3°) Indications spatiales

Dans quelle mesure la mention d’une indication spatiale directive agit-elle sur l’aspect global d’énoncé ? Soit le lexème verbal « begleiten ». Il figure le plus souvent dans des énoncés non-transformatifs (« Er war / wurde ständig von einem Leibwächter begleitet »), mais il impose la lecture transformative si l’énoncé contient le point d’arrivée du déplacement (« Er wurde von seinem Freund in den Garten begleitet »). Sa catégorisation donne bien du fil à retordre aux auteurs du C.R.L.G. qui l’affectent tantôt au groupe II, tantôt au groupe III475, ne sachant pas trop quelle place réserver au situatif directif ayant pour effet de borner le procès à droite. Ils optent en dernière analyse pour la catégorisation dans le groupe II en arguant du fait que ce n’est pas le verbe « begleiten » mais le complexe verbal « in den Garten begleiten » qui impose la lecture transformative. D. Baudot considère que « begleiten » relève de la catégorie des verbes pouvant apparaître aussi bien dans des énoncés transformatifs que dans des énoncés non-transformatifs (groupe III). Il ne réserve pas un traitement de faveur à l’indication directive, mais met bien au contraire les indications spatiales en relation avec les indications temporelles. Il présente ainsi le paramètre spatial locatif comme le pendant du paramètre duratif et le paramètre spatial directif comme le pendant du paramètre mutatif ou ingressif : de même qu’en cas de changement d’état la personne se trouve à l’instant t1 nécessairement ultérieur à l’instant t0 dans un état différent de celui qui était le sien à l’instant t0, en cas de changement de lieu elle se trouve à l’instant t1 dans un endroit qui n’est pas celui qu’elle occupait à l’instant t0. Nous avons l’impression que dans le cas du verbe « begleiten », l’opposition entre la lecture transformative et la lecture non-transformative est dissymétrique. Le pôle non marqué (générique) est occupé par la lecture non-transformative qui est envisageable non seulement en présence d’une indication locative mais aussi en l’absence de toute indication spatiale. La lecture non-transformative englobe tous les cas de figure où la relation directive n’est pas exprimée (y compris celui où ne figure pas dans l’énoncé une indication locative). Le pôle marqué (spécifique) est occupé par la lecture transformative exclusivement réservée aux énoncés comportant une indication de changement de lieu. Le caractère dissymétrique de cette opposition a échappé à R. Steinitz qui écrit : « Neben diesen beiden Verbgruppen steht nach ANDERSSON (1972) eine dritte, die bezüglich des Merkmals ‘grenzbezogen / nichtgrenzbezogen’ neutral ist ; Verben dieser Gruppe bekommen erst durch Ergänzungen verschiedener syntaktischer Hierarchiestufen eine Spezifikation. [...] Die Verben tanzen und gehen [...] gehören zu dieser Gruppe neutraler Verben ; bei Ergänzung durch ein Richtungs- bzw. ein Lokaladverbial werden sie erst zu grenzbezogenen bzw. nichtgrenzbezogenen Konstruktionen. »476

La quatrième condition devant être remplie concerne la dimension macro-textuelle, diaphasique. Le « procès » visé par le lexème verbal de l’énoncé ne doit pas s’inscrire dans une chronologie événementielle. Il ne doit pas se grouper en série avec d’autres procès qui se succèdent sans se chevaucher dans un temps linéaire et logique car dans ce cas le fait relaté n’est pas envisagé dans sa durée interne mais est ramené à un point. Prenons le cas du lexème verbal « verhüllen » dont l’aspect interne est mutatif-(limitatif). Contrairement à ce qu’affirment les auteurs du C.R.L.G., « verhüllen » ne garantit pas la lecture « bilan-werden » lorsqu’il est accompagné d’un groupe prépositionnel à base « von » dont le membre nominal revêt un désigné instrumental477. Il entraîne la lecture processuelle-dynamique dès lors que le procès fait partie d’une chaîne événementielle dont les événements repérés les uns par rapport aux autres se déroulent dans le temps historique rectiligne :

‘Mantel- und Jackentaschen durchstöbert Erika nach einem Taschentuch, das sie auch bald findet. Ein Produkt der Grippe- und Schnupfenzeit. Erika ergreift das Glas mit dem Taschentuch und bettet eins ins andere. Das Glas mit seinen unzähligen Abdrücken von ungeschickten Kinderhänden wird ganz vom Tuch verhüllt. Das so bemäntelte Glas legt Erika auf den Boden und tritt mit dem Absatz kräftig drauf. Es splittert gedämpft. Dann wird das bereits verletzte Wasserglas noch einige Male gestampft, bis es zu einem zwar splittrigen, doch nicht formlosen Brei geworden ist. Zu klein dürfen die Splitter nicht geraten ! Sie sollen noch ordentlich stechen können. Erika nimmt das Tuch samt dessen scharfkantigem Inhalt vom Boden auf und läßt die Splitter sorgsam in eine Manteltasche gleiten. Das billige, dünnwandige Glas hat besonders gemeine und scharfe Bruchstücke hinterlassen. Das sirrende Schmerzgewimmer des Glases ist von dem Tuch abgetötet worden. (KS, pp.166-167)’

En présence d’un situatif duratif à valeur continuative, la lecture est bilan-statique car le situatif bloque la lecture processuelle induite par la chaîne événementielle :

‘Dann ertönte ein dröhnender Gong, und wir wurden in den Aufführungssaal eingelassen, dessen Bühne vorläufig noch von einem barocken Theatervorhang aus scharlachrotem Samt mit herabbaumelnden goldfarbenen Troddeln verhüllt wurde. (R, p.58)’

Même un verbe dont l’aspect interne est duratif-non limitatif peut être appréhendé comme exprimant un acte clos et représenté par un intervalle fermé à gauche et à droite s’il est en relation avec d’autres procès avec lesquels il forme une suite discontinue. C’est ce qui amène D. Baudot à s’interroger sur le bien-fondé de la catégorie des « verbes non-transformatifs » chez les auteurs du C.R.L.G. : « On peut alors légitimement se demander si deux groupes ne suffiraient pas pour opérer un classement des verbes, selon leur valeur aspectuelle (aspect interne) »478.

Le « procès » visé par le lexème verbal de l’énoncé « ne doit pas impliquer une situation ponctuelle ou mutative mais une situation durative »479. Il doit figurer dans une séquence descriptive structurée autour d’un thème générique et dont les contenus sont agencés non pas d’un point de vue chronologique mais d’un point de vue spatial (ce qui est décrit impose une représentation simultanée des parties constituant le tout). La séquence descriptive a pour effet d’interrompre le déroulement du récit. Pour éviter qu’elle ne soit ressentie comme une « intrusion descriptive »480, l’auteur délègue son regard à un narrateur doué de la possibilité d’observer (« mein Blick », « fixieren », « in Augenschein nehmen », « die Aussicht »), il le place dans un milieu ambiant qui favorise son penchant à l’observation (« die Fensterbank ») et prend pour prétexte la découverte d’un nouvel environnement (« unserer neuen Behausung ») :

‘Doch genug der Philosophie, schließlich war Gustav nicht Hiob. Während also mein Freund weitere Oden an die Herrlichkeit unserer neuen Behausung verfaßte, driftete mein Blick von ihm ab und fixierte das WC. Die Tür und das große rückwärtige Fenster standen offen, und ich nahm die Gelegenheit wahr, endlich den hinteren Teil des Gebäudes in Augenschein zu nehmen. Geschwind lief ich an dem mit sich selbst redenden Gustav vorbei, gelangte in die Toilette und sprang auf die Fensterbank.
Die Aussicht, die sich mir von hier bot, war einfach paradiesisch. Es handelte sich dabei gewissermaßen um den Bauch des Wohnviertels. Unser Viertel bestand aus einem etwa zweihundert mal achtzig Meter großen Rechteck, dessen Rahmen die erwähnten properen Anno-Tobak-Klitschen bildeten. Hinter diesen Häusern, also direkt vor meinen Augen, breitete sich ein verschlungenes Netz von unterschiedlich gro message URL flechebas.gifen Gärten und Terrassen aus, die von hohen, verwitterten Ziegelsteinmauern eingegrenzt wurden. In einigen Gärten standen recht pittoreske Gartenhäuschen und Lauben. (F, pp.20-21)’

L’auxiliaire « werden » est là comme pour rappeler l’impuissance de la description littéraire à présenter une vision globale sans la décomposer. La séquence descriptive a pour propriété de se dérouler linéairement. Elle se construit dans un mouvement et c’est précisément à la dynamique du processus de constitution du texte que « werden » paraît faire écho. Il cristallise en soi l’exhortation adressée au lecteur pour qu’il promène son regard dans l’espace textuel et élabore progressivement une image de l’ensemble statique. Il traduit de manière symbolique l’invitation qui lui est adressée pour qu’il découvre au fil des lignes ce que l’observateur embrasse d’un seul regard dans le tableau. Si l’observateur est en mouvement, les différentes composantes de la description sont évoquées dans l’ordre de leur apparition. La description se voit ainsi « dramatisée ». Elle vient se greffer sur les événements du récit et n’apparaît plus comme un frein à la progression textuelle. Ainsi dans l’extrait de Felidae d’A. Pirinçci :

‘Ich passierte bange pochenden Herzens die Luke und sprang in einen finsteren Korridor, der meine Vermutung hinsichtlich meines Aufenthaltsortes zu bestätigen schien. Offenkundig war ich in einem unterirdischen Grabsystem, einer sogenannten Katakombe, gelandet. [...]
Der steinerne Korridor, dessen Wände mit patinaüberzogenen, fast unkenntlichen frühchristlichen Miniaturen und Heiligenmalereien verziert waren, führte mich zu weiteren Gängen, so daß ich binnen kurzem den Eindruck gewann, mich in einem unüberschaubaren Labyrinth zu befinden. In die Mauern waren viele Grabnischen eingelassen, in denen sich verkrümelte Überreste von menschlichen Skeletten befanden. Einige der Grabnischen jedoch verhinderten den Blick auf ihren Inhalt durch gewichtige, mit Bibelinschriften versehene Steinplatten. Bisweilen wurde der Weg von umgekippten Gemäuerpartien oder einzelnen, herabgestürzten Gesteinsbrocken versperrt, über die man hinüberklettern mußte. Oft war auch die gesamte Decke heruntergekommen, und ich mußte, um überhaupt weiter zu gelangen, erst mal nach einer Lücke fahnden. (F, p.157)’

L’auteur fait dépeindre à son narrateur le site surprenant qu’il découvre en se lançant à la poursuite d’un chat suspecté de meurtre. Il commence par nommer l’objet de sa description - il s’agit de catacombes - afin de permettre au lecteur de mobiliser, d’activer ses savoirs sur cet objet et d’amorcer le processus de décodage. En donnant d’entrée le « thème-titre »481, il détermine un horizon d’attente constitué d’éléments prévisibles et assure la cohésion de la séquence. Une fois le « thème-titre » fixé, il procède à l’énumération des parties constitutives, c’est-à-dire décompose l’objet à décrire en l’abordant sous différents aspects (cette opération porte le nom d’« aspectualisation » dans la terminologie de J.-M. Adam et d’A. Petitjean). Il évoque les couloirs labyrinthiques, les niches qui abritent des restes de squelettes humains et tout ce qui fait obstruction à sa progression ou à son champ de vision. Il dépeint l’état dans lequel se trouvent les catacombes au moment de leur découverte et présente ainsi un tableau statique. Certains éléments viennent animer la description. C’est le cas de l’accusatif dans le segment de phrase « In die Mauern waren Grabnischen eingelassen » dont le choix peut s’expliquer par la conservation de l’opposition accusatif / datif lors de la transformation du groupe verbal en structure attributive dérivée. Néanmoins, si nous nous situons dans une perspective plus stylistique que morpho-syntaxique, l’analyse que développe J. Athias dans son article Les fluctuations entre le datif et l’accusatif n’est pas dénuée d’intérêt. Selon lui, l’allemand procède à une distribution des rôles : « celui du verbe revient à fixer un décor et celui du cas à mettre en mouvement ce décor, à lui conférer une dynamique qu’il n’aurait pas sans lui »482. Il a échappé à J. Athias que le verbe aussi pouvait servir à dynamiser une description : « Bisweilen wurde der Weg von umgekippten Gemäuerpartien oder einzelnen, herabgestürzten Gesteinsbrocken versperrt ». L’auxiliaire « werden » introduit un dynamisme à l’intérieur d’un statisme. Il insiste « sur le fait que le procès, bien que montré dans son statisme, n’en est pas pour autant interrompu mais perdure »483 là où « sein » ne fait qu’inscrire la description dans une perspective de constat, de bilan. Il reflète parallèlement la marche en avant de l’observateur, marque le transfert du dynamisme de l’observateur sur l’objet décrit (transfert que les auteurs du C.R.L.G. qualifient de « métonymie dynamique »484) et superpose à la désignation de l’objet une information sur la manière dont l’observateur l’envisage.

Il est a priori paradoxal de vouloir réunir par le biais du « bilan-werden » deux perspectives que l’on a pris l’habitude d’opposer en plaçant la description statique du côté des objets - avec des marques caractéristiques telles que le substantif et l’adjectif - et le récit dynamique du côté des actions - avec le verbe processuel comme signe particulier. Nous pensons que la dichotomie entre l’être et le faire n’est pas pertinente et qu’il faut plutôt affirmer l’existence d’un continuum entre ces deux pôles.

Notes
475.

C.R.L.G. 1986a, p.170 (groupe III) ; C.R.L.G. 1987, p.239 (groupe II)

476.

STEINITZ 1981, p.96

477.

Cf. l’analyse du verbe « verschließen » (comparable au verbe « verhüllen ») chez les auteurs du C.R.L.G. (1987, pp.245-246) : « (59) Die Luke wurde von einem viereckigen Deckel verschlossen. [...] In Satz (59) beispielsweise kann der von der Nominalgruppe einem viereckigen Deckel bezeichnete Gegenstand nicht selbständig in einen Vorgang eingreifen. Er kann also nur als Garant für das Weiterbestehen eines Zustands aufgefaßt werden. »

478.

BAUDOT 1989, p.636

479.

BAUDOT 1989, p.655

480.

ADAM & PETITJEAN 1989, p.38

481.

ADAM & PETITJEAN 1989, p.108

482.

ATHIAS 1992, p.49

483.

BAUDOT 1995b, p.209

484.

C.R.L.G. 1987, p.252 : « In diesen Belegen liegt eigentlich eine Metonymie vor, durch welche der sich fortbewegende Beobachter die eigene Bewegung auf das unbewegliche Objekt projiziert und somit das, was in Wirklichkeit ein Zustand ist, als einen Vorgang wahrnimmt : In diesem Sinne sprechen wir von ‘dynamischer Metonymie’ ». Cf. BAUDOT 1989, p.827 : il se demande si la « métonymie dynamique » des auteurs du C.R.L.G. ne pourrait pas être envisagée comme le résultat d’un processus métaphorique visant à mettre entre parenthèses l’aspect interne de l’auxiliaire.