3.2 Remplacement de l’auxiliaire « sein » avec modification de l’environnement actanciel de la périphrase « X + participe II »

Le remplacement de l’auxiliaire « sein » peut affecter l’environnement actanciel de la périphrase « X + participe II » sans toucher pour autant à l’interprétation bilan-statique de l’aspect global d’énoncé. C’est le cas lorsque la position X est occupée par l’auxiliaire « haben » et que « haben » fonctionne en opposition avec « bekommen » pour marquer la voix du récipiendaire. L’opposition entre les formes en « bekommen » et « haben » n’est pas sans rappeler l’opposition entre les formes en « werden » et « sein ». « Bekommen », tout comme « werden », revêt une valeur processuelle tandis que « haben », à l’instar de « sein », implique une interprétation statique. Ainsi les phrases (1) « Das Pferd hat die Fesseln bandagiert » et (2) « Die Fesseln des Pferdes sind bandagiert » dénotent-elles un état conçu comme le résultat d’un procès antérieur, lequel procès est visé par les phrases (3) « Das Pferd bekommt die Fesseln bandagiert » et (4) « Die Fesseln des Pferdes werden bandagiert ». D’où le schéma 550:

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Associés à « wollen » ou au verbe de modalité « mögen » au subjonctif II, les auxiliaires « sein » et « haben » peuvent se substituer à « werden » et « bekommen » sans changement de sens notable. L’ellipse de l’auxiliaire est même envisageable. En effet, l’adjonction de « haben » ou « bekommen » n’ajouterait rien sur le plan sémantico-référentiel et ne ferait que satisfaire le besoin de démarcation à droite du syntagme verbal. La situation décrite serait la même dans les deux cas : « Dem Fahrradhändler Ríos dagegen sind die Schulden gleichgültig. Er will nichts geschenkt - schon gar nicht, wenn er selbst nichts davon spürt. » (Der Spiegel n°47, 16.11.1998, p.189) Pourquoi y a-t-il neutralisation de l’opposition aspectuelle « processuel / bilan » au niveau de l’auxiliaire « haben » en présence de verbes exprimant la modalité « vouloir »551 ? Tout simplement parce que l’état que le référent du sujet grammatical appelle de ses voeux ne peut être obtenu que par la réalisation préalable du procès correspondant. Ainsi, lorsqu’une personne n’a pas les cheveux ondulés et qu’elle souhaite les avoir ondulés, il faut qu’elle procède à une mise en plis : « Ich will / möchte jetzt gleich die Haare onduliert bekommen / haben ». 

Etant donné que l’auxiliaire « haben » autorise hors contexte la double lecture « processuel / bilan » là où son homologue « bekommen » marque la seule lecture processuelle, il convient de dégager les facteurs qui privilégient l’une ou l’autre des deux interprétations. La lecture processuelle est favorisée par la présence de l’agent, l’aspect « non-transformatif » du verbe apparaissant au participe II et les indications temporelles du type « unverzüglich », « jetzt gleich », « auf der Stelle », etc. Comme le note O. Leirbukt552, la levée de l’ambiguïté s’opère également en fonction de notre représentation du monde. La construction « haben + participe II » admet une interprétation résultative dans l’énoncé « Ich will die Haare onduliert haben, wenn ich zur Party gehe » car le procès « zur Party gehen » n’a pas un rapport direct à l’actualité du verbe « ondulieren ». Elle admet une interprétation processuelle dans l’énoncé « Ich will die Haare onduliert haben, wenn ich zum Friseur gehe » car le procès « zum Friseur gehen » a un rapport direct à l’actualité du verbe « ondulieren ».

En présence d’un verbe de modalité, le choix des périphrases « bekommen / haben + participe II » permet une économie de moyens linguistiques en évitant l’emploi d’une subordonnée complétive en « daß » : « Ich will / möchte, daß meine Haare jetzt gleich onduliert werden ». Nous sommes tenté d’effectuer un rapprochement avec la diathèse factitive « Ich lasse mir die Haare ondulieren » dans la mesure où dans les deux cas, l’agent qui accomplit physiquement le procès « ondulieren » (le coiffeur) est passé sous silence tandis qu’est indiquée la personne directement à l’origine de l’idée, de l’acte de volition (le locuteur « ich »).

Avant d’étudier en détail les restrictions d’emploi de la forme statique « haben + participe II », nous souhaitons présenter les deux constructions dans lesquelles « bekommen » s’oppose à « haben ». S. Latzel les schématise comme suit553 :

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L’exemple fourni pour illustrer le premier type est ambigu, à l’image de la construction qu’il représente. Il implique l’interprétation processuelle-rétrospective si le sujet « die Frau » est perçu comme l’agent du procès et l’interprétation statique-actuelle si le sujet « die Frau » n’est pas perçu comme l’agent du procès. M. Vuillaume fait remarquer que dans ce dernier cas, le sujet grammatical est non-spécifié quant au rôle qu’il a joué dans le procès qu’on suppose être à l’origine de la situation décrite554. La phrase ne nous apprend pas si la femme s’est elle-même verni les ongles (« Sie hat sich die Fingernägel lackiert ») ou si elle a confié ces soins à une manucure (« Ihr sind die Fingernägel lackiert worden »).

« Haben » ne constitue le pendant statique de « bekommen » qu’à la condition que « l’objet à l’accusatif désigne un élément qui fait partie de la ‘sphère du sujet’ et que le procès dénoté par le lexème dont est dérivé le participe II ne soit pas de nature à rompre cette appartenance »555. Le complément d’objet se trouve dans une relation d’identité avec le sujet (« Sie hat die Haare gewaschen »). Il exprime plus que la simple « possession inaliénable ». Il vise une réalité (partie du corps, vêtement d’une personne, etc.) qui appartient au sujet : « Er hatte die Ohren zugestopft », « Er hat die Hosen an den Knien zerrissen », « Pfiffke ist ein hundertprozentiger Parteigenosse. Er hat immer das Parteiabzeichen angesteckt ». Dès lors que le complément d’objet désigne une chose qui « ne fait pas corps » avec le sujet, la construction « haben + participe II » ne peut pas être appréhendée comme le pendant de « bekommen + participe II » : « Unser Buchhändler hat diesen Roman leider nur übersetzt ». O. Leirbukt invoque une « autonomisation » de l’état par rapport au processus. Il considère que le participe II est de nature adjectivale (cf. « nur ») :

‘Dort drückt das P II einen Zustand aus, der sich semantisch so stark verselbständigt hat, daß man zwischen ihm und einem konkret fixierbaren Prozeß (mit dem Referenten eines Aktivsatzdativs als betroffener Größe) keine direkte Beziehung mehr herstellen kann. (Es ist in (93) m.a.W. nicht davon die Rede, daß jemand dem Buchhändler den Roman übersetzt hat.) Entsprechendes gälte für (94), wo auch die Koordination von sicher und garantiert auf einen mehr ‘adjektivischen’ Charakter des P II hindeutet. Es erscheint aber fraglich, ob sich die angedeutete Grenzziehung zwischen Konstruktionen mit direktem Bezug zu einem zugrundeliegenden Prozeß und solchen, in denen das P II eher ‘adjektivischer’ Natur ist, durch einigermaßen verläßliche Kriterien erhärten läßt.556

L’interprétation du sujet comme agent ou bénéficiaire est tributaire de notre représentation du monde et dépend de contraintes sémantiques : si le sujet ne peut pas être perçu comme l’agent du procès sans heurter notre univers de croyance, il se voit attribuer le rôle sémantique de bénéficiaire. C’est le cas quand le sujet désigne un non-animé (« Der Tote hat die Hände gefaltet », « Der Wagen hat eine neue Nockenwelle eingebaut », « Die Schaufensterpuppe hat die Lippen geschminkt ») ou quand le sujet désigne un animal et que le participe II exprime une action humaine (« Das Pferd hat die Fesseln bandagiert », « Das Pferd hat den Schweif gestutzt », « Der Hund hat den Schwanz kupiert »). L’ajout de « selbst »557 suffit à rejeter la lecture processuelle : *« Die Schaufensterpuppe hat die Lippen selbst geschminkt », *« Das Pferd hat die Fesseln selbst bandagiert ». 

Cette approche ne prend pas en compte les énoncés où le sujet désigne un animé humain. Pourquoi est-ce que dans la phrase « Ich hatte gestern meinen letzten Weisheitszahn gezogen » le sujet « ich » ne peut pas être perçu comme le bénéficiaire du procès « ziehen » ? Cette impossibilité n’est en rien le résultat d’une incompatibilité avec notre expérience du monde puisque dans les sociétés occidentales, il est d’usage d’aller chez le dentiste pour se faire arracher une dent. Faut-il mettre en cause le déterminatif possessif du groupe nominal en fonction de complément d’objet ? Nous ne le pensons pas même s’il est un fait avéré que le déterminatif possessif pousse plus vers la lecture processuelle que l’article défini558. Faut-il incriminer la combinaison de l’indication temporelle « gestern » et du lexème verbal « ziehen » ? Il s’agit effectivement d’une piste intéressante. Le verbe « ziehen » dénote un procès qui introduit dans la réalité une modification qui persiste au-delà de la portion de temps définie par le déictique « gestern ». Son trait sémantique « irréversibilité » est jugé incompatible avec la délimitation introduite par le datage temporel. Que se passe-t-il en cas de transposition au présent de l’auxiliaire « haben » et de suppression du déictique « gestern » ? La phrase obtenue vise également un procès passé. Elle ne dénote pas un état contemporain du repère défini par le morphème porté par « haben » : « Er hat den letzten Weisheitszahn gezogen ». Cette observation conforte la position de M. Vuillaume qui incrimine le sens même du lexème verbal. En tant que verbe de privation, « ziehen » annule la relation d’appartenance qu’entretient le complément d’objet avec son sujet en impliquant que l’individu n’a plus sa dent une fois qu’elle a été arrachée. Il ressort de l’analyse de cet exemple 1°) que l’auxiliaire « haben », quand il figure comme pendant statique de « bekommen », ne peut pas être combiné au participe II d’un verbe de privation (« ziehen », etc.)559, 2°) qu’il garde le trait sémantique « possession » du verbe plein et 3°) qu’il présente un degré d’auxiliarisation plus faible que « bekommen ».

Notes
550.

VUILLAUME 1977, p.10

551.

Comme le fait remarquer O. Leirbukt (1981, p.130), la construction « haben + participe II » autorise une lecture processuelle avec tous les verbes de modalité à condition que le procès exprimé soit ultérieur à l’acte d’énonciation : « Die haben-Konstruktion II kann neben volitiv gebrauchtem mögen und wollen auch bei sollen auftreten [...]. Hinzu kommen dürfen, müssen [...] und können [...]. Beispiele :

(46) Soll er doch die Platte vorgespielt haben !

(47) Dürfte ich jetzt gleich die Papiere ausgehändigt haben ?

(48) Das muß ich noch mal von Ihnen erklärt haben.

(49) Als Kohlhaas schon unter dem Schutz des Brandenburgers steht, erfährt der Kurfürst von Sachsen [...], daß Kohlhaas der einzige Mensch ist, von dem er das Geheimnis der Ewigkeit, die Schicksalsfrage beantwortet haben könnte. [...]

Bei volitiv verwendetem werden (würde-Formen) ist sie durchaus möglich (ohne Stellungnahme zu der Frage, ob werden ein MV ist, sei an die Nähe von würde zu möchte als Ausdruck eines Wunsches erinnert) :

(50) Ich würde gerne meinen Arbeitsplatz geschützt haben. »

552.

LEIRBUKT 1981, p.124

553.

LATZEL 1977, p.302

554.

VUILLAUME 1983, p.189

555.

VUILLAUME 1977, p.7

556.

LEIRBUKT 1981, pp.142-143

557.

Cf. LATZEL 1977, p.289

558.

Cf. LATZEL 1977, p.302 : « Die Frau hat die (oder : ihre) Fingernägel lackiert » ---> « Bei ihre würde man wohl auch eher die Aktiv Perfekt- als die Präsens Stativ-Interpretation ansetzen. »

559.

Exception faite du verbe « amputieren » (« Er hat das rechte Bein amputiert »).