2.1.2 Le « bilan-werden » de D. Baudot

D. Baudot part du constat que la forme passive en « werden » commute dans bien des cas avec son homologue en « sein » sans que la manipulation linguistique n’affecte l’aspect global d’énoncé :

Il affine les premières observations effectuées par les auteurs du C.R.L.G. en déterminant précisément les conditions nécessaires à la lecture non-transformative (bilan-statique dans sa terminologie) de la forme verbale « werden + participe II ».

D. Baudot pose comme préalable l’absence de décalage entre le temps de la périphrase en « werden » et le temps du centre de référence du système dans lequel figure la périphrase. Il indique ainsi que dans la sphère de la non-distanciation (la sphère du discours chez E. Benveniste ou celle du commentaire chez H. Weinrich), l’auxiliaire « werden » doit être au présent et que dans la sphère de la distanciation (la sphère de l’histoire ou du récit chez E. Benveniste et celle du récit chez H. Weinrich), l’auxiliaire « werden » doit être au prétérit. Tout décalage avec le temps du système d’énonciation textuelle entraîne la lecture transformative (processuelle-dynamique dans la terminologie de D. Baudot) (« Die Arbeit ist gut bezahlt worden »), voire l’absurdité de l’énoncé dans le cas où il n’est pas possible de se représenter un agent animé accomplissant le procès (*« Die Altstadt ist von der neuen Stadt durch die Moldau getrennt worden »).

D. Baudot pose comme deuxième condition l’« aspect interne duratif, non-ponctuel, non-ingressif, non-égressif, non-mutatif limitatif antérieur »464 du lexème verbal. Il établit qu’avec un verbe à aspect interne mutatif, la lecture « bilan-werden » est possible à condition que l’agent réel humain ne soit pas exprimé (ou impliqué) et que la saisie n’intervienne pas dès le début du procès. Il lie la lecture « bilan-werden » à la perception d’une limite postérieure (aspect interne mutatif-limitatif postérieur), mais il ne fournit aucune précision sur les raisons qui l’amènent à positionner la limite à l’extrémité finale de l’axe marquant le déroulement du procès. Nous supposons que l’adjectif « postérieur » fait référence au caractère consécutif de l’état par rapport au procès mutatif-limitatif qui lui a donné naissance mais cette explication ne permet pas d’éclairer le choix de l’adjectif « antérieur » pour les verbes à aspect interne mutatif-limitatif antérieur. Il nous semble que la subdivision que D. Baudot opère au sein de la catégorie des verbes mutatifs repose sur la faculté de certains verbes à effacer la limite impliquée par le procès transformatif. Les verbes imposant en diathèse active la réalisation d’un sujet grammatical à désigné animé (« renovieren », « verkaufen », etc.) ne sont pas capables de mettre entre parenthèses cette limite et présentent l’aspect interne mutatif-limitatif antérieur. Ils entraînent la lecture processuelle-dynamique. Les verbes autorisant en diathèse active aussi bien la réalisation d’un sujet grammatical à désigné animé que la réalisation d’un sujet grammatical à désigné inanimé sont capables d’effacer cette limite et présentent l’aspect interne mutatif-limitatif postérieur465. Ils entraînent la lecture processuelle-dynamique en présence du véritable agent du procès :

‘Bei Vollmond, ging das Wort, führt ein Engel zwei Menschen zusammen und zwei trennt er durch den Tod. (SB, p.126)’

Ils entraînent la lecture bilan-statique en présence d’un pseudo-agent :

La suppression du complément d’agent en diathèse passive entraîne automatiquement la lecture processuelle-dynamique :

‘Die Vier-Bett-Abteile wurden geteilt, und die neu entstandenen Zwei-Bett-Einheiten sind entsprechend eng. (Die Welt 25.06.1999, R3) ’

Nous proposons de rebaptiser les aspects internes mutatif-limitatif antérieur et mutatif-limitatif postérieur en mutatif-limitatif et mutatif-(limitatif), les parenthèses étant là pour indiquer la possibilité d’effacer la limite impliquée par le procès transformatif. La grande majorité des verbes dont l’aspect interne est mutatif-(limitatif) se laissent ranger dans les deux sous-catégories suivantes :

  1. présence d’une limite spatiale ---> les verbes expriment l’idée de séparation, d’isolement ou de jonction (« teilen », « trennen », « abtrennen », « schneiden », « begrenzen », « sperren », « abriegeln », « verbinden », etc.) : 

‘Es sind zwei hohe Räume zum Hinterhof, man blickt aus den Fenstern auf eine dürre Wiese, die von einer fünf Stockwerke hohen Brandmauer begrenzt wird. (PA, p.382) ’
  1. verbes ornatifs ---> le pseudo-agent vient spécifier la base nominale sur laquelle le verbe est formé ou le dérivé nominal qu’il est possible de former à partir du verbe (« bedecken », « verhüllen », « umhüllen », « beflecken », « füllen », « auszeichnen », « komplettieren », etc.) :

‘Sie war ein Juwel, ein betörendes Schmuckstück aus der Rasse der Harlekin. Das kräftig leuchtende Weiß ihres samtenen Fells wurde lediglich an der Nase, am linken Ohr, an der Brust und am Schwanz von den typischen kleinen, dreieckigen, schwarzen Tupfern befleckt, die ihr in der Tat das Aussehen der berühmten Theaterfigur verliehen. (F, p.223) (« Tupfer » / « Fleck »)’

D. Baudot ne trouve pas pertinent de faire de l’aspect mutatif la clef de voûte du système. Il rejette catégoriquement les concepts de « verbe transformatif » et de « verbe non-transformatif » dénonçant une confusion entre signifié conceptuel et désigné aspectuel. La lecture processuelle-dynamique ne nécessite pas à ses yeux que le verbe affecte profondément et durablement l’objet auquel il s’applique (aspect interne mutatif). Elle nécessite qu’il possède l’aspect ingressif (« einschalten »), égressif (« ausschalten »), ponctuel (« finden ») ou mutatif-limitatif (« renovieren ») : « Si nous considérons le verbe einkoppeln [...] nous voyons qu’il ne peut dans aucun contexte autoriser un ‘bilan-werden’, ce que les auteurs du C.R.L.G. appelleraient une lecture non-transformative. Or ce verbe ne correspond pas à la définition du ‘verbe transformatif’ que donne J. Authier et qu’ils reprennent. L’impossibilité est due à l’aspect ingressif mais einkoppeln n’est pas ‘transformatif’ au sens où l’entendent les auteurs du C.R.L.G. »466.

La troisième condition devant être remplie concerne les éléments co-textuels que sont la préposition introductrice d’agent et les situatifs spatio-temporels susceptibles de venir « court-circuiter », au niveau de l’aspect syntaxique global d’énoncé, l’aspect interne duratif ou mutatif-(limitatif) du lexème verbal. Il faut savoir que D. Baudot envisage trois souscatégories à l’aspect interne duratif selon que le verbe présente le paramètre continu (aspect duratif-statique) (« beobachten »), le paramètre discontinu (aspect duratif-itératif) (« beleuchten ») ou un bornage à gauche (aspect duratif-limitatif antérieur) (« blockieren »). Nous proposons de rebaptiser sur le modèle des aspects internes mutatif-limitatif antérieur et mutatif-limitatif postérieur les aspects internes duratif-statique et duratif-limitatif antérieur. Nous les qualifierons dorénavant de duratif-non limitatif et duratif-(non limitatif), les parenthèses étant là pour indiquer la possibilité d’annuler la propriété « absence de limite » impliquée par le procès duratif. Les verbes dont l’aspect interne est duratif-(non limitatif) se différencient de ceux qui présentent l’aspect interne mutatif-(limitatif) en ce sens qu’ils sont les seuls à autoriser la double lecture bilan-statique / processuelle-dynamique en présence d’un agent animé : « Die Straße wurde von Polizisten blockiert ». Les deux types de verbes ont en commun d’exprimer un procès mutatif donnant naissance à un état mais tandis que les verbes à aspect interne mutatif-(limitatif) prennent le procès pour référence (état « postérieur » au procès), les verbes à aspect interne duratif-(non limitatif) prennent l’état pour référence (procès « antérieur » à l’état).

Notes
464.

BAUDOT 1989, p.630

465.

D. Baudot attribue l’aspect interne mutatif-limitatif postérieur au lexème verbal « essen » qui impose pourtant la réalisation d’un agent animé humain (1989, p.717).

466.

BAUDOT 1989, p.632