2°) Indications temporelles

Dans quelle mesure la mention d’une indication adverbiale de durée agit-elle sur l’aspect global d’énoncé ? Si la durée ne présente aucun paramètre particulier (absence de bornage), la lecture bilan-statique s’impose pour tous les verbes dont l’aspect interne est duratif et mutatif-(limitatif)471 : « Ellis Haustür wurde über die ganze Nacht beobachtet », « Das Zimmer wurde jahrelang durch eine Wand in zwei Teile geteilt ». Si la durée présente un bornage à gauche, la lecture bilan-statique est de rigueur avec les verbes duratifs (« In Bayern werden die Mafiosi schon seit 1994 auch vom Verfassungsschutz verfolgt » (Der Spiegel n°47, 16.11.1998, p.68)) et la lecture processuelle est envisageable avec les verbes présentant l’aspect interne mutatif-(limitatif). Deux conditions doivent être satisfaites : 1°) le groupe prépositionnel doit avoir pour base la préposition « durch » et non pas « von » et 2°) l’indication de durée fournie par le complément circonstanciel de temps ne doit pas être en désaccord avec la représentation qu’a l’interprétant de la durée requise par l’instauration du nouvel état (« Das Zimmer wird seit zwei Stunden durch eine Wand in zwei Teile geteilt »). Si la durée présente un bornage à gauche et à droite et correspond au temps nécessaire à l’accomplissement du procès, seuls les verbes dont l’aspect interne est duratif-(non limitatif) et mutatif-(limitatif) sont envisageables. Les bornes gauche et droite de l’espace-temps correspondent à l’état avant et après transformation. Elles sont incluses dans la saisie. C’est pourquoi la lecture est transformative : « Das Zimmer wird in zwei Tagen durch eine Wand in zwei Teile geteilt ».

Qu’en est-il des indications temporelles ponctuelles ? Il faut savoir qu’elles sont compatibles avec les verbes dont l’aspect interne est duratif alors qu’inversement les indications temporelles duratives ne sont possibles avec les verbes dont l’aspect interne est ponctuel et sémelfactif qu’à la condition que la durée soit bornée à gauche et à droite et que le temps requis par l’accomplissement du procès mutatif soit quantité négligeable (« Er wurde in zwei Sekunden erschossen »). Pour qu’un procès ponctuel cohabite avec une indication de durée non bornée ou bornée à gauche, il faut que le procès se répète, c’est-à-dire qu’il ne présente pas l’aspect sémelfactif472. Si le verbe possède l’aspect interne duratif-non limitatif, l’indication d’un repère-date ne vient pas court-circuiter la lecture bilan-statique de l’énoncé. Elle met en perspective un instant précis dans l’espace-temps que représente la durée du procès : « Elli wurde um 10 Uhr 30 bewacht ». Si le verbe possède l’aspect duratif-itératif, duratif-(non limitatif) ou mutatif-(limitatif), la lecture est processuelle en présence d’un situatif temporel ponctuel : « Die Straße wurde um 9 Uhr (durch Schneemassen) blockiert » - à moins que l’ajout d’un situatif duratif à valeur continuative n’ait pour effet de courtcircuiter cette lecture processuelle : « Die Straße wurde um 9 Uhr immer noch (durch Schneemassen) blockiert ». D. Baudot rejette entièrement la possibilité de la lecture « bilan-werden » pour les verbes dont l’aspect interne est mutatif-(limitatif) alors que cette solution est envisageable en présence de « immer noch » - comme en témoignent d’ailleurs deux des trois exemples qu’il cite pour illustrer le rôle du situatif duratif : « Die zwei Masten wurden um 10 Uhr 30 immer noch durch ein Seil verbunden », « Der Raum wurde um 12 Uhr immer noch durch ... geteilt »473. Sans trop anticiper sur le rôle du contexte dans l’établissement de la lecture « bilan-werden », nous pouvons d’ores et déjà souligner que le situatif duratif à valeur continuative a également pour effet de bloquer la lecture processuelle dans le cas où l’énoncé figure au sein d’une série de procès discontinus :

‘Natürlich hätten Moors Kinder ebenso wie die aus Haag oder Leys in dieser Freitagnacht bis zur Erschöpfung ausgeharrt und hätten sich bis zum Morgengrauen heiser und stumm geschrien, um von Patton und seiner Band immer neue Zugaben zu fordern ... Aber irgendwann, es war lange nach Mitternacht, verschwanden die Musiker in der schwarzen Tiefe des Hangars (und von dort unbemerkt in ihre Zelte) und kehrten auch im anhaltenden Beifallssturm nicht wieder auf die Bühne zurück. Dann erloschen die Scheinwerfer. Der Abbau allen Geräts wurde nur noch von einigen lichtschwachen Lampen erhellt. (MK, p.169)’

Le narrateur décrit une suite de procès ponctuels (disparition des musiciens, extinction des projecteurs) dans le cadre d’une temporalité chronologique, factuelle avant de présenter au moyen du situatif temporel « noch  » un énoncé à valeur durative. En l’absence de « (nur) noch », la lecture de la dernière phrase serait nécessairement processuelle. « Noch » est un adverbe temporel qui implique l’existence d’une limite entre deux mondes de validité contradictoires. Il indique que les lampes ne sont pas éteintes au moment prévu, soit à l’instant t0, mais qu’elles le seront vraisemblablement plus tard (à l’instant t1). Il déplace la limite vers la droite474 en signalant qu’à l’instant t0, la limite n’est pas encore franchie et que par conséquent le contenu de vérité de la proposition reste inchangé.

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En résumé, le « bilan-werden » est impossible 1°) avec les indications temporelles ponctuelles si elles ne sont pas accompagnées du situatif duratif à valeur continuative « (immer) noch » et si le verbe présente l’aspect interne duratif-(non limitatif), duratif-itératif et mutatif-(limitatif) et 2°) avec les indications du type « in + nombre cardinal + unité de temps » indiquant la durée nécessaire à l’instauration du nouvel état. L’ensemble des résultats est consigné dans le tableau suivant :

Aspect interne
Indications temporelles
Mutatif-(limitatif) Duratif-non limitatif Duratif-itératif Duratif-(non limitatif)
Durée requise par l’instauration du nouvel état (bornage à gauche et à droite) + - - +
Bilan-werden non non
Durée sans para-mètre (absence de bornage) + + + +
Bilan-werden oui oui oui oui
Durée (bornage à gauche) + + + +
Bilan-werden oui (en présence de « durch » et d’une indication de durée vraisemblable) oui oui oui
Horaire (repère ponctuel) + + + +
Bilan-werden oui (en présence de « immer noch ») oui oui (en présence de « immer noch ») oui (en présence de « immer noch »)
Notes
471.

Nous rappelons toutefois que la lecture bilan-statique n’est possible pour les verbes dont l’aspect interne est mutatif-(limitatif) qu’à la condition qu’ils soient associés à un pseudo-agent.

472.

D. Baudot attribue l’aspect interne mutatif-ponctuel au lexème verbal « zerstören » (1989, p.630). Il nous semble plus approprié de classer « zerstören » dans la catégorie des verbes dont l’aspect interne est mutatif-limitatif dans la mesure où « zerstören » est compatible avec une indication de durée. Pour D. Baudot, la détermination temporelle du type « nombre cardinal + unité de temps + accusatif de durée + (lang) » est possible (1989, p.654). Pour les auteurs du C.R.L.G., elle ne l’est pas (1986a, p.167). Ils considèrent que « zerstören » requiert une indication de durée enveloppant l’idée d’achèvement (bornage à droite). La catégorisation de « zerstören » dans le groupe des verbes dont l’aspect interne est mutatif-limitatif pose le problème de la possible apparition à la voix active d’un référent nominal instrumental en fonction de sujet grammatical : « Nato-Bomber hatten in der Nacht zuvor gleich in der ersten Angriffswelle die Polizeistation von Bela Crkva zerstört. » (Der Spiegel n°28, 12.07.1999, p.124) Il est possible de lever cette difficulté en faisant appel à la notion de métonymie de l’objet utilisé pour l’utilisateur : « Auf dem Heimweg stellte sie fest, daß während ihrer Reise viele Häuser von Bomben zerstört worden waren. » (EFR, p.194) Le fait que notre analyse de l’aspect interne du lexème verbal « zerstören » diverge de celle de D. Baudot n’est certainement pas étranger au caractère subjectif de la notion d’aspect - subjectivité qui est due à l’interférence entre le « plan référentiel de la réalité extérieure » et le « plan cognitif des opérations conceptuelles ». L. Gosselin et J. François estiment que cette distinction est particulièrement pertinente pour la catégorie duratif vs. ponctuel dans la mesure où cette catégorie « ne concerne pas la réalité physique des phénomènes mais leur perception dans des conditions ‘normales’ » (1991, p.23).

473.

BAUDOT 1989, p.651 (exemples) et p.653 (tableau)

474.

PÉRENNEC 1988, pp.43-45