3 La construction « sich lassen + G INF » à sujet inanimé

La construction « sich lassen + G INF » exprime deux perspectives différentes selon que le sujet grammatical désigne un animé ou un inanimé. Lorsque le sujet fait référence à une personne, la perspective est active. Deux cas de figure sont à envisager. Premier cas : le sujet est conçu comme l’instigateur d’une action qu’il fait faire par quelqu’un d’autre (diathèse factitive). Il constitue l’un des deux pôles agentifs de l’énoncé et désigne la personne occupant la position haute sur l’axe vertical invisible structurant la relation interpersonnelle des deux acteurs :

‘Obwohl er eigentlich nicht mehr rauchte, ließ sich Hanno von Veronika eine Zigarette geben. (C, p.66) ’

Deuxième cas : le sujet est conçu comme ne s’opposant pas à ce que le procès ait lieu (valeur permissive). Il possède un degré d’agentivité plus faible que le sujet de la diathèse factitive car il accepte de se soumettre à l’action d’un autre. Il joue le double rôle d’agent et de patient là où l’autre acteur de la phrase n’exerce que la fonction d’agent. Il occupe la position basse sur l’axe vertical invisible structurant la relation interpersonnelle des deux acteurs :

‘Das Joch, in das sich die Eltern und alle ihm bislang begegneten Menschen hatten spannen lassen, schirrte er aus. (L, p.15)’

Lorsque le sujet désigne un inanimé (objet ou abstraction), la perspective est proche de celle du passif : le sujet exerce le rôle sémantique de patient tout en étant présenté - par analogie avec la construction à valeur permissive - comme possédant un faible degré d’agentivité. On voit là que la spécificité de la construction à désigné inanimé est de conférer une apparente agentivité au sujet grammatical là où la diathèse passive morphologique est condamnée à présenter le sujet grammatical dans son rôle sémantique de patient :

‘Nun kam Ruhe in seine Augen : Die Glieder entkrampften sich, der Rücken wurde weich. Die Orgel, dünkte es ihn, lie message URL flechebas.gif sich plötzlich wie von selbst spielen. (SB, p.176) ’

B. Matzke n’exclut pas la possibilité de rencontrer la perspective passive avec un sujet à désigné animé (« Das Kind läßt sich leicht anziehen »). Elle ne fait pas de différence avec le cas précédent417. C’est là où notre position varie par rapport à la sienne. Il convient selon nous de distinguer deux cas de figure. Dans le premier cas (sujet à désigné inanimé), l’agentivité du sujet est apparente, fictive : le sujet est présenté comme possédant un faible degré d’agentivité. Dans le second cas (sujet à désigné animé), l’agentivité du sujet est réelle : le sujet n’est pas totalement privé de son agentivité, due à sa nature d’animé, bien que son référent soit présenté comme une chose (cf. le parallèle avec « Das Kleid läßt sich leicht anziehen ») ; il est à la fois proche du sujet animé de la construction à valeur permissive et du sujet inanimé de la construction à valeur passive.

La construction « sich lassen + G INF » à sujet inanimé tend à effacer le véritable agent du procès en empêchant sa réalisation au sein de l’énoncé. Elle se distingue en cela de la diathèse passive dont le sujet logique est rarement réalisé, mais toujours susceptible de l’être. Elle présente le procès comme une propriété inhérente au référent du sujet grammatical et lie la possibilité ou l’impossibilité d’accomplir le procès à la nature même de ce référent, indépendamment de tout agent extérieur :

‘Aber vielleicht ist ein triviales Beispiel mehr geeignet, den Unterschied zu verdeutlichen. Wenn gesagt wird : die Tür kann nicht geöffnet werden, so bleiben für die Ursache mehrere Möglichkeiten ; es kann daran liegen : entweder daß man keinen Schlüssel dazu hat oder daß es nicht gestattet ist (hierbei wären allerdings die Modalitäten sollen oder dürfen eher am Platz) oder daß der Hinderungsgrund in der Beschaffenheit der Tür liegt. Und diese letzte Ursachenangabe allein oder doch vorzugsweise ist es, die durch die Formulierung : die Tür läßt sich nicht öffnen nahegelegt wird.
So gesehen, ist das durch sich plus Transitivum plus lassen ausgedrückte Passiv sachlicher oder objektiver. Es bezieht die Modalität stärker und eindeutiger auf die Natur des Gegenstandes, von dem die Rede ist, als auf das Vermögen dessen, der mit dem Gegenstand zu tun hat.418

La construction installe le procès dans la permanence et traduit éventuellement la résignation du locuteur face à une situation qu’il juge inéluctable (présence du négateur « nicht ») :

Le co-texte aval (ou amont) peut effacer le trait « permanent » de la propriété en montrant qu’il ne tient qu’à l’agent de réaliser le procès :

Ces deux exemples montrent que l’impossibilité de réaliser l’agent dans la construction ne signifie pas que l’agent n’est pas présent en arrière-plan. D. Baudot considère que c’est précisément parce que le sujet logique est « toujours repérable en contexte ou co-texte » qu’il faut « voir là la raison première de sa non-expression »419.

La construction « sich lassen + G INF » à sujet inanimé ajoute à la perspective passive la valeur modale « können ». Elle conserve le trait sémantique « absence d’obstacle » de la valeur permissive de la construction à sujet animé420, mais elle libère la notion de permission de son caractère de relativité en la rendant indépendante de la volonté d’une instance humaine :

Elle possède intrinsèquement la valeur modale « können » et ne rend pas nécessaire la présence d’un adjectif de verbe du type « leicht / schwer ». Elle ne l’exclut pas pour autant. S’il apparaît dans la phrase, il ajoute une seconde modalité à la modalité première véhiculée par la diathèse et a statut de circonstant :

Notes
417.

MATZKE 1980, p.30

418.

KOLB 1966, p.185

419.

BAUDOT 1989, p.510

420.

Cf. KOLB 1966, p.185 : « Tatsachen lassen sich nun aber einmal nicht durch Theorien aus der Welt schaffen (P2/64). In der Formulierung dieses Satzes ist enthalten, daß die Nichtmöglichkeit des Vorgangs in der Beschaffenheit des erleidenden Subjekts liegt ; eine Spur der Bedeutung ‘zulassen’ ist hier vielleicht noch immer wahrzunehmen : ‘auf Grund ihrer Beschaffenheit lassen Tatsachen es nun aber einmal nicht zu, daß sie durch Theorien aus der Welt geschafft werden’. »