterait la portée communicative du message, de même que l’ajout d’eau dans un verre de vin provoque une augmentation de la quantité de liquide et dénature la qualité du produit.

Nous allons maintenant étudier plus précisément ce type d’omission de l’agent en l’envisageant sous deux aspects différents : celui du lieu de l’information permettant l’ellipse (phrase-énoncé, co-texte, contexte) et celui des compétences du sujet parlant (compétence linguistique, encyclopédique).

Situons-nous tout d’abord au niveau de la phrase-énoncé pour considérer le cas où le décodeur restitue mentalement l’agent élidé en faisant appel à sa compétence encyclopédique, compétence qui se présente comme un vaste réservoir d’informations extra-énoncives portant sur le contexte. Ces informations extra-énoncives englobent les données cognitives dues au savoir du locuteur sur le monde. Elles interagissent avec un ou plusieurs membres de la phrase-énoncé à des fins de désambiguïsation en restreignant le nombre des agents potentiels à un élément unique.

Le lexème verbal suffit à la reconstitution de l’agent élidé s’il exprime l’action spécifique d’une institution183. « Taufen » évoque la représentation d’un membre du clergé car seuls les religieux disposent d’une compétence légitime, cautionnée par l’institution qu’ils représentent, pour accomplir cet acte. Il s’agit d’un verbe potentiellement performatif qui a pour effet de modifier le statut du patient en le faisant entrer dans la communauté des chrétiens :

Getauft wurden zwei Knaben aus dem Geschlecht der Alder, das seit zwei Jahrzehnten unter sich verfeindet war. Der eine - unser Kind - wurde auf den Namen Johannes Elias, der andere, welcher fünf Tage später geboren, auf Peter Elias getauft. (SB, p.28)’

Les verbes « verhaften » et « schnappen » impliquent l’institution policière car seuls les policiers sont habilités à appréhender des personnes qui se sont rendues coupables d’un délit ou d’un crime :

  • BIEDERMANN : [...] In unseren Kreisen, wissen Sie, wird selten jemand geschnappt. (BB, p.55)

  • SCHMITZ : [...] Wer Holzwolle verkauft oder besitzt, ohne eine polizeiliche Genehmigung zu haben, wird verhaftet. (BB, p.66)

Le lexème verbal « gebären », dont S. Pape-Müller souligne l’inusité à l’actif dans la langue parlée184, n’implique pas comme actant une institution, mais un être vivant qui, en raison de sa constitution biologique, est doté de la faculté de mettre au monde des enfants : la mère. F. Muller pointe du doigt les limites de l’interprétation sémantique du concept de naître en faisant remarquer que l’allemand et l’anglais le rendent par une tournure passive (« he was born » ; « er ist / wurde geboren ») tandis que le français semble au contraire suggérer qu’il est actif (« il naquit »)185 :

‘Jedenfalls war sie zugegen, als ein genialer Musiker geboren wurde. (SB, p.19)’

Parfois, le verbe ne suffit pas à lever toute équivoque. Il peut nécessiter la présence d’un autre élément désambiguïsateur :

  • Gollers Nachtgebete waren nicht erhört worden. (SB, p.166)

Le substantif « Gebet » désigne le mouvement de l’âme tendant à une communication spirituelle avec Dieu. Il implique deux actants : une personne qui adresse les prières (dans le cas présent Goller) et une personne qui les écoute (Dieu). Associé au verbe « erhören », il permet de restituer l’agent élidé : « von Gott ».

  • Der Verteidiger bat, an den Zeugen Kirffel einige Fragen stellen zu dürfen ; als ihm dies gewährt wurde, sagte er ... (ED, p.374)

Le verbe « gewähren », en association avec le substantif « der Verteidiger » et le savoir juridique de l’allocuté, permet de restituer l’agent omis, en l’occurrence « der Vorsitzende ». L’agent est explicité dans le co-texte aval :

‘Als der Verteidiger darum bat, diese Ä-a-Auseinandersetzung ins Protokoll aufzunehmen, was ihm vom Vorsitzenden mit einem Lächeln gewährt wurde [... ] (ED, p.375)’

Dans un procès, les relations entre les différents actants sont hiérarchisées. Celui qui occupe la fonction hiérarchique la plus haute est le président. Il a pour tâche de diriger le procès et de prononcer la sentence. Il distribue les tours de parole et est le seul à pouvoir « autoriser » (« gewähren ») l’avocat de la défense à poser ses questions.

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Les informations extra-énoncives ne renvoient pas nécessairement au savoir de l’énonciateur sur le monde extérieur. Elles peuvent concerner la communication elle-même. Le locuteur a la possibilité de passer l’agent sous silence quand cet agent est son interlocuteur, notamment dans les recettes de cuisine, les modes d’emploi, les règles du jeu et les règlements administratifs où les actions décrites doivent être obligatoirement effectuées par la personne à laquelle le texte s’adresse :

‘Ist der Temperaturregler eingestellt und die gewünschte Temperatur erreicht, sichtbar durch das Erlöschen der Kontrollampe, kann mit dem Backen begonnen werden (mode d’emploi d’un gaufrier).’

Le locuteur a la possibilité de s’effacer en tant qu’agent - par modestie186 ou par volonté d’objectivité - quand il réfère à sa propre activité énonciative (emploi d’un verbe du dire) :

‘[...] und hier nun - es muß leider gesagt werden - wurde der Pfarrer ziemlich unhöflich (VEKB, p.120)’

Il peut se servir d’un langage métalinguistique pour rendre transparente l’organisation de son discours. Ses commentaires portent alors sur la manière dont il conduit l’interaction verbale. Ils exercent une fonction de programmation, de planification, ont une portée rétrospective ou prospective. Dans la phrase suivante, ils annoncent du discours à venir :

‘Diese Leidenschaft gereichte ihm schließlich zum Untergang, wie später noch dargelegt werden wird. (SB, p.20)’

L’ellipse du complément d’agent « von mir » est très souvent facilitée par le recours au déictique de lieu « hier »187. En fait foi la série d’exemples que nous empruntons à Die verlorene Ehre der Katharina Blum de H. Böll où les passifs sans complément d’agent abondent dans les commentaires du narrateur :

  • Für den folgenden Bericht gibt es einige Neben- und drei Hauptquellen, die hier am Anfang einmal genannt, dann aber nicht mehr erwähnt werden. (VEKB, p.7)

  • Wenn der Bericht - da hier so viel von Quellen geredet wird - hin und wieder als « fließend » empfunden wird, so wird dafür um Verzeihung gebeten (VEKB, p.8)

  • Nun, es soll hier nicht vorenthalten werden, daß der Blum weitere Schrecken bevorstanden. (VEKB, p.76)

  • Es soll hier gleich festgestellt werden, daß Blorna Sträubleder [...] nicht in die Fresse schlug. (VEKB, p.88)

  • Es kann hier festgestellt werden, daß es zu fast unerträglichen Spannungen zwischen Frau Blorna und Alois Sträubleder gekommen war (VEKB, p.89)

  • Es soll hier kaum noch referiert, fast nur noch zitiert werden. (VEKB, p.112)

  • Es kann hier leider die eine oder andere Gewalttätigkeit nicht verschwiegen werden, die sich ergab, während Blorna sich auf den Prozeß gegen Katharina vorbereitete. (VEKB, p.121)

  • Das soll hier nicht alles erwähnt oder zitiert werden. (VEKB, p.121)

Si la compétence encyclopédique se présente comme un vaste réservoir d’informations extra-énoncives portant sur le contexte, la compétence linguistique permet d’extraire les informations intra-énoncives contenues dans la phrase et le co-texte. Elle présuppose la connaissance du code et comprend une grammaire intériorisée. Elle constitue un savoir sur les mots à l’aide duquel le décodeur peut rétablir l’agent « élidé » (nous mettons « élidé » entre parenthèses car il est peut-être plus pertinent de dire ici que l’agent est « remplacé »). Trois éléments phrastiques jouent un rôle important dans ce processus de restitution de l’agent : l’adjectif-adverbe dérivé, le complément circonstanciel de lieu et le complément de déverbé au « génitif subjectif ».

L’adjectif-adverbe dérivé est formé par suffixation sur une base nominale à valeur agentive et se termine le plus souvent par « -lich », « -al », « -ell », « -är » ou « -isch ». La base nominale désigne une institution ou le représentant d’une institution dont le verbe décrit une action caractéristique. Le lexème verbal « behandeln » exprime par exemple un procès qui relève de la fonction même de l’agent « Arzt » - d’où la possibilité de dire « er wurde ärztlich behandelt » - tandis que le verbe « anrufen » n’est pas caractéristique du travail d’un médecin, ce qui rend impossible l’emploi de l’adjectif-adverbe dérivé dans l’énoncé *« er wurde ärztlich angerufen » : 

‘Alle diese Verben bezeichnen Handlungen, für die die im Adjektiv genannten Institutionen zuständig sind, also Amtshandlungen und Dienstaufgaben. Bei den Verben, die eine Handlung bezeichnen, die nicht als Amtshandlung oder Dienstaufgabe der betreffenden Institution betrachtet werden kann, ist eine solche Verwendung des Adjektivs nicht möglich. [...] Der Begriff Amtshandlung bzw. Dienstaufgabe ist hier sehr eng zu fassen. Es muß sich um Handlungen handeln, für die die betreffende Institution sozusagen von Amts wegen zuständig ist, also nicht um Handlungen, die von ihr zwar ebenfalls vorgenommen werden, zu denen es aber keiner speziellen Befugnis oder Zuständigkeit bedarf.188

La base nominale désigne un agent animé ou un ensemble d’agents animés. Dans le cas où il y a concurrence entre deux adjectifs-adverbes qui réfèrent à la même institution, l’un désignant l’institution elle-même (« polizeilich »), l’autre un représentant individuel de l’institution (« kommissarisch »), il est d’usage de faire disparaître l’agent individuel réalisant l’acte derrière l’institution qu’il représente. Cet agent n’agit en effet pas en son propre nom mais au nom du corps dont il relève. Il se conforme aux textes de loi qu’il est censé appliquer à la lettre. B. Engelen juge curieux le choix de l’adjectif-adverbe désignant le représentant individuel. Celui-ci apporte pourtant une information supplémentaire en précisant qui, au sein de l’institution, est directement responsable de l’acte nommé :

‘Wenn sowohl ein Adjektiv für einen Amtsträger wie eins für die Institution vorhanden ist, so wird fast immer das für die Institution agentiv verwendet, jedoch fast nie das für den Amtsträger. Für dieses Phänomen bietet sich allerdings auch die Deutung an, daß es sich hier um eine Aussageweise handelt, die es ermöglicht, die Institutionen als Instanzen darzustellen, die von den in ihnen agierenden Einzelpersonen unabhängige Wesenheiten bilden und nicht hinterfragt werden können oder dürfen.189

L’adjectif-adverbe dérivé « polizeilich » réfère à l’ensemble des fonctionnaires de police :

‘Schäfer wird derzeit in Chile polizeilich gesucht (Der Spiegel n°33, 11.08.1997, p.125),’

alors que l’adjectif-adverbe « kommissarisch » précise le grade du policier en action et reflète ainsi l’importance accordée à l’affaire. Dans l’extrait suivant, l’expert est interrogé par un commissaire et non par un simple inspecteur de police parce que l’honneur de l’armée est en jeu :

‘Der Tank des Jeeps war, wie der Brandsachverständige Professor Kalburg, der als einer der bedeutendsten Pyrotechniker galt und hatte kommissarisch vernommen werden müssen, in einem schriftlichen Gutachten festgelegt hatte, zuerst durchlöchert worden. (ED, p.365)’

Si la base nominale ne désigne pas une personne ou un ensemble de personnes, son référent est un faux agent à valeur instrumentale :

  • In Lecco blieb er acht Wochen, dann riß er aus und wurde seither im Lombardischen steckbrieflich gesucht. (SB, p.157)

  • Paradoxerweise bestehen Ehen oft nicht trotz, sondern wegen der Impotenz des Mannes weiter. Wird die Erektion dann medikamentös geputscht, so stimmt noch lange nicht die Chemie. (Focus n°34, 17.08.1998, p.166)

Certains adverbes ont à la fois une valeur agentive et une valeur locative. « Öffentlich » entre dans cette catégorie :

‘Schließlich sei die Erbarmungslosigkeit jener neuen Kunstrichtung, die man Happening nenne, in einer überregionalen Zeitung von hohem Ansehen, einer Zeitung, die nicht im geringsten verdächtig sei, öffentlich anerkannt worden. (ED, p.492)’

Il est possible de commuter « öffentlich » avec le complément d’agent « von der Öffentlichkeit » tout comme il est possible de commuter « öffentlich » avec le complément de lieu à valeur locative « in der Öffentlichkeit » :

‘Wochen-, nein monatelang ist in der Öffentlichkeit Lobbyismus als Gemeingut feilgeboten worden. (Willy Brandt au Bundestag lors du débat « Bonn ou Berlin ? »)’

L’organisation mentale du lexique repose sur la procédure cognitive de l’association : sont regroupés dans un même champ sémantique les mots qui s’évoquent mutuellement, notamment pour des raisons de contiguïté référentielle. Si un mot est employé pour référer à un autre mot qui lui est proche dans le monde extra-linguistique, on parle de métonymie. Il y a métonymie spatiale quand la mention d’un lieu fait naître dans l’esprit de l’interlocuteur l’image de la ou des personne(s) se trouvant dans ce lieu :

  • Die moralischen Vorstellungen des Oberleutnants, der in der Garnison als der fromme Robert bezeichnet wurde, waren ihm recht unangenehm. (ED, p.403)

La préposition « in » n’introduit pas directement l’agent du procès « bezeichnen » (les soldats) mais l’espace qui le contient (la garnison). Son désigné spatial à paramètre locatif l’emporte sur le paramètre agentif qui y est toutefois inclus.

  • Und in derselben Nacht schickte sich die Hand bereits zum achten Mal an, unter Pfandls Bettdecke zu kriechen. Endlich ließ es die bis auf den Tod Gekränkte gewähren. Der Schmerz kannte kein Maß mehr, und auf beiden Seiten der Bettstatt wurde bitterlich geweint. Denn beide wußten nur zu genau, daß die Zeiten bald vorüber wären, da man auf der Straße Notiz von ihnen nähme, und daß es vorläufig klug wäre, das Tandemfahren sein zu lassen. (L, p.308)

Le groupe prépositionnel dont la base (la préposition « auf ») a un désigné spatial locatif situe précisément le procès et désigne indirectement les agents de ce procès, lesquels seront repris explicitement dans le co-texte aval par le quantificateur « beide ». Il apporte une information supplémentaire d’ordre proxémique, c’est-à-dire qu’il fournit, par le biais d’indications spatiales, des renseignements précieux sur l’état psychologique des personnages. En signalant l’éloignement physique de Michaela Pfandl et de l’intendant de télévision, il renseigne sur la froideur de leur relation et en annonce la fin.

  • Seine Tochter, erzählt Mühlberg, wolle nichts mehr mit dem Osten zu tun haben. « Da habe ich ihr gesagt : Alle zehn Sekunden kann ich dir anmerken, dass du aus dem Osten kommst. » Er nimmt den Löffel in die Hand und führt vor, wie östlich und wie westlich eine Suppe gelöffelt wird. Der Westler führe den Löffel vom Körper weg in den Teller, dann weit weg und erst im hohen Bogen in den Mund. Der Ostler hingegen löffle zügig in sich hinein. « So löffeln eben kleine Leute. » (Der Spiegel n°36, 06.09.1999, p.71)

Les indications spatiales « östlich » et « westlich » désignent indirectement les habitants de l’Est (« der Ostler ») et de l’Ouest de l’Allemagne (« der Westler »). L’explicitation des agents non-exprimés dans un premier temps vise à souligner par la répétition que le processus politique de la réunification n’a pas effacé les différences entre l’Est et l’Ouest et que dix ans après la chute du mur de Berlin, la frontière interallemande reste présente dans les esprits.

  • Einen Pfennig gab es fürs Kilo Heublumen, die in der Stadt in den Apotheken für zwanzig Pfennig das Kilo an nervöse Damen verkauft wurden (WB, p.45)

La base nominale du groupe prépositionnel à désigné locatif (« in den Apotheken ») est coréférente à l’agent non-exprimé (« von den Apothekern »).

  • Er tat dies mit nahezu fanatischer Sammlerwut und hielt sogar die Kleinen in der Schule an, ihm alle Devotionalien zu überlassen, welche daheim nicht mehr gebraucht wurden. (SB, pp.120-121)

L’adverbe « daheim » équivaut sur le plan référentiel au groupe prépositionnel « von ihren Familienmitgliedern » et présente l’avantage de la brièveté.

  • BRÜHL leise zu Dievenbach : Halt dich von dem Lohmann weg, der hält dich nicht.
    DIEVENBACH laut : Du, Lohmann, der Brühl sagt, ich soll mich von dir weghalten, du hältst dich nicht.
    BRÜHL Schwein.
    LOHMANN Das sagst du, du Judas ! Warum ist der Karl in den Bunker gekommen ?
    BRÜHL Wegen mir etwa ? Hab ich Zigaretten gekriegt, niemand weiß, woher ?
    LOHMANN Wann hab ich Zigaretten gekriegt ?
    DER BIBELFORSCHER Obacht !
    Die SS-Wache geht auf dem Damm oben vorüber.
    SS-MANN Hier ist geredet worden. Wer hat geredet ? (FEDR, p.29)

La scène se passe dans un camp de concentration où les prisonniers n’ont pas le droit de communiquer entre eux. Ils encourent la sentence du cachot s’ils désobéissent. Le SS qui les surveille a entendu des éclats de voix et vient interroger les détenus pour savoir qui a parlé. Au moyen du déictique de lieu « hier », il situe les coupables dans un espace limité, mais il n’implique pas individuellement toutes les personnes se trouvant dans cet espace. Il cherche à définir le sous-ensemble de ceux qui se sont rendus coupables d’avoir dit quelque chose à l’intérieur de l’ensemble de ceux qui étaient présents avant son arrivée. Il se trouve que dans le cas présent le sous-ensemble et l’ensemble se recoupent parfaitement car les quatre prisonniers ont fauté même si le « Bibelforscher » n’a « ouvert la bouche » que pour mettre en garde ses camarades.

Le complément d’un déverbé au « génitif subjectif » fournit l’agent non-exprimé dans l’énoncé passif à condition que le procès qu’exprime le déverbé et le procès dont l’agent n’est pas exprimé dans l’énoncé passif aient le même sujet logique. Le « génitif subjectif » exprime une relation syntaxique de dérivation d’une structure sous-jacente. Cette relation est une relation de sujet à verbe :

‘Obwohl ihn Ambras [sic !] Befehl wütend machte, tat er, was ihm befohlen wurde (MK, p.172) ’

La base du groupe nominal en fonction de sujet dans la subordonnée concessive (« Befehl ») est un déverbé qui présente le même radical que le verbe de la relative à la voix passive (« befohlen wurde »). « Ambras’ » est un génitif saxon à valeur de « génitif subjectif », il indique l’agent du procès « befehlen » et permet d’identifier le procès par son actant essentiel. S’il commute avec l’adjectif possessif « sein », l’agent reste identifiable à condition que « sein » ait un référent dans le co-texte amont :

‘Obwohl ihn sein Befehl wütend machte, tat er, was ihm befohlen wurde.’

La base du groupe nominal affectée d’une expansion avant ou arrière au génitif ou précédée d’un déterminant possessif ne présente pas nécessairement le même radical que le verbe à la voix passive :

‘Seine Freunde [...] sind besorgt, zumal seine Aggressionen - etwa gegen die ZEITUNG, die ihn immer wieder mit kurzen Publikationen bedenkt - nicht mehr ausbrechen, sondern offensichtlich geschluckt werden. (VEKB, p.125)’

Dans cet extrait de Die verlorene Ehre der Katharina Blum de H. Böll, le lecteur apprend que Blorna est agressif, mais qu’il n’extériorise pas cette agressivité. Il arrive à la contenir en lui.

Quittons à présent le cadre de la phrase-énoncé et tournons-nous vers le co-texte, véritable mine d’or du linguiste. Lorsque le co-texte amont comporte un élément pouvant figurer dans l’énoncé en tant que sujet logique ou lui étant directement coréférent, nous parlerons avec R.-A. de Beaugrande et W. Dressler d’« ellipse anaphorique de l’agent »190. Est passé sous silence un agent thématique :

‘[...] der Generalvikar langte hinein und zog den Namen des ersten Candidaten. Er hieß Peter Paul Battlog, war fünfzehnjährig und der Sohn des Steueramtsoffizials Christian Battlog. Dann zog der Generalvikar einen zweiten Namen, einen dritten und so fort. Der Name Elias Alder wurde als vorletzter Name gezogen. (SB, p.169)’

L’ellipse fonctionne selon le modèle d’une équation mathématique à une inconnue :

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Elle repose sur le principe de la répétition qui favorise l’assimilation. Le lecteur est à même de rétablir l’élément manquant dans le troisième énoncé - le complément d’agent « vom Generalvikar » - car la répétition des éléments x, y, et z dans les deux premiers énoncés lui a laissé le temps de mémoriser les relations syntaxiques et sémantiques qui les unissent.

L’ellipse peut aussi reposer sur le principe de la dérivation :

‘Goller kam im Auftrag des sogenannten Institutes der hochedlen und klassischen Künste zu Feldberg, welchem das Musicalische Institut angegliedert war. Goller war aufgetragen worden, sämtliche Orgeln des Landes zu besichtigen. (SB, p.161)’

L’agent élidé apparaît dans le co-texte amont sous la forme d’un complément de déverbé au « génitif subjectif ». La base nominale du groupe prépositionnel (« Auftrag ») présente le même radical que le verbe de la phrase à la voix passive (« war aufgetragen worden ») et c’est son expansion arrière qui fournit l’agent du procès exprimé par le verbe « auftragen ».

Troisième principe sur lequel repose l’ellipse anaphorique de l’agent : le principe de l’association qui est fondé sur l’existence de champs sémantiques pouvant être structurés en termes d’implication unilatérale et d’inclusion pour la relation d’hypéronymie. Voici deux exemples :

  • [...] die Bauern weiteten ihre Suche aus, ja durchkreuzten den Wald von allen Richtungen bis hinab nach Götzberg. Aber Seff Alder wurde nicht gefunden. (SB, p.134)

« Cherchez et vous trouverez », peut-on lire dans la Bible. Les paysans ont cherché Seff Alder et ne l’ont pas trouvé. Parce que la quête implique l’effort de trouver, l’agent du procès « suchen » (qui est « die Bauern ») est identique à l’agent du procès « finden ».

  • [...] die Nulfin war ein Weib, welches die bösen Launen des sonntäglich berauschten Mannes geduldig ertrug, welches nicht flennte, wenn es geschlagen und geschändet wurde. (SB, p.100)

Le terme générique abstrait « die bösen Launen » recouvre les actions négatives exprimées par les verbes « schlagen » et « schänden ». Il admet pour expansion arrière le groupe nominal au génitif « des sonntäglich berauschten Mannes » qui ne laisse aucun doute sur l’auteur des violences physiques exercées sur la « Nulfin ».

L’ellipse anaphorique de l’agent peut également faire appel à la procédure cognitive de l’interprétation :

‘Die Sache wurde von den Eschberger Bürgern beim Civil- und Criminalgericht zu Feldberg angezeigt, doch behauptete das Generalvikariat, der Casus sei Kirchenangelegenheit, und man werde den irrigen Bruder vor einem Kirchengericht aburteilen, was dann auch geschah. Dem Kuraten wurde sein jährliches Gehalt von dreihundertfünzig Gulden auf die Hälfte gestrichen. (SB, p.27)’

Pour restituer l’agent élidé, l’allocuté doit procéder en deux temps. Il doit d’abord comprendre que la diminution du salaire du curé est un verdict, le résultat d’un jugement, puis que ce verdict est celui du tribunal ecclésiastique. Il ne peut déterminer le complément d’agent élidé (« von dem Kirchengericht ») qu’après avoir transformé la procédure (« aburteilen ») en un résultat de procédure (« Urteil »). La subordonnée continuative « was dann auch geschah » l’aide à opérer correctement ce processus inférentiel, elle établit un pont entre la procédure et son résultat.

Lorsque c’est le co-texte aval qui identifie après-coup l’agent omis provisoirement dans un énoncé antérieur, nous parlerons avec D. Baudot d’« ellipse cataphorique de l’agent »191. Cette omission revêt deux fonctions différentes : premièrement, une fonction informative-communicative qui consiste à réaliser une certaine progression de l’information par dissociation d’éléments dynamiques ; deuxièmement, une fonction pragmatique d’éveil de la curiosité de l’allocuté.

En quoi l’ellipse cataphorique de l’agent contribue-t-elle à faciliter le travail de décodage de l’allocuté ? Nous allons tenter de le montrer à partir des exemples suivants :

  • Mehr zu hören, wurde ihm nicht bestimmt, denn Gott war fertig mit ihm. (SB, p.198)

L’auteur R. Schneider procède en deux temps. Il dissocie les informations de façon à mettre en valeur chacune d’entre elles. Il commence par informer l’allocuté qu’Elias est sur le point de mourir avant d’incriminer Dieu qu’il juge responsable de cette mort prématurée. Il passe sous silence l’agent du procès « bestimmen » avant de le spécifier et d’en faire l’objet d’une prédication particulière. R. Schneider présente « Gott » comme le « support » du deuxième énoncé alors qu’il aurait été « apport », c’est-à-dire qu’il aurait fourni des informations à propos du thème dans la forme contractée « Mehr zu hören, wurde ihm von Gott nicht bestimmt. » La contraction aurait eu l’avantage de faire l’économie linguistique du deuxième énoncé qui fournit une justification a posteriori de l’énonciation du premier.

  • Freiwillig in die Krankheit ? Zum erstenmal soll ein Aidsimpfstoff mit einem lebenden, abgeschwächten Erreger am Menschen erprobt werden. 500 Probanden haben sich gemeldet. Sind sie Selbstmörder, wie Kritiker meinen, oder mutige Einzelgänger ? (Der Spiegel n°45, 03.11.1997, p.258)

Le journaliste du Spiegel procède en trois temps. Il annonce dans un premier temps qu’un vaccin contre le sida va être expérimenté, puis il indique le nombre des personnes auxquelles ce vaccin sera inoculé avant de s’interroger sur les intentions de ces cobayes humains prêts à risquer leur vie pour la science : ont-ils des tendances suicidaires ou font-il preuve d’un courage remarquable, qui n’est pas sans rappeler le rite sacrificiel des anciens ? Le journaliste aurait pu signaler dès le premier énoncé le nombre des individus disposés à tenter l’expérience : « Zum erstenmal soll von 500 Probanden ein Aidsimpfstoff mit einem lebenden, abgeschwächten Erreger am Menschen erprobt werden. » Il ne le fait pas pour ne pas assaillir d’un coup son lecteur d’informations qu’il juge très importantes. Il préfère ménager une progression en présentant dans un deuxième énoncé le sujet « 500 Probanden », qui doit son statut rhématique à la présence du quantificateur numéral. Il lui fait occuper la première position, lieu privilégié du thème, avant de le reprendre, cette fois comme sujet thématique, dans un troisième énoncé sous la forme du pronom personnel « sie ».

  • So brachte er die ganze Nacht auf der Orgel zu. Im Morgengrauen befiel ihn eine Unzufriedenheit. Sosehr ihn auch das Präludieren erfüllte, die Sehnsucht seiner Ohren nach dem vollendeten Klang ließ sich nicht stillen. Er wußte, daß es am Instrument selbst lag. Es war müde. Es war krank. Elias stieg vom Bock herunter, nahm den Kerzenstummel und besah das Instrument, studierte die Pfeifen aus dem Material seiner Schuhkappen, öffnete einen weiteren Pfeifenkasten, lugte hinein, berührte eine Holzpfeife nach der anderen, kroch überhaupt in den Kasten und prüfte den Klang der einzelnen Hölzer. Er bemerkte jetzt noch größere Unstimmigkeit. Die Orgel mußte geheilt werden, und Elias beschloß, dafür Sorge zu tragen, daß die Orgel bald gesund würde. Er wolle nicht ruhen, flüsterte er mit sich, bis daß sie ihre Seele wiedergefunden habe. (SB, p.70)

En apparence, ce troisième extrait est similaire aux précédents. R. Schneider choisit de dissocier les unités informatives plutôt que de les synthétiser dans un même énoncé - et ce au prix d’une redite (« Die Orgel mußte geheilt werden », « daß die Orgel bald gesund würde »). Il évite un trop-plein d’information en établissant d’abord le diagnostic (« Die Orgel mußte geheilt werden »), puis en indiquant l’agent-médecin (« Elias beschloß, dafür Sorge zu tragen, daß die Orgel bald gesund würde »). Ce choix n’a pas pour objet de filer la métaphore en apportant une dernière touche à la personnification de l’orgue (« müde », « krank », « heilen », « gesund », « Seele »). Il procède d’un changement d’énonciateur. « Die Orgel mußte geheilt werden » est un énoncé polyphonique qui mêle inextricablement les voix du narrateur et du personnage. Il intègre les paroles d’Elias dans le fil de la narration tout en restituant leur subjectivité langagière. L’ilôt de discours indirect libre se termine avec l’apparition de « und » marquant l’émergence d’un nouvel énonciateur192. Il s’agit du narrateur, qui, cette fois, ne se fait pas l’écho, le porte-parole d’Elias, mais parle avec ses propres mots pour son propre compte.

  • Als einzig geglückt in den « Duhr - Terrassen » erwies sich das Schokoladenparfait, das auch jenen zum Trost und zur Versöhnung gereicht wurde, denen es laut Karte und Menü nicht zugestanden hätte ; hergestellt worden in Mengen, die in keiner Proportion zu den wahrscheinlichen Menü-IV-Bestellungen standen, schon am Abend vorher von den Händen derer, die Herz, Gemüt und Hand ihrer Mutter durch die stolze Mitteilung derart verstört hatte, daß der selbst ihre Spezialität - der Sauerbraten - mißglückt war ; gereicht wurde das Parfait von den Händen ihres Vaters, der melancholisch, wenn auch nicht untröstlich sich wegen des mißlungenen Essens entschuldigte (ED, pp.432-433)

L’auteur H. Böll commence par mettre l’accent sur le procès (« das Schokoladenparfait wurde gereicht ») avant de nommer l’agent du procès (« gereicht wurde das Parfait von den Händen ihres Vaters »). Il facilite le travail de réception de l’allocuté en lui évitant une phrase complexe, caractérisée par des enchâssements hypotaxiques :

‘Als einzig geglückt in den « Duhr - Terrassen » erwies sich das Schokoladenparfait, das von den Händen ihres Vaters, der melancholisch, wenn auch nicht untröstlich sich wegen des mißlungenen Essens entschuldigte, jenen zum Trost gereicht wurde, denen es laut Karte und Menü nicht zugestanden hätte.’

L’ellipse provisoire de l’agent sert également à piquer la curiosité de l’allocuté. Elle crée entre le locuteur et l’allocuté une relation intersubjective de type ludique193. Le locuteur met à profit sa connaissance de la construction progressive du représenté chez le récepteur pour tenir ce dernier en haleine et pour créer chez lui une sorte de suspens frustrateur. Il sait que l’allocuté décrypte le message dans son déroulement temporel et mentionne pour cette raison l’agent rhématique le plus tard possible sur la chaîne graphique. En d’autres termes : il prend en compte la temporalité du décodage pour jouer avec son interlocuteur. Voyons immédiatement sur pièces de quoi il retourne :

  • Erst klang der Schrei nach furchtbarem Lachen, dann aber wußte Elias, daß irgendwo in den Rauchschwaden ein Mensch zu Tode gebracht wurde. Und Elias vernahm die Stimme der Mörder, und der, der alle antrieb, hieß Seff Alder. Seff Alder, sein Vater. Sein Vater, den er lieb hatte und der ihn lieb hatte. (SB, p.84)

R. Schneider pique la curiosité du lecteur en ne nommant pas sur-le-champ l’identité du ou des assassins. Il livre les informations nouvelles avec parcimonie, par petites touches successives et adopte la technique de l’« entonnoir ». Il choisit tout d’abord une tournure passive sans complément d’agent pour laisser dans le flou de l’indéfini l’identité du ou des meurtriers. Il informe ensuite son lecteur, au moyen de la catégorie du nombre, de leur pluralité et révèle pour finir le nom du chef de la bande des criminels, le nom de celui qui appelle à la haine : il s’agit de Seff Alder, le père d’Elias. Cette information produit une sorte d’effet de « feed-back ». Elle permet au lecteur de combler l’élément manquant dans le premier énoncé. Elle fournit la réponse à sa question implicite tout en s’accompagnant d’un effet de surprise. Surprise du lecteur d’une part, mais aussi et surtout surprise du héros, Elias, derrière lequel s’efface momentanément le narrateur omniscient. Elias n’identifie pas tout de suite la voix de son père en dépit de ses extraordinaires facultés auditives car il a besoin d’un certain temps pour accepter la cruelle réalité de la découverte.

  • Die Seffin meinte nämlich, er sei schon aus dem Haus gebracht worden. In Wirklichkeit hatte Fritz den Mongoloiden in Sicherheit gebracht, nicht aber den Vater. (SB, p.202)

R. Schneider joue doublement avec le lecteur : il utilise un pronom (« er ») qui ne renvoie à aucun élément du co-texte antérieur et recourt à une structure passive sans complément d’agent. Il le sous-informe de façon à provoquer chez lui certaines interrogations (« wer ist nicht aus dem Haus gebracht worden ? », « von wem sollte er denn aus dem Haus gebracht werden ? »), interrogations qui ne trouveront une réponse qu’après que le lecteur aura émis des hypothèses. L’auteur contraint le lecteur à se faire détective l’instant d’un énoncé. Il éveille sa curiosité, puis la satisfait en donnant lui-même la solution de l’énigme.

  • ERSTE Lassen Sie doch diesen Unfug ! Auch Sie sind nur ein Produkt Ihrer Klasse und es gibt nur zwei Klassen : Ausbeuter und Ausgebeutete, und Sie - -
    DON JUAN fällt ihr wieder ins Wort : Ich werd immer ausgebeutet.
    ERSTE höhnisch : Von wem denn ?
    DON JUAN : Von euch Weibern (DJ, p.59)

Dans cet extrait, que nous empruntons à une pièce de théâtre d’Ö. von Horváth, l’absence du complément d’agent constitue l’objet même de la discussion. Don Juan, présenté dans la pièce comme un profiteur de guerre (« eine Hyäne der Inflation »), un capitaliste (« Sie sind der einzige Kapitalist, den ich kenne »)194, prétend dans cet échange compter parmi les exploités. Son interlocutrice, surprise, veut savoir qui est l’exploiteur. Elle l’oblige à fournir son identité au moyen d’une question directe partielle qu’elle énonce sur un ton sarcastique. Il s’avère alors que l’opposition marxiste entre exploiteurs et exploités, qui est une opposition de classes, est devenue dans la bouche de Don Juan une opposition de sexes (opposition entre « ich » et « euch Weiber »).

L’ellipse cataphorique de l’agent varie en fonction de facteurs diaphasiques. Dans une pièce de théâtre, un personnage présent sur scène se fait le porte-parole du spectateur-lecteur et formule à haute voix la question que ce dernier se pose en silence : « Von wem denn ? ». Dans un texte narratif, la question devient implicite. Le lecteur la formule mentalement sans que celle-ci figure noir sur blanc sur le papier. La progression de l’information n’est pas suscitée par l’intervention d’un tiers, mais elle est agencée de bout en bout par une seule personne, l’auteur, chef d’orchestre du texte. C’est lui qui, au moyen d’informations incomplètes, pique la curiosité du lecteur pour l’assouvir ensuite. Cette stratégie discursive lui permet d’instaurer avec son lecteur une certaine connivence, voire de nouer avec lui des liens affectifs très forts. A preuve, ces quelques lignes de Schlafes Bruder de R. Schneider :

  • Unser Leser, mit dem uns zwischenzeitlich ein Gefühl fremder Vertrautheit verbindet, will nun nicht denken, Elias habe aufgehört zu musizieren. (SB, p.96)

  • Wir ersparen dem Leser, der uns ein guter Freund geworden ist - er wäre unmöglich bis an diesen Punkt des Büchleins vorgedrungen -, die Einzelheiten der Auslöschung des Dorfes Eschberg. (SB, p.202)

Le lecteur fait de son côté le même constat :

‘Mais très vite, la voix du prof interfère : plaisir parasite d’une joie plus subtile.
- ça aide que vous nous lisiez, monsieur, mais je suis content, après, de me retrouver tout seul avec le livre.
[...] Le vrai plaisir du roman tient en la découverte de cette intimité paradoxale : l’auteur et moi ... La solitude de cette écriture réclamant la résurrection du texte par ma propre voix muette et solitaire.195

Dans le dialogue théâtral, une telle intimité est impossible parce que le texte de théâtre participe de deux situations d’énonciation à la fois, la représentation elle-même (niveau extra-scénique) et la pièce représentée (niveau intra-scénique). Il a deux destinataires distincts : l’interlocuteur sur scène et le public. Le public n’a pour les personnages que le statut de « récepteur additionnel », c’est « un intrus, qui ‘surprend’ un discours qui ne lui est pas en principe destiné ». Ce « dédoublement en abyme des niveaux d’énonciation »196 rend la communication entre l’auteur et le public indirecte. Il empêche l’établissement d’une connivence entre eux, ne permet pas l’abolition totale de la distance qui les sépare.

L’ellipse cataphorique de l’agent est fréquente dans les titres de la presse écrite qui doivent être courts pour être percutants, accrocheurs. Elle fait partie intégrante de la stratégie commerciale des journaux et des magazines, lesquels passent sous silence une information en couverture afin d’inciter le lecteur à lire l’article et, par là, à acheter le journal ou le magazine. Les titres des sommaires et des articles ainsi que les citations mises en exergue fonctionnent sur le même modèle. Ils retiennent l’attention du lecteur car ils ne disent pas tout, ils dévoilent juste ce qu’il faut pour donner envie de se plonger dans la lecture de l’article. Le lecteur peut ainsi lire dans le sommaire du Spiegel que les Kurdes expulsés sont torturés à leur retour en Turquie :

Asylpolitik : Abgeschobene Kurden werden in der Türkei gefoltert (Der Spiegel n°26, 22.06.1998, p.6) ’

mais il faut qu’il consulte l’article pour savoir qui sont les tortionnaires :

  • Wie die Praxis aussieht, zeigt der Fall Mehmet Ali Akbas. Der 32jährige Kurde war im Januar in die Türkei abgeschoben worden. Dort wurde er von Polizisten an Beinen, Ohren und Genitalien gefoltert. (Der Spiegel n°26, 22.06.1998, p.50)

  • Auch Süleyman Yadirgi, ein Kurde, der früher in Köln lebte, bestätigte in einer eidesstattlichen Erklärung Schikanen nach seiner Rückkehr in die Türkei. Sechs Tage lang war er in Haft. Er wurde getreten, geschlagen, Polizisten drohten, ihm die « Kehle durchzuschneiden ». (Der Spiegel n°26, 22.06.1998, p.52)

De même, le lecteur est-il informé dans le sommaire du Spiegel que Kylie Minogue est fêtée comme la nouvelle reine du sexe :

Pop : Kylie Minogue wird als neue Sex-Göttin gefeiert (Der Spiegel n°39, 22.09.1997, p.7).’

Dès le titre de l’article, il apprend que c’est à Londres qu’elle est adulée :

Heißester Platz auf Erden
Londons Glamourszene feiert sie als Sexsymbol der Saison - nur mit dem Titel ihrer jüngsten Platte passierte der Australierin Kylie Minogue ein Fehlgriff. (Der Spiegel n°39, 22.09.1997, p.239)’

et c’est en lisant l’article qu’il découvre la passion que lui vouent les médias britanniques :

Vor allem die Medien ihrer Wahlheimat Großbritannien feiern die Australierin derzeit als neue Göttin der Coolness : « Sie ist die Frau, die durch ihre Anwesenheit jede Party, jede Modeschau und jedes Restaurant zum heißesten Platz auf Erden macht », schwärmt das Londoner Hochglanzblatt TATLER. (Der Spiegel n°39, 22.09.1997, p.239) ’

Lorsque c’est le contexte environnant, la situation extérieure qui permet d’identifier l’agent élidé, nous parlerons d’« ellipse exophorique de l’agent »197. Ce type d’ellipse peut être illustré par une scène de la pièce de théâtre Don Juan kommt aus dem Krieg d’Ö. von Horváth. La scène fait intervenir quatre personnages : Don Juan, une serveuse et deux artistes. Elle s’ouvre par l’extériorisation des sentiments ou du moins de l’intérêt que la première artiste témoigne à Don Juan : « Dort steht ein Mann, der könnt mir gefallen. »198 et se termine par un échange verbal entre la serveuse et la deuxième artiste :

  • KELLNERIN grinst : Ihre Freundin wird, mir scheint, verführt - -

  • ZWEITE tonlos : Kennen Sie den Mann ?

  • KELLNERIN blickt nach dem Hauptraum.

  • ZWEITE Wer ist das?

  • KELLNERIN Bekannt kommt er mir vor, so irgendwie - - (DJ, pp.34-35)

La serveuse ne nomme pas l’agent du procès « verführen » pour deux raisons. D’une part parce qu’il est évident dans la situation : toute la scène est consacrée à l’attirance que Don Juan exerce sur la première artiste. D’autre part parce qu’elle ne connaît pas son nom. Interrogée sur son identité exacte, elle donne une réponse de Normand.

Notes
178.

RUTTEN 1980, p.80

179.

RUTTEN 1980, p.73

180.

RUTTEN 1980, p.80

181.

RUTTEN 1980, p.83

182.

EROMS 1974, p.173

183.

Cf. PAPE-MÜLLER 1980, p.93 : « Dazu gehören in erster Linie Verben mit einer obligatorischen institutionalisierten Handlungsbezeichnung, wie verhaften, beschlagnahmen, obduzieren, konfirmieren, einsegnen, firmen, beisetzen, einäschern, exkommunizieren, promovieren u.a. »

184.

PAPE-MÜLLER 1980, p.110 : « Das Aktiv von geboren werden gebären ist übrigens umgangssprachlich nicht üblich ; hier treten Umschreibungen ein, wie ein Kind zur Welt bringen, ein Kind bekommen etc. »

185.

MULLER 1993, p.20

186.

SCHNEIDER 1963, p.263 : « Der Verfasser vermeidet es, als Ich aufzutreten. Max Deutschbein bietet dafür die Bezeichnung ‘Passivum der Bescheidenheit’ an. »

187.

Cf. SCHOENTHAL 1976, p.134 : « Charakteristisch dafür ist etwa die Vermeidung des Sprecher-Ichs mit Hilfe von Lokaldeixis ».

188.

ENGELEN 1990, p.146

189.

ENGELEN 1990, p.144

190.

BEAUGRANDE & DRESSLER 1981, p.72

191.

BAUDOT 1989, p.382

192.

Cf. VUILLAUME 1986, pp.74-75 pour l’emploi de « und » comme marqueur de clôture du discours indirect libre. M. Vuillaume estime que lorsqu’on peut conjoindre au moyen de « und » deux phrases dont les contenus sont totalement hétérogènes, il y a de fortes chances pour que la première relève du discours indirect libre et qu’elle ne serve pas à représenter un fait mais à simuler un acte de parole.

193.

Cf. DUCROT 1991, p.4 : « On cessera donc de définir la langue, à la façon de Saussure, comme un code, c’est-à-dire comme un instrument de communication. Mais on la considérera comme un jeu, ou, plus exactement comme posant les règles d’un jeu ».

194.

HORVÁTH 1989, p.38, p.58

195.

PENNAC 1992, pp.119-120

196.

KERBRAT-ORECCHIONI 1986, p.134

197.

BAUDOT 1989, p.379

198.

HORVÁTH 1987, p.31