2.1 Inventaire et taxinomie des formes passives « werden / sein + participe II »

2.1.1 La classification ternaire des auteurs du C.R.L.G.

Les auteurs du C.R.L.G. s’inspirent des travaux de J. Authier pour développer une vision tripartite des verbes transitifs structurée autour de la notion de transformativité. Ils distinguent trois types de verbes : les verbes essentiellement transformatifs (groupe I), les verbes essentiellement non-transformatifs (groupe II) et les verbes pouvant apparaître aussi bien dans des énoncés transformatifs que dans des énoncés non-transformatifs (groupe III). Les verbes transformatifs dénotent un procès décomposable en une série d’états discrets nécessairement différents les uns des autres. Le procès évolue vers un terme (il est dit télique) et s’achève au moment où l’état visé est atteint. Cet état est radicalement différent de celui qui préexistait à la réalisation du procès. La différence est perceptible à l’oeil nu ou non. Elle est perceptible si la modification est d’ordre physique (« Die Brücke ist zerstört »). Elle ne l’est pas s’il y a modification de la situation et par conséquent modification du champ des possibilités qui en découlent (« Die Karten sind bestellt », « Das Kind ist getauft », « Der Ursprung der Seuche Aids ist geklärt »). Les verbes non-transformatifs dénotent un procès qui est décomposable en une série d’états strictement identiques les uns aux autres. Le procès n’est pas orienté vers un terme (il est dit atélique) et peut en principe se poursuivre indéfiniment. Lorsqu’il s’achève (pour des circonstances qui lui sont extérieures), la situation redevient identique à ce qu’elle était avant le début du procès. En grammaire cognitive, l’opposition entre les verbes transformatifs et non-transformatifs se traduit par la mise en profil ou l’absence de mise en profil d’un état particulier. Les verbes transformatifs mettent en profil l’état constituant le point d’aboutissement du procès. Les verbes non-transformatifs ne font pas accéder un état particulier à un niveau distinctif de saillance :

  • Bei Partizipien, die geordnete Serien von nicht-identischen Zuständen denotieren, also bei transformativen Partizipien, ist der End- oder Zielzustand besonders prominent, er gilt als potentiell profiliert - in den Vordergrund gerückt.

  • Bei Partizipien, die Serien von identischen Zuständen denotieren, ist kein Element besonders prominent, somit keines speziell profilierbar ; dies gilt für nicht-transformative Verben.452

L’auxiliaire « sein » s’avère particulièrement réceptif à la mise en profil de l’état final et s’associe pour cette raison de préférence au participe II des verbes transformatifs. L’auxiliaire « werden » est indifférent à l’opération cognitive de mise en profil. Il fait référence au processus de transition entre les états consécutifs, s’inscrit dans un cadre dynamique :

‘Das Hilfsverb sein erweist sich als sensitiv für die potentielle Endzustandsprofilierung. D.h., wenn immer ein Partizip transformativ ist, charakterisiert die Verbindung sein + Partizip II einen Gegenstand, der sich in dem aus dem Prozeß resultierenden Zielzustand befindet. Dies gilt sowohl für die intransitiven, transformativen Partizipien ohne Argumentrestrukturierung (z.B. ist aufgeblüht, ist getrocknet, ist geschmolzen) als auch für die transitiven, transformativen Partizipien mit Argumentrestrukturierung (z.B. ist zerstört, ist ausgestanden, ist abgeschlossen), also das sogenannte Zustandspassiv oder, wie wir in der Grammatik sagen, das sein-Passiv. Bei nicht-transformativen Verben kann diese Sensitivität des sein nicht wirksam werden. [...] Das Passiv-Hilfsverb werden ist - so scheint es zumindest für den heutigen Sprachzustand - für die Endzustandsprofilierung nicht direkt sensitiv. Ge-X-t werden denotiert den sukzessiven Übergang zu den einzelnen Teilzuständen, die gemäß der Partizip-II-Bedeutung den Gesamtprozeß denotieren. Ob dieses Mapping zu einem definierten Endzustand führt (telisch-transformativ : Die Stadt wird zerstört) oder nicht (Das Haus wird überwacht) ist irrelevant. Man beachte, daß dieses sukzessive Mapping - obschon kognitiv komplexer und daher wohl markierter - unter dem Gesichtspunkt der Wahrheitsbedingungen dem Durchlaufen des Prozesses ohne konzeptualisierte Zwischenzustände, also dem Aktiv, entspricht.453

Les verbes transformatifs se caractérisent par l’opposition aspectuelle entre les auxiliaires « sein » et « werden ». La périphrase « werden + participe II » désigne le procès en cours de réalisation (« Die Brücke wird gebaut ») tandis que la périphrase « sein + participe II » désigne l’état résultant du procès (« Die Brücke ist gebaut »). Les deux périphrases sont contradictoires. Elles décrivent deux situations qui s’excluent mutuellement : si le pont est en cours de construction, il n’est pas encore construit ; inversement, si le pont est déjà construit, il n’est plus en cours de construction. Comme le montrent les expansions possibles par « encore », « déjà » ou « ne ... plus », le procès et l’état engendré ne sont pas contemporains. L’état est immédiatement consécutif au procès qui lui donne naissance. La notion de consécution immédiate joue un rôle important dans l’établissement du caractère unilatéral de la relation d’implication qui lie le passif-bilan au passif processuel. Il est possible d’inférer de l’état actuel de l’objet logique (c’est-à-dire non nécessairement immédiatement consécutif à l’acte) (« Die Frau ist geimpft ») la réalisation antérieure de l’acte correspondant (« Die Frau ist geimpft worden »), mais la réciproque n’est pas nécessairement vraie. Elle ne l’est qu’à la condition que le procès exprime un changement irréversible, ce qui ne se produit qu’avec un nombre très limité de verbes (« informieren »). Certains verbes expriment un procès irréversible pendant un laps de temps bien défini. C’est le cas du verbe « impfen ». Il est possible d’inférer « Die Frau ist geimpft » de l’action antérieure « Die Frau ist geimpft worden » si le vaccin innoculé est encore efficace au moment où s’exprime le locuteur. Si le vaccin immunise à vie, l’inférence est effectivement possible. Si le vaccin immunise pendant une durée limitée, il est nécessaire d’effectuer un calcul intégrant les deux paramètres que sont la durée de validité du vaccin (elle-même liée à l’âge de la personne) et la date de la dernière vaccination. Nous voyons là que nous sommes obligé de faire appel à nos connaissances médicales pour inférer du procès à l’état résultant. Dans la plupart des cas, il n’est pas possible de faire cette inférence. Comme le font remarquer les auteurs du C.R.L.G., l’énoncé « Die Stadt ist 1945 zerstört worden » ne renseigne pas sur l’état actuel de la ville (en l’espace de cinquante ans, la ville a très bien pu être reconstruite), mais il renseigne sur l’état de la ville en 1945.

Les verbes non-transformatifs se caractérisent par la neutralisation de l’opposition aspectuelle entre les auxiliaires « sein » et « werden ». La périphrase « werden + participe II » (« Die Gefangenen werden von drei Soldaten bewacht ») décrit un procès simultané de l’état engendré. Elle est logiquement équivalente à la périphrase « sein + participe II » (« Die Gefangenen sind von drei Soldaten bewacht »). Les deux périphrases sont liées par une relation d’implication réciproque, c’est-à-dire que si l’on admet la vérité de l’une, on est forcé d’admettre la vérité de l’autre. Les auteurs du C.R.L.G. font judicieusement remarquer que la notion de « Zustandspassiv » n’est vraiment pertinente qu’avec les verbes non-transformatifs454. En décrivant un état supposant le déroulement simultané d’un processus, ces verbes combinent l’exigence de processualité « inhérente » à la forme active avec celle de statisme impliquée par l’emploi du déterminant « Zustand ». Ils permettent ainsi l’équivalence référentielle entre la périphrase « sein + participe II » et la forme active correspondante.

Les auteurs du C.R.L.G. établissent l’existence d’un troisième groupe de verbes caractérisés par leur neutralité vis-à-vis du paramètre « +/- transformativité ». Il ne s’agit pas de verbes du type « beschießen » intrinsèquement étrangers au résultat qu’ils produisent, c’est-à-dire n’indiquant pas si le procès affecte durablement son objet ou non, mais de verbes pouvant apparaître aussi bien dans des énoncés transformatifs que dans des énoncés non-transformatifs. Le problème est que certains des verbes classés dans cette catégorie changent de sens en fonction du type d’énoncé dans lequel ils apparaissent. Faut-il les ranger dans le groupe III au risque de faire de ce groupe le vaste fourre-tout de la classification ou bien faut-il poser l’existence de deux unités verbales dont l’une serait transformative (groupe I) et l’autre non (groupe II) ? Les auteurs du C.R.L.G. donnent leur préférence à la première solution au motif qu’il est difficile de discerner les différences sémantiques entre les deux unités verbales. G. Helbig opte pour la solution opposée considérant que dans certains cas, il n’y a pas lieu d’hésiter : « Auf Grund dieser Bedeutungsdifferenz erhebt sich die Frage, ob die beiden Varianten (oder : Verben) nicht der Gruppe I bzw. der Gruppe II zugeordnet werden sollten (ohne daß es für sie der Gruppe III bedarf). »455 Nous concédons aux auteurs du C.R.L.G. qu’il n’est pas toujours aisé de déterminer précisément le contenu sémantique des deux unités verbales, mais nous estimons que quand les différences ressortent clairement de l’analyse (« bilden », « krönen », etc.), il convient de ranger le verbe transformatif dans le groupe I et le verbe non-transformatif dans le groupe II. Le groupe III doit être réservé aux verbes dont le contenu sémantique n’est pas affecté par le passage de la lecture transformative à la lecture non-transformative ou vice-versa (« umschließen », etc.).

Notes
452.

ZIFONUN 1992, p.260

453.

ZIFONUN 1992, pp.260-262

454.

C.R.L.G. 1986a, p.149

455.

HELBIG 1987, p.222