2.3.2.1 Rhématicité du complément d’agent

L’attribution du statut thématique ou rhématique au complément d’agent pose le problème délicat de la définition des notions de « thème » et « rhème ». Ces notions ont été créées par les linguistes pour rendre compte d’un certain nombre de phénomènes textuels. Elles ont une visée scientifique. Le problème est qu’elles présentent une composante subjective. La définition du thème comme véhiculant une information connue est fondée objectivement s’il est possible de vérifier que l’information a été préalablement mentionnée dans le co-texte amont. Si le co-texte immédiatement précédent fournit l’agent du procès repris dans l’énoncé passif, le complément d’agent se voit attribuer le statut thématique sans autre forme de procès (du moins en apparence). S’il est nécessaire d’étendre largement le cotexte amont pour reconnaître au complément d’agent son statut thématique, le facteur « subjectivité » intervient par le biais de la mémoire à long terme (« Langzeitgedächtnis ») dont le travail consiste à transformer des signes en contenus de pensée. La mémoire à long terme traite les informations avant de les stocker sous forme de représentations mentales tandis que la mémoire à court terme enregistre des signifiants et en conserve le souvenir précis pendant quelques secondes. Plus il faut remonter loin dans le texte pour reconnaître à l’unité le statut thématique, plus les risques sont grands que l’allocuté ait entre-temps oublié la première évocation :

  • Das Antlitz war durch eine Art Hautleiden übermäßig gerötet. (L, p.254)

  • Ambros Bauermeister trug Sonnenbrille, und sein Gesicht war vom Ausschlag gerötet. (L, p.277)

Le locuteur peut supprimer ce paramètre subjectif en signalant lui-même à l’allocuté qu’il reprend une information au moyen du modalisateur « bekanntlich ». « Bekanntlich » est l’indice d’une reprise, c’est une instruction de décodage qui invite l’allocuté à se remémorer ce qui a été dit ou à faire appel à son savoir encyclopédique. « Bekanntlich » ne garantit pas que l’information est effectivement connue du locuteur et de l’allocuté. Il peut servir à présenter une information nouvelle comme connue avec pour but de créer une connivence entre les interlocuteurs ou au contraire de marginaliser l’allocuté si l’allocuté est le seul à ne pas savoir. Dans l’extrait de Die Luftgängerin de R. Schneider que nous citons ci-dessous, la quadruple répétition du modalisateur souligne la fonction récapitulative du passage. L’auteur résume en quelques lignes ce qu’il a développé dans un chapitre antérieur. La construction du livre par entrecroisement de destins l’oblige à rappeler brièvement au lecteur ce qu’il a écrit quelques dizaines de pages plus tôt sur le personnage de Boje Birke :

‘Boje Birke wollte sich nicht damit abfinden, die so sehr angeliebte Elfin Anna Spiegel, Co-Moderatorin der Lokalen Stunde, nie mehr vom Bildschirm in sein Herz strahlen zu wissen. Bekanntlich war die junge Dame vom Intendanten gekündigt worden, und Michaela Pfandl, der Hand neue Geliebte, plauderte jetzt in den rheintalischen Stuben. Bekanntlich hatte Boje Birke bereits ein erstes Drohschreiben an die Fernsehinstanz geschickt und darin den fatalen Fehler begangen, den Absender anzuführen. Bekanntlich war der Brief gesechstelt in den Pfandlschen Papierkorb geschneit, und bekanntlich wartete der größte Frauenkenner des Abendlandes drei Monate lang, um den Plan von der Abschaffung dann mit äußerster Konsequenz in die Tat zu setzen. (L, p.301)’

R. Schneider arrête momentanément la linéarité du discours en développant un paradigme. Il procède à une reformulation que nous nous proposons d’illustrer au moyen du premier des quatre énoncés en « bekanntlich », lequel a pour énoncé-source, c’est-à-dire pour référent dans le co-texte amont :

‘Ein leichtes für Boje herauszufinden, weshalb Anna Spiegel der Lokalen Stunde verlustig gegangen war. Das Bratpfannengesicht, des Intendanten neue Flamme, schmorte vor Eifersucht ob der wunderbaren Zuschauerzensuren der Kollegin. Der Intendant hingegen, der Billardkopf, niederträchtiger Kerl und intern zu Recht die Hand geheißen, der glühte vor Liebe zur Pfandl und hatte das Fräulein Spiegel gefeuert. (L, p.218)’

Le complément d’agent « vom Intendanten » de l’énoncé reformulant a statut thématique car il a été cité dans le co-texte amont en relation avec le procès « das Fräulein Spiegel feuern ».

La mention dans le co-texte amont de l’agent du procès repris dans l’énoncé passif ne garantit pas à coup sûr le statut thématique du complément d’agent. Elle est un indice pour l’interprétant, mais n’a pas statut de condition suffisante ... et encore moins de condition nécessaire :

  • Im letzten Spiegel habe ich einen interessanten Artikel gelesen. Er handelte von den Verdrängungsmechanismen der Deutschen. Wißt ihr, jedes Opfer wählt sich seinen Täter aus. Irgendwie. Die Juden haben sich die Nazis als Mörder ausgesucht, weil sie von den Nazis heimlich bewundert und geliebt wurden. Das wird eben verdrängt. Man kann das Verdrängungsmodell beliebig auf den Alltag übertragen. Die kleine Latuhr zum Beispiel. Wißt ihr, eigentlich will sie untergehen. Sie lebt ja nur das konsequent weiter, was der Firma beschieden war : der Bankrott.

  • Findest du das nicht an den Haaren herbeigezogen ? quakte Hans.

  • Ehrlich gesagt seh ich da auch keinen Zusammenhang, zirpte Max.

  • Habt ihr den Spiegel gelesen ? schnatterte Leo. (L, pp.234-235)

Le facteur « subjectivité » intervient dans la définition des notions de « thème » et « rhème » par l’appel à la compétence encyclopédique de l’allocuté : le complément d’agent est ici rhématique - bien que nommé dans la première partie de la phrase - car il ne correspond pas à une attente de l’allocuté. Il vient contredire tout un pan de son savoir extra-linguistique. Le côté abracadabrant de la théorie évoquée par Leo est souligné par les réactions négatives de ses interlocuteurs qui ne comprennent pas bien où il veut en venir. Leo, pour sa défense, invoque sa source, le Spiegel dont le sérieux ne peut être mis en doute.

  • Dann wurden sie [die Häftlinge] aufgenommen durch die Aufnahme. (WED p.100, cité par D. Baudot 1989, p.324)

D. Baudot note que le complément d’agent, qui n’est que la reprise du contenu notionnel du lexème verbal de l’énoncé, a une double fonction : une fonction distinctive par laquelle il démarque l’agent par élimination de tout ce que « Aufnahme » ne désigne pas et une fonction informative par laquelle il souligne le caractère de spécialisation des différentes structures des camps d’extermination. D. Baudot attribue à l’agent le statut rhématique en tant que vecteur d’information nouvelle. Il nous semble que d’une manière générale, quand le complément d’agent est facilement déductible à partir du co-texte amont et qu’il apparaît pour cette raison insuffisamment pertinent, nous sommes tenté d’augmenter, dans la mesure du possible, cette pertinence en construisant un sens dérivé informatif :

‘- Im Februar 1981 wurde auch Amrei berufstätig. Ines hatte ihr auf liebenswürdige wie diskrete Weise die Geschäftsleitung der neuen Rhombach-Boutique zugespielt. Ein winziges Geschäft für Feinwäsche und Dessous in der Malchusstraße, Ecke Hauptplatz, gleich hinter dem Rathaus. Dort durfte sie schalten und walten nach Herzenslust. Sowohl, was den Ein- und Verkauf anlangte, als auch die Einteilung ihrer Arbeitszeit. Denn ihr zur Seite stand eine nette, sehr loyale Verkäuferin, die - das wußte Amrei nicht - von Ines angewiesen worden war, ihr in allem das Gefühl zu geben, daß sie noch immer die Latuhr sei. (L, p.99) ’

Le complément d’agent est déductible du co-texte amont et pourrait être élidé : le choix du lexème verbal « anweisen » implique que l’agent du procès occupe dans la hiérarchie professionnelle une position supérieure à celle de la vendeuse ; or Amrei exceptée, seule Inès, qui a discrètement confié la gérance de sa boutique à son amie, est habilitée à donner des instructions au personnel. Pourquoi l’auteur décide-t-il dans ces conditions d’expliciter l’agent du procès ? Vraisemblablement pour montrer les efforts que fait Inès pour se rapprocher de sa meilleure amie avec laquelle elle est en froid. Elle veut l’aider du mieux qu’elle peut à surmonter le départ de son mari.

L’attribution du statut thématique ou rhématique au complément d’agent pose le problème épineux de la distinction entre thème et rhème. Le thème est défini comme véhiculant une information totalement connue et opposé au rhème défini comme véhiculant une information totalement nouvelle. J. Firbas critique cette division binaire sommaire entre thème et rhème dans son article de 1966 intitulé On defining the theme in functional sentence analysis. Il estime qu’il est souvent difficile de trancher nettement entre un thème d’un côté et un rhème de l’autre et qu’il existe de nombreux éléments au statut intermédiaire, ni vraiment connus, ni vraiment inconnus. Pour intégrer ces éléments dans le champ d’analyse de la perspective fonctionnelle de la phrase (FSP) et poser ainsi des bases conceptuelles plus solides, il propose de redéfinir les notions de thème et de rhème. Il ne s’agit plus pour lui d’opposer une information connue226 à une information inconnue mais d’analyser la valeur informative de chaque élément relativement aux autres afin de déterminer son degré de dynamisme communicatif (CD). Il hiérarchise à l’intérieur de chaque phrase les unités selon leur degré plus ou moins grand de CD et attribue le statut thématique à l’élément présentant le plus faible degré : « the theme ist constituted by the sentence element (or elements) carrying the lowest degree(s) of CD within the sentence. It follows from this definition that the theme need not necessarily convey known information or such as can be gathered from the verbal or situational context. It can convey even new, unknown information. The essential feature of the theme is the lowest degree of CD, not the conveyance of known information. »227 C. Hagège s’inscrit dans la lignée de J. Firbas en opposant à une définition des notions en termes de valeur absolue leur relativité et leur interdépendance : « Le thème et le rhème se déterminent l’un par rapport à l’autre, et non en valeur absolue. Il en résulte que le thème n’est pas nécessairement porteur d’information ancienne ou acquise, ni le rhème vecteur de nouveauté ou d’inconnu. Dans un énoncé donné, le rhème, simplement, est plus informatif que le thème, ce qui n’empêche pas ce dernier d’être porteur, à l’occasion, d’une information nouvelle ». C’est le cas dans les informations télévisées ou radiodiffusées dont il dit qu’elles sont nommées fort adéquatement « puisqu’elles énoncent sur quelque chose de nouveau (thème) quelque chose d’encore plus nouveau (rhème) »228. Dans la définition des Pragois comme dans celle de C. Hagège, les notions de thème et rhème présentent un caractère dichotomique. Elles apparaissent comme des notions disjointes : ce qui n’est pas rhématique est nécessairement thématique et ce qui n’est pas thématique est nécessairement rhématique. Dans la réalité linguistique toutefois, le connu et le nouveau se mêlant intimement, il semble dans certains cas opportun d’envisager conjointement les statuts thématique et rhématique pour une unité donnée :

‘- Der Herr Kritiker schlürft Austern, deren Fruchtfleisch über die Jahre nicht fülliger geworden ist. Er schluckt sie im Angedenken Ambros Bauermeisters (er fehlt ihm wirklich) und liest mit entspanntem Gesicht die eigene Glosse in der Tat. Nigg staunt über so viel Scharfsinn. Er muß die Glosse abermals lesen und findet sie noch brillanter. Seine Redaktionskollegen läßt er gern wissen, daß, wenn er an der Schreibmaschine sitze, gar nicht er selbst schreibe, daß die Finger gewissermaßen geführt würden. Mögen sie es ruhig von Gott geführt nennen. Dann lachen die Kollegen hinter seinem Rücken, nicht weil sie gottlos sind - weil sie Niggs Weißwurst-Finger vor Augen haben. (L, pp.86-87)’

L’expression du complément d’agent « von Gott » confirme l’hypothèse que l’agent élidé dans un premier temps est une force irrationnelle non directement observable. Elle apporte une précision supplémentaire en indiquant que cette force est de nature divine et permet l’enchaînement avec le co-texte aval dans lequel le locuteur fait la supposition (pour la rejeter aussitôt) que les collègues d’Egmont Nigg rient de lui dans son dos parce qu’ils sont athées.

‘- Die zu belehren, die unerschütterlich an die Ungerechtigkeit des Lebens glauben, diejenigen müssen an dieser Stelle in Kenntnis gesetzt werden, daß jenes entzückende Bregenzerwälder Winterhaus vom ehemaligen Besitzer zurückgekauft wurde, der, dubioserweise wieder zu finanziellen Kräften gekommen, beabsichtigte, einen großen Schritt in die Textilbranche zu wagen. (L, p.29)’

Le complément d’agent « vom ehemaligen Besitzer » présente le statut thématique en ce que le verbe « zurückkaufen » implique nécessairement le rachat de la maison par un ancien propriétaire. Il présente le statut rhématique en ce qu’il précise, par l’emploi de l’article défini, qu’il n’y a eu qu’un ancien propriétaire ou que l’acheteur est le dernier en date s’il y en a eu plusieurs. La redondance n’est pas jugée gênante car elle sert de point de départ à la progression thématique : le complément d’agent est repris sous forme anaphorique dans la relative appositive qui suit et fait l’objet d’une prédication.

  • Noch in derselben Nacht wurde Anna Maria Spiegel in der Wohnung des Bootsbauergesellen Elmar Kuhlau von zwei Kriminalbeamten verhaftet. (L, p.308)

Le verbe « verhaften » implique un agent policier de sorte que le complément d’agent « von zwei Kriminalbeamten » fournit une information attendue, mais il précise également le nombre des fonctionnaires de police et leur spécialisation, apportant ainsi une information nouvelle.

Dans tous ces cas où il est difficile de trancher sur le statut thématique ou rhématique du complément d’agent, le verbe présente un poids sémantique et donc un degré de rhématicité supérieur à celui du complément d’agent. A la conception dichotomique de la distinction thème / rhème se substitue une approche en terme de scalarité. Il existe un continuum qui mène du pôle « totalement thématique » au pôle « totalement rhématique » avec entre ces pôles une zone de chevauchement. Plus une information fait avancer la communication, plus elle est rhématique. G. Schoenthal estime que lorsque le verbe et le complément d’agent sont tous deux rhématiques, le verbe présente un degré de rhématicité supérieur au complément d’agent :

‘Was geschieht nun im Passivsatz mit dem ebenfalls rhematischen Agens ? Ich sehe hier eigene Überlegungen (Schoenthal, 1976 : 116f.) aufgegriffen, gegenüber dem Normalfall des Satzes mit einem Rhema dreigliedrige Passivsätze als Konstruktionen mit zweifacher Rhematisierung zu beschreiben. Die im Hauptfeld stehende rhematische Passivergänzung kann als zweiter Informationsschwerpunkt neben dem eigentlichen Rhema rhematisiert werden.229

Elle n’envisage pas la possibilité que le complément d’agent et le verbe puissent être d’égale importance :

‘NEWTON Mein lieber Möbius, wir werden nicht mehr von Schwestern betreut, wir werden von Pflegern bewacht. Von riesigen Burschen. (P, p.62)’

L’énoncé de Newton repose sur deux couples d’opposition : « Schwester » / « Pfleger » d’une part et « betreut » / « bewacht » d’autre part. Newton fait remarquer à Möbius que le personnel soignant a changé : les infirmières ont été remplacées par des infirmiers particulièrement costauds, infirmiers dont la robustesse est mise syntaxiquement en valeur par le rejet du complément d’agent « von riesigen Burschen ». Newton dresse un bilan manichéen de la situation. Il oppose le temps des infirmières au temps présent. Au temps des infirmières, les physiciens étaient plus forts que le personnel soignant. Ils faisaient l’objet d’attentions particulières, étaient considérés comme des malades, étaient soignés (« betreut »). Maintenant, le bon temps est révolu : le personnel soignant est plus fort que les physiciens et il a pour tâche de les surveiller (« bewachen ») tels des prisonniers.

Lorsque le verbe exprime un procès trop évident pour constituer la seule information de l’énoncé, il a besoin d’être spécifié pour ne pas apparaître comme une lapalissade. Il présente un degré de rhématicité inférieur au complément d’agent :

‘[...] das Parlament muß eine starke Regierung wollen und wünschen, denn diese Regierung wird ja schließlich von ihm gestellt. (Pape-Müller 1980, p.138)’

S. Pape-Müller définit l’agent prépositionnel comme thématique en raison du critère de l’anaphorisation230. Nous considérons le critère de l’anaphorisation (tout comme celui de la définitude d’ailleurs)231 comme des indices du statut thématique, mais non comme des marqueurs infaillibles de ce statut. Nous ne reconnaissons pas ici au complément d’agent « von ihm » le statut thématique - et ce bien qu’il reprenne « das Parlament » - car il apporte une information plus importante que le verbe à propos du sujet thématique (la thématicité du sujet est marqué par « dies- »).

Le complément d’agent fait l’objet d’une rhématisation marquée (que R. Martin appelle « focalisation contrastive »232) lorsqu’il s’oppose à un autre élément de la phrase par effet d’antithèse (« schwach » / « übermenschlich », « Mädchen » / « Junge ») :

  • Soll dieses übermenschliche Werk durch ein schwaches Weib vernichtet werden ? (EM, p.36)

  • Von einem Mädchen abgewiesen zu werden - die empfindlichste Niederlage für einen Jungen seines Alters. (L, p.178)

ou lorsqu’il s’oppose à une attente supposée du partenaire :

  • Das zeigte sich vor allem im Gefieder, wenn sie im Herbst ihr Prachtkleid anlegten, um den Entenmädchen zu gefallen. Der eine kümmerte sich wenig um sein Äußeres. Er war schön, na und ? Aber der andere wollte nicht bloß jeder Entin gefallen, nein, er wollte von allen (en italique) Bekannten und Verwandten geliebt werden. (L, p.65)

Le complément d’agent « von allen Bekannten und Verwandten » présente un degré de rhématicité supérieur au verbe à la diathèse passive (« geliebt werden ») qui est plus ou moins le synonyme de « gefallen ». Il fonctionne en association avec « jeder Entin » qu’il complète en opérant une généralisation. La généralisation vient annuler une attente de l’allocuté qui pensait que le canard se faisait beau uniquement pour plaire aux canes. Elle est marquée par la mise en italique du quantificateur « allen » et l’emploi de la négation partielle « nicht » qui porte sur « bloß » et nie la restriction.

  • [...] es wurde ihr nämlich, nicht von Beizmenne, sondern von dem jüngeren der beiden Staatsanwälte, Dr. Korten, nahegelegt, doch zuzugeben, daß...(VEKB, p.71)

Le complément d’agent potentiel « von Beizmenne » et le complément d’agent actualisé « von dem jüngeren der beiden Staatsanwälte, Dr. Korten », mis en relation au moyen du coordinateur « nicht ... , sondern ... », font partie du même paradigme textuel. Ils fonctionnent en opposition exclusive. Le second apporte une information positive, satisfaisante au plan informatif. Il vient corriger une première information qui constitue une dénomination « en creux », c’est-à-dire négative de l’agent. L’auteur emploie la négation « nicht » pour annuler une continuation textuelle potentielle qu’il impute à l’allocuté. Il réagit à une affirmation éventuelle de ce dernier. C’est parce qu’il croit que l’allocuté pense que l’agent est Beizmenne qu’il apporte un démenti. Comme nous le voyons, la fonction rectificative de la négation repose sur la présomption de décodage.

Quand les deux compléments d’agent fonctionnant en opposition sont éloignés l’un de l’autre dans le texte, la mention du second vient réactiver dans la mémoire de l’allocuté le souvenir du premier. A cet égard, les deux exemples puisés dans le roman Die verlorene Ehre der Katharina Blum de H. Böll sont particulièrement intéressants. L’auteur mentionne les compléments d’agent pour signaler la dimension particulière des mesures préventives prises à l’égard de l’accusée. Les premières mesures surprennent par leur sévérité. Deux gardiens armés sont chargés de surveiller Katharina avec la plus grande vigilance :

‘[...] sie wurde von zwei bewaffneten Beamten schärfstens bewacht. (VEKB, p.20)’

Par la suite, ces mesures s’assouplissent. Elles sont plus conformes au caractère plutôt inoffensif de Katharina, qui ne se voit plus accompagnée que par la bienveillante madame Pletzer et par un fonctionnaire de police peu armé :

‘[...] Freitagmorgen, an dem Katharina erneut zum Verhör aufs Präsidium geholt wurde ; diesmal durch Frau Pletzer und einen älteren Beamten, der nur leicht bewaffnet war (VEKB, p.43).’

Il est possible de rajouter dans ce passage le premier complément d’agent à condition de le faire précéder de « nicht mehr », qui marque un changement, une rupture dans le choix des mesures prises : « Freitagmorgen, an dem Katharina erneut zum Verhör aufs Präsidium geholt wurde ; diesmal nicht mehr durch zwei bewaffnete Beamte, sondern durch Frau Pletzer und einen älteren Beamten, der nur leicht bewaffnet war ».

Le complément d’agent peut remplir une fonction distinctive sans que les deux membres fonctionnant en opposition (« nicht X, sondern Y ») soient nécessairement exprimés tous les deux. Souvent, le membre sur lequel porte la rectification reste implicite. Il correspond à une attente de l’allocuté et n’a donc pas besoin d’être formulé. Ainsi dans l’exemple « Dieses Gesetz ist von Männern gemacht worden », le complément d’agent vient rectifier une information attendue en la remplaçant par une expression qui semble plus appropriée à la réalité que veut décrire le locuteur. Le décalage entre ce que dit le locuteur (« von Männern ») et ce à quoi s’attend l’allocuté (« von Abgeordneten, unter denen auch Frauen zu finden sind ») entraîne la mise en relief du complément d’agent. G. Schoenthal évoque un cas analogue - plus exactement un cas particulier - où le décalage entre le message du locuteur et l’attente de l’allocuté est dû à une discordance entre le complément d’agent et le verbe. Le groupe prépositionnel introduit un agent non-personnel là où le verbe ferait plutôt attendre un agent personnel :

‘Präsident Nixon ist ja kurz vor seiner Abreise aus Washington plötzlich von dem Streit zwischen London und Paris überfallen worden.233

Le complément d’agent « von dem Streit zwischen London und Paris », associé au verbe « überfallen », surprend et se voit du coup mis en relief. Le verbe « überfallen » laisse penser à l’action de bandits ; or en fait, il a pour fonction d’exprimer de manière imagée la soudaineté de la dispute entre Paris et Londres.

Le complément d’agent fait l’objet d’une rhématisation marquée lorsqu’il opère un glissement isotopique :

  • Der Panda wird nicht aussterben,

  • denn er wird ja noch von Fiat gebaut.

Dans cette blague, le locuteur joue sur la polysémie du lexème « der Panda » qui peut désigner en allemand aussi bien l’animal en voie de disparition que la voiture de la marque Fiat. Le locuteur prépare soigneusement la chute de sa blague en établissant solidement un plan isotope du discours. Il développe la thématique écologique par le biais du verbe « aussterben » et fait semblant de prendre le contre-pied d’une idée reçue pour faire croire à l’allocuté qu’il parle de l’animal. Il l’invite à bâtir un scénario interprétatif fondé sur la thématique écologique avant de l’obliger à réviser son interprétation234. S’il recourt à la voix passive, c’est pour différer la désambiguïsation effective du mot « Panda », désambiguïsation qui se produit par la mention du nom du constructeur automobile italien sous la forme du complément d’agent. Par comparaison, l’énoncé à la voix active paraît bien terne car il impose l’apparition de l’agent dès l’attaque de phrase là où la diathèse passive offre la possibilité de retarder sa survenance :

  • Der Panda wird nicht aussterben,

  • denn Fiat baut ihn ja noch.

De nombreux linguistes affirment que le passage de la diathèse active à la diathèse passive entraîne la rhématisation de l’agent :

  • Gegenüber entsprechenden Aktivsätzen stellen Passivsätze ferner ein Mittel dar, den Handlungsträger zu rhematisieren, da rhematische Elemente in der Regel finalisiert werden und die passivische Präpositivergänzung bei unbetonter Satzgliedstellung am Ende des Satzes steht.235

  • Da bei normaler, unmarkierter Wortfolge das Agens im Passivsatz weiter hinten steht als das Subjekt, ermöglicht der Passivsatz mit Passivergänzung die kommunikative Hervorhebung des Agens. Folgt man der Darstellung von Eisenberg, so ist ein Vorzug des dreigliedrigen Passivsatzes gegenüber dem entsprechenden Aktivsatz die bessere Rhematisierungsmöglichkeit für das Agens.236

Il nous semble que la passivation entraîne effectivement la rhématisation de l’agent si nous prenons comme acceptions des notions de thème et rhème les définitions qu’en propose J.M. Zemb dans les Structures logiques de la proposition allemande et qu’il reprend dans la Vergleichende Grammatik. Il définit le thème comme posant ce dont on parle, comme support par contraste avec le rhème qui constitue un apport, un jugement prédicatif fait à propos du thème237. Appliqué au cas de l’agent, cela signifie que dans la phrase active, l’agent (qui est sujet) est thématique parce qu’il pose une donnée comme existante alors que dans la phrase passive, l’agent est rhématique parce qu’il dit quelque chose à propos du nouveau thème qui correspond au complément d’objet de la voix active :

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Dans la définition des linguistes de l’école de Prague, le choix de la diathèse passive ne modifie pas le statut informatif-communicatif de l’agent, il n’entraîne pas sa rhématisation. L’agent rhématique à la voix passive (« Der Panda wird nicht aussterben, denn er wird ja noch von Fiat gebaut ») est également rhématique à la voix active même s’il occupe la première position dans l’énoncé, lieu privilégié du thème (« Der Panda wird nicht aussterben, denn Fiat baut ihn ja noch »). Cependant, tandis qu’à la voix active, « Fiat » contrevient à une tendance naturelle de la langue qui consiste à faire correspondre la première position avec la catégorie communicative de thème et la fonction syntaxique de sujet, à la voix passive, le pronom anaphorique à valeur de patient récupère la position dite non marquée et « von Fiat » se trouve « naturellement » décalé vers la fin de l’énoncé. Si le sujet rhématique revêt une valeur distinctive, il faut recourir à l’italique (auquel correspond à l’oral la réalisation de l’accent dominant de la phrase) pour montrer qu’il y a occupation d’une position marquée car la première position est en soi réfractaire à la mise en valeur du sujet rhématique :

‘Die zu ihr kamen, wollten ihr Trost bringen und das Geschenk der Nähe. Aber seltsam : Sie (en italique) wurden getröstet, sie (en italique) wurden mit ungeteilter Nähe überhäuft. (L, p.164)’

La discordance entre la définition de J.-M. Zemb (qui est celle des Anciens) et la définition des Pragois - pour fâcheuse qu’elle soit - n’a qu’une portée limitée sur les comptages établis par les linguistes étant donné que la définition de J.-M. Zemb et des Anciens correspond finalement au cas prototypique, celui qui est le plus fréquent et apparaît comme étant le plus naturel. La définition des Pragois semble a priori plus précise que celle de J.-M. Zemb dans la mesure où elle englobe les cas « non prototypiques » où la fonction de sujet est occupée par une unité rhématique et la fonction de complément d’agent par une unité thématique, mais en réalité il n’en est rien car J.-M. Zemb prend lui aussi soin de souligner que le sujet n’est pas toujours thématique et que le complément d’agent n’est pas toujours rhématique. Il insiste à plusieurs reprises sur le fait que le sujet apparaît le plus souvent au sein du thème mais qu’il peut tout aussi bien figurer dans la partie rhématique de l’énoncé238 et il fournit par ailleurs un exemple de complément d’agent thématique : « Pour voir que von Alexander est bien thématique, il suffit d’examiner le cas de weil im Jahre 336 v. Chr. G. Theben von Alexander nicht verschont wurde »239 (cf. le critère de la négation « nicht » dont il dit qu’elle se trouve à la frontière entre le thème et le rhème).

S’il n’est pas possible de dire que la diathèse passive entraîne la rhématisation de l’agent par le simple fait qu’elle le décale vers l’aval de l’énoncé, il ne peut être nié qu’il existe un lien entre la position du complément d’agent et son statut informatif-communicatif. Le complément d’agent, qui est généralement rhématique, n’apparaît quasiment jamais en première position dans la structure passive (notre corpus ne contient aucun exemple). Il tend vers la fin de la phrase et peut être éventuellement rejeté en après-dernière position :

  • Als er dann vernehmen mußte, daß die Tat von 93 Prozent der rheintalischen Bevölkerung gelesen werde, auf völlig freiwilliger Basis - der Todesanzeigen wegen -, versagte ihm für einige Augenblicke sein Deutsch. Die Prawda wurde nämlich auch gelesen, sogar von 94 Prozent der Leute. Die Voraussetzungen freilich waren andere. (L, p.41)

Le complément d’agent présente une rhématicité marquée et sa rhématicité est même triplement marquée : 1°) par le rejet en après-dernière position qui constitue un indice du statut rhématique de l’agent ; 2°) par l’apparition dans le scope de la particule de focalisation « sogar » qui marque nettement un contraste par rapport à une attente et sert à effectuer un choix paradigmatique dans la classe de commutation allant de 0 à 100 % ; 3°) par la reprise du lexème verbal « lesen » et l’emploi du marqueur de la récurrence thématique « auch » qui servent à effectuer une mise en parallèle avec le complément d’agent rhématique « von 93 Prozent der rheintalischen Bevölkerung ».

  • CLAIRE ZACHANASSIAN Ich sah das Ding nur einmal. Bei der Geburt. Dann wurde es genommen. Von der christlichen Fürsorge. (BDA, p.116)

Le complément d’agent apparaît en position détachée. Il peut être replacé dans la phrase précédente (« Dann wurde es von der christlichen Fürsorge genommen »), mais il perd alors un peu de son poids communicatif et a pour effet de diluer l’information principale : la perte de l’enfant. Le retard de l’apparition de l’agent rhématique reflète l’ordre d’enchaînement des idées chez le locuteur. L’écrivain choisit un style elliptique et haché pour montrer que les paroles de Claire Zachanassian suivent le cours de ses pensées et qu’elles se modifient au fil de ses associations.

  • Die Gemütsorgie beginnt schon bei der Eingangstür. Die Tür wird umfangen von einem ungemein festlichen, aus Kunsttanne und textilem Ilex gearbeiteten Kranz mit Engelchen, Weihnachtssternen, Beeren, Plastikzapfen und kleinen Päckchen darauf. (L, p.83)

Le locuteur se débarrasse du cadre syntaxique avant de nommer le complément d’agent. Le rejet du complément d’agent en après-dernière position sert à opérer le retard d’une unité lourde et à réaliser la linéarisation neutre qui consiste à adopter l’ordre allant des unités les moins dynamiques (le sujet est totalement thématique) aux unités les plus dynamiques (le complément d’agent présente un degré de rhématicité supérieur au verbe). Dans la mesure où le rejet du complément d’agent en après-dernière position paraît assez répandu au passif-bilan et au bilan-werden, nous nous demandons s’il n’a pas pour but de dynamiser la description en mettant particulièrement en relief l’agent du procès :

‘Plötzlich war Simrock umringt von einer Meute lautloser Burschen. (ST, p.50)’

Pour clore cette partie, nous proposons de présenter sous la forme d’un tableau le décompte des agents prépositionnels thématiques et rhématiques que nous avons affectué à partir de l’étude du roman Die Luftgängerin de R. Schneider. Nous n’avons pas jugé nécessaire d’étendre notre corpus à d’autres oeuvres parce que nous considérons que les résultats obtenus n’auraient guère été plus satisfaisants étant donné le flou qui entoure la définition des notions de thème et rhème. Nous mettons en parallèle les proportions rencontrées au passif processuel et au passif-bilan / bilan-werden dans le but de montrer que les différences sont totalement négligeables. La comparaison avec les données statistiques établies par les autres linguistes n’est intéressante que dans la mesure où elle fait apparaître une constante : tous les linguistes dénombrent plus d’agents prépositionnels rhématiques que d’agents thématiques. G. Schoenthal donne 58,8 % d’agents prépositionnels rhématiques contre 21,5 % thématiques pour le corpus de G. Trempelmann (il reste 19,7 % d’agents qu’elle n’arrive pas à classer)240. Elle indique 89 % de compléments d’agent rhématiques pour son propre corpus (respectivement 92 % au passif-bilan)241. D. Baudot trouve une proportion de 54 % contre 46 % en faveur des agents à valeur rhématique242, mais nous devons préciser qu’il obtient ces résultats en appliquant les critères définis pas S. Pape-Müller dont il montre par ailleurs qu’ils ne sont pas toujours très fiables243.

statut informatif-communicatif de l’agent rhématique thématique - rhématique thématique
passif processuel 81,8 % 12,1 % 6,1 %
passif-bilan
bilan-werden
81,8 % 9,1 % 9,1 %

Notes
226.

MATHESIUS (On the So-Called Functional Sentence Perspective) 1947, p.234, citation reprise de FIRBAS 1966, p.268 : Le thème est défini comme étant « that which is known or at least obvious in the given situation, and from which the speaker proceeds [in his discourse] ». 

227.

FIRBAS 1966, p.272

228.

HAGÈGE 1985, pp.222-223

229.

SCHOENTHAL 1987, pp.169-170

230.

PAPE-MÜLLER 1980, p.138

231.

Le passage du rhème au thème peut être marqué par le passage de l’article indéfini à l’article défini : « - Das ist doch nicht zu fassen, rief sie aus und wurde unverzüglich von einem salbenglänzenden Frauengesicht ange-sch!-sch!-tet.

Das Glanzgesicht war die Gattin des Vedutenmalers Leo. Der saß mit steifem Rücken, verschränkten Armen und musikalisch in die Höhe geschwungenem Haupt (auf dem eine Halbbrille silberte) ausgerechnet auf dem gleichen Platz, eine Reihe vor ihr. » (L, p.130) La progression thématique est ici linéaire. Le rhème de la première phrase est destiné à enrichir le thème posé par le locuteur d’une nouvelle prédication. Il devient le thème de la seconde phrase dont le rhème fournit, à son tour, le thème de la suivante.

232.

MARTIN 1983, p.220

233.

SCHOENTHAL 1987, p.173

234.

SPERBER & WILSON 1989, p.306 : « à chaque étape de l’énoncé, l’auditeur construit, à partir de ce qu’il a déjà entendu, des hypothèses qui anticipent la structure globale de l’énoncé. »

235.

PAPE-MÜLLER 1980, p.236

236.

SCHOENTHAL 1987, p.167

237.

ZEMB 1978, p.629 : « est thème ce dont on parle. Inversement, ce qu’on en dit est le rhème. » 

238.

Cf. ZEMB 1978, p.401, p.623, p.641

239.

ZEMB 1978, p.515

240.

SCHOENTHAL 1976, p.197

241.

SCHOENTHAL 1976, p.116

242.

BAUDOT 1989, p.321

243.

BAUDOT 1989, p.324