4 La construction réfléchie anagentive à sujet inanimé

La construction réfléchie à sujet inanimé permet de présenter le procès comme étant accompli par l’objet logique ou comme s’accomplissant de lui-même, indépendamment de son véritable auteur. Elle ne permet pas l’expression du sujet logique421 et constitue pour cette raison « la diathèse qui permet la plus grande distanciation possible de l’agent »422. D. Baudot la décrit comme exprimant une « troisième possibilité de présentation du procès »423 à côté de la diathèse active et de la diathèse passive :

La construction réfléchie fait apparaître en fonction pseudo-agentive l’objet logique du procès. Elle attribue une apparente agentivité à un objet qui n’en a pas dans la réalité et crée un décalage entre le contenu informatif de l’énoncé et l’expérience personnelle de l’allocuté. C’est ainsi qu’une porte est présentée en langue comme agissant seule (« die Tür öffnet sich ») alors qu’elle n’agit en réalité que sous l’influence du monde environnant (courant d’air, coup de vent, personne qui actionne la poignée, etc.). Si le bâtiment est équipé d’un dispositif d’ouverture automatique des portes, le décalage entre le contenu informatif de l’énoncé et l’expérience personnelle de l’allocuté est réduit au maximum sans pour autant disparaître complètement.

Dans le cas du verbe « füllen », la construction réfléchie à sujet inanimé fait apparaître en fonction pseudo-agentive le lieu où se déroule le procès :

‘In dieser Zeit entwickelte Elias eine seltsam gesteigerte Marienverehrung. Er fing an, Marienbilder zu sammeln, Rosenkränze und Statuetten. Er tat dies mit nahezu fanatischer Sammlerwut und hielt sogar die Kleinen in der Schule an, ihm alle Devotionalien zu überlassen, welche daheim nicht mehr gebraucht wurden. Diese Stücke hortete er dann im Gaden als seinen kostbarsten Schatz. Die Wände füllten sich mit Bildern, an der Stirn- und Fußseite der Bettstatt hingen die Rosenkränze wie die Maiskolben zum Trocknen, und der Tisch strotzte von Figürchen aus Holz und aus Gips. (SB, pp.120-121)’

La construction réfléchie attribue une apparente agentivité à un espace qui n’en a pas dans la réalité et crée un décalage entre le contenu informatif de l’énoncé et l’expérience personnelle de l’allocuté. Elle présente une traverse similaire à la construction active qui attribue au complément de moyen une agentivité que lui non plus ne possède pas dans les faits : « Bilder füllten die Wände ». En fin de compte, seule la diathèse passive est capable d’éviter le décalage entre contenu informatif de l’énoncé et réalité décrite sans pour autant entraîner la réalisation du véritable agent du procès dont la mention est rendue superflue par le co-texte amont : « Die Wände wurden (von Elias) mit Bildern gefüllt ».

Il ne faut pas confondre le verbe divalent « sich mit etw. füllen » avec le verbe monovalent « sich erfüllen » dans le sens de « se réaliser ». Si le sujet est « der Wunsch », une paraphrase par la diathèse passive est envisageable, mais elle lie la réalisation du procès à la volonté d’un agent humain alors que le verbe « sich erfüllen » présente la réalisation du procès comme indépendante de la volonté d’un agent humain :

‘Goller lief auch davon, und zwar derart pressiert, daß keine Zeit mehr war, den Eschberger Burschen eine Herberge anzusagen, wo sie um günstiges Geld nächtigen könnten. Goller hoffte, die so Alleingelassenen würden noch in derselbigen Nacht den Heimweg antreten. Sein Wunsch erfüllte sich. (SB, p.184) vs. Wenn Erika nächtlich noch einen Wunsch hat, wird er erfüllt, soweit es von außen her möglich ist. (KS, p.154) (dans le contexte, il est clair que l’agent élidé est « von der Mutter »)’

Si le sujet est « das Gesetz », il n’est guère envisageable de proposer une paraphrase par la diathèse passive car ce substantif désigne un état des choses immuable et donc réfractaire à toute intervention humaine :

‘Das ungeheuerliche Gesetz, wonach eine jede Liebe immer in den Tod führt, sollte sich an diesem Mann auf eine abscheulich pervertierte Weise erfüllen. (SB, p.154)’

La construction réfléchie anagentive à sujet inanimé présente l’avantage sur la diathèse passive de susciter un effet de curiosité plus grand du fait qu’elle ne révèle pas le caractère humain ou non-humain de l’agent. Elle ne se rencontre qu’avec les verbes transitifs qui n’imposent pas un agent humain (*« Der Brief liest sich »), est difficilement acceptable si le co-texte amont désambiguïse la nature sémantique de l’agent au profit du trait « humain » : « Jemand klopfte an seine Tür. *Die Tür öffnete sich. Da trat Peter herein » et doit alors faire place à la diathèse passive : « Jemand klopfte an seine Tür. Die Tür wurde geöffnet. Da trat Peter herein ». Dans l’exemple suivant :

Wurde unerwartet eine Tür geöffnet, schrak er übernervös auf. (SB, p.119)’

le narrateur dépeint la scène dans la perspective du personnage principal, Elias. Il omet de mentionner l’agent car Elias lui-même ne le connaît pas tant que la porte est fermée. Quand la porte s’ouvre, Elias découvre son vis-à-vis, mais c’est pour l’ignorer aussitôt. Il ne lui porte aucun intérêt. Il n’attend qu’une seule personne : Elsbeth, dont il est amoureux. Elle est à ses yeux le seul être qui compte au monde. Les autres peuvent défiler les uns après les autres, peu lui importe ; il ne les remarque pas. Si l’auteur préfère ici la tournure passive (« die Tür wurde geöffnet ») à la construction réfléchie (« die Tür öffnete sich ») et au verbe intransitif (« die Tür ging auf »), c’est pour suggérer que la porte ne s’ouvre pas d’elle-même, mais qu’un être humain actionne la poignée.

Il ne faut pas confondre cette construction réfléchie avec celle qui oblige à la réalisation d’un complément de comparaison introduit par « wie » ou d’un adjectif de verbe du type « leicht / schwer » : « Das Buch liest sich leicht / wie ein Kriminalroman ». L’adjectif de verbe « leicht » constitue tout comme le complément de comparaison un membre obligatoire de la phrase et a statut d’actant (*« Das Buch liest sich »). Il n’est pas exclu dans le cas de la construction précédente (« Die Tür öffnet sich leicht »), mais il constitue alors un complément facultatif de la phrase, c’est-à-dire qu’il possède le statut de circonstant. Dans les deux cas, « leicht » est sémantiquement compatible avec le lexème verbal de base. Il possède le trait sémantique « absence d’obstacle » et entraîne la lecture modale « können » : « Die Tür kann leicht geöffnet werden » / « Der Brief kann leicht gelesen werden ». Lorsque l’adjoint de verbe précise les conditions dans lesquelles doit s’effectuer le procès, il entraîne la lecture modale « sollen » sans toutefois évacuer totalement l’interprétation « können » dans la mesure où l’idée de recommandation implique celle d’absence d’obstacle : « Diese Hose bügelt sich bei niedriger Temperatur » ---> « Diese Hose soll (<--- kann) bei niedriger Temperatur gebügelt werden ».

La construction réfléchie n’est pas limitée aux verbes transitifs dont le sujet grammatical désigne un objet concret ou une abstraction. Elle affecte également les verbes intransitifs non statifs et pronominaux et contient alors obligatoirement deux constituants en plus de l’adjectif de verbe ou du complément de comparaison introduit par « wie » : le substantif impersonnel « es » et un complément circonstanciel. « Es » est le véritable sujet de la phrase. A la différence du « es » explétif du passif sans sujet, il n’est pas supprimable et sert de support au pronom réfléchi « sich ». Le complément circonstanciel de lieu (et moins souvent le complément circonstanciel de temps ou de manière) définit le cadre de validité de l’énoncé. Il ne permet pas, contrairement à ce qui se passe au passif impersonnel, de reconstruire l’image de l’agent, « ce qui fait que le procès ne peut pas être interprété comme un événement particulier »424 :

Il existe une construction analogue pour la diathèse « sich lassen + G INF » :

La lecture modale « können » n’est pas totalement exclue en l’absence d’adjectif de verbe. Elle découle alors directement du sémantisme du verbe (« finden », « sich errechnen », etc.) et vient s’ajouter à la valeur « neutre »425 détenue par la construction réfléchie anagentive sans adjectif de verbe :

‘Nach der Notlandung in Kanada fanden sich am Brandherd durch Kurzschluß geschädigte Kaptonkabel. (Der Spiegel n°47, 16.11.1998, p.71)’

Des observations qui viennent d’être faites, il ressort clairement que les constructions morpho-syntaxiquement actives présentant le procès en perspective passive doivent être traitées différemment les unes des autres selon qu’elles expriment une modalité fixe ou variable, unique ou composite et que l’agent est réalisable ou non. Elles présentent trois avantages sur la diathèse passive morphologique : 1°) elles expriment la ou les modalité(s) au niveau implicite, 2°) elles permettent une économie de moyens linguistiques (le « gain » est d’autant plus grand que les modalités implicites exprimées par la construction sont nombreuses) et 3°) elles ménagent la « face » de l’allocuté en jouant sur l’absence de précision au niveau du signifié modal composite.

A la recherche de la nuance par l’imprécision au niveau modal répond au niveau aspectuel la recherche de la nuance par la précision. La langue allemande dispose de plusieurs auxiliaires (« werden », « sein », « stehen », « liegen », « bleiben », etc.) permettant d’exprimer, voire de nuancer l’opposition de base processuel-bilan (« bilan-werden », ajout du paramètre spatial horizontal ou vertical ou du paramètre duratif-continuatif, etc.). Dans la troisième partie de notre travail, nous nous proposons d’étudier le lien qui existe entre la voix passive et la catégorie de l’aspect. Notre attention se portera tout particulièrement sur la forme « sein + participe II » que nous envisagerons tant du point de vue des relations qu’elle entretient avec son homologue en « werden » que du point de vue de ses conditions et restrictions d’emploi.

Notes
421.

Sur ce point, G. Helbig et K. Brinker ont exprimé des opinions divergentes. G. Helbig envisage la réalisation de l’agent du procès en construction réfléchie si l’agent ne possède pas le trait sémantique « humain » : « Das Reflexivum steht auch hier in der Mitte insofern, als unter Umständen ein sachliches Agens genannt werden kann (Die Tür öffnete sich durch den Wind), kaum aber ein persönliches Agens (*Die Tür öffnete sich durch ihn) » (HELBIG 1968, p.133). K. Brinker rejette catégoriquement la possibilité de nommer l’agent dans ce type de construction : « Der Grundunterschied zwischen Passiv und Reflexiv besteht demgegenüber - abgesehen von der andersartigen Gestaltung des Prädikats - in folgendem : In der passivischen Konstruktion (auch beim sogenannten Zustandspassiv) kann das Subjekt des Aktivsatzes (nicht-syntaktisch ausgedrückt : der Agens) grundsätzlich in der Form einer Präpositionalergänzung mit von oder durch erscheinen ; diese Stelle gehört also - unabhängig davon, ob sie im konkreten Fall ausgefüllt ist oder nicht - zur strukturellen Vollständigkeit des Passivsatzes (und sei es auch nur als Leerstelle). Demgegenüber ist diese Stelle (auch als Leerstelle) in der Reflexivkonstruktion grundsätzlich getilgt. Wenn G. Helbig in einem kürzlich erschienenen Aufsatz über die Genera des Verbs die Reflexivkonstruktion (mit logischem Objekt - wie er sie nennt) dem Passiv insofern strukturell gleichstellt, als er auch dem Reflexiv eine Stelle (bzw. Leerstelle) für das Subjekt des Aktivsatzes zuspricht, so kann man dem nicht zustimmen. Die Grammatikalität eines Satzes wie : Das Fenster öffnet sich durch den Wind - den Helbig seiner Ableitung zugrunde legt - ist fraglich. Eine Informantenbefragung führte zu dem Ergebnis, daß Sätze dieser Form überwiegend als ‘grammatisch falsch’, immer aber als ‘grammatisch schlecht’ bezeichnet wurden. » (BRINKER 1969a, p.3)

422.

BAUDOT 1989, p.404

423.

BAUDOT 1989, p.404

424.

PÉRENNEC 1993, p.55

425.

BAUDOT 1989, p.516