CONCLUSION

Pour clore notre recherche, nous nous proposons de rappeler les objectifs que nous nous sommes fixés dans cette étude et de résumer les résultats auxquels nous sommes parvenu. Le premier objectif de notre étude était de présenter les trois modes de réalisation de la voix passive en allemand : la première partie a été centrée sur la diathèse passive morphologique (« werden + participe II »), la deuxième partie sur quelques diathèses complémentaires (« sein / stehen / bleiben / gehen / es gibtes gilt + G INF avec zu », « gehören + participe II », « sich lassen + G INF sans zu », la construction réfléchie anagentive à sujet inanimé) et la troisième partie sur le passif-bilan et ses variantes statiques (« sein stehen / liegen / bleiben + participe II »). La périphrase « bekommen + participe II » n’a pas été exclue de ce travail bien qu’elle constitue une voix à part entière. Nous avons souhaité montrer que son assimilation à la catégorie des diathèses complémentaires de la voix passive était abusive.

Le deuxième objectif de notre étude était de définir les conditions et restrictions d’emploi des formes passives. Nous avons vu qu’au fur et à mesure que nous nous déplacions sur l’axe allant de la forme active aux périphrases « werden / sein / bleiben + participe II » les conditions d’emploi s’avéraient de plus en plus restrictives et que ces restrictions d’emploi étaient très largement déterminées par le sémantisme du verbe et des autres constituants de la phrase (importance du paramètre « bornage du procès à droite » pour la périphrase « sein + participe II », impossibilité de former le passif impersonnel si le sujet logique ne présente pas le trait sémantique « humain », etc.). Pour la périphrase « sein + participe II », nous ne sommes pas parvenu à fournir toutes les explications relatives à ses conditions d’emploi. Il ne nous a ainsi pas été possible de définir précisément les critères nécessaires à un verbe duratif-non limitatif (paramètre continu) pour qu’il autorise la forme en « sein ».

Le troisième objectif de notre étude était de fournir les raisons pour lesquelles le locuteur donne sa préférence à la voix passive plutôt qu’à la voix active. La voix passive permet de sélectionner un autre point de vue sur le procès que la voix active en mettant en perspective le participant exerçant le rôle sémantique de patient. Elle sert à structurer le message de façon à réaliser des enchaînements phrastiques et textuels ou à mettre en relief des unités dynamiques. Elle offre également la possibilité de passer sous silence l’agent du procès s’il est inconnu, inintéressant ou évident ou d’apporter des précisions sur la nature de l’agent en l’introduisant par des prépositions qui révèlent le degré de présence de certains paramètres (perlativité, processualité, etc.).

Le quatrième objectif de notre étude était de fournir les raisons pour lesquelles le locuteur donne sa préférence à tel mode de réalisation de la voix passive plutôt qu’à tel autre. Les formes « werden / sein + participe II », généralement envisagées sous l’angle de l’opposition processuel-bilan, permettent de nuancer les valeurs aspectuelles qui viennent se greffer sur la perspective passive : le bilan-werden offre ainsi la possibilité de faire une description dynamique à l’intérieur d’un aspect-cadre statique. Elles permettent également de nuancer la valeur de vérité de l’énoncé en jouant sur l’opposition sémantique général-occasionnel : la forme en « sein » confère une portée générale à l’énoncé lorsqu’elle est utilisée pour exprimer un état simultané du procès qui l’engendre là où son homologue en « werden » insiste plutôt sur le caractère occasionnel du procès. A cet effort de précision au niveau aspectuel répond au niveau modal une volonté de non-explicitation de la ou des modalités impliquée(s) dans le procès : la diathèse « sein + G INF avec zu » joue sur sa plurivocité pour atténuer la brutalité d’un ordre en ne précisant pas le « dosage » respectif des modalités « sollen » et « müssen ».

Le choix du mode de présentation varie en fonction des intentions communicatives du locuteur. Il n’est en aucun cas imposé par la seule dimension informative du message. Le locuteur peut s’efforcer 1°) de faciliter le travail de décodage de l’allocuté en renforçant la cohérence sémantique de son message, en éliminant tout élément parasite qui risquerait d’entraver le bon déroulement de la communication et en levant une ambiguïté, 2°) de lui rendre la tâche difficile à des fins ludiques ou manipulatrices en omettant ou en retardant des unités informatives importantes ou 3°) de ménager sa « face » en atténuant la brutalité d’un ordre.

Il ressort clairement de ce rapide bilan des résultats auxquels nous sommes parvenu que nous avons adopté dans cette étude une démarche essentiellement onomasiologique. Nous avons choisi d’aborder la problématique du choix de la voix passive dans le cadre théorique de la pragmatique en nous demandant pour quelles raisons l’énonciateur optait pour cette voix plutôt que pour une autre. Nous nous sommes situé aussi bien dans la perspective du système invariant de la langue (prise en compte du niveau morphosyntaxique) que dans l’optique de la linguistique de la parole, de la mise en situation de la langue (analyse d’exemples authentiques, puisés dans des oeuvres littéraires ou dans des journaux et assortis le plus souvent de leur co-texte).

Parvenu au terme de ce parcours, il est possible que le lecteur éprouve quelque frustration à ne rien trouver dans notre étude sur le groupe participial permettant de neutraliser formellement l’opposition aspectuelle au niveau du participe II et sur les diathèses complémentaires de la voix passive faisant appel à des dérivations adjectivales ou nominales. Ces diathèses ont trait au problème de la modalité implicite (adjectifs en « -bar », « lich », etc.) et de l’aspect (« Funktionsverbgefüge ») et auraient - à ce titre - trouvé leur place dans les deuxième et troisième parties de notre travail.

Bien que notre corpus ait été en grande partie composé d’un matériel littéraire, la voix passive n’a pas été abordée du point de vue de sa fonction esthétique. Ont été laissés de côté les effets stylistiques délibérément recherchés par l’énonciateur, c’est-à-dire relevant d’un choix stratégique de sa part. Il n’a pas été question de la manipulation ludique à laquelle la diathèse passive morphologique peut donner lieu par la combinaison de facteurs syntaxique (parallélisme) et sémantique (polysémie du mot « werden ») : « Siddharthas Seele schlüpfte in den Leichnam hinein, war toter Schakal, lag am Strande, blähte sich, stank, verweste, ward von Hyänen zerstückt, ward von Geiern enthäutet, ward Gerippe, ward Staub, wehte ins Gefild » (SID, p.16). Il n’a pas non plus été question de l’effet de dramatisation et de l’accélération du rythme de la narration suscités par le dépouillement de l’énoncé et en particulier par l’omission de l’agent : « Das Laub wurde herabgeschlagen, die Zweige wurden herabgeschlagen, die Äste wurden abgebrochen, der Rasen wurde gefurcht, als wären eiserne Eggenzähne über ihn gegangen » (BS, p.202)560. Il n’a enfin pas été question du phénomène de la discordance polyphonique lié à des facteurs diaphasiques. Ce phénomène stylistique est repérable dès lors que dans un texte littéraire la proportion de phrases au passif processuel par rapport à l’ensemble des formes verbales conjuguées est nettement supérieure à la moyenne de 1,5 % établie par K. Brinker561. C’est le cas dans le roman Die verlorene Ehre der Katharina Blum de H. Böll qui se caractérise par un taux de 7,7 %. Ce taux élevé est le signe d’un mélange des genres et traduit un entrelacement du récit littéraire, du discours « scientifique » (le narrateur décrit sa démarche dans des commentaires métadiscursifs peu personnalisés) et du style protocolaire de la langue administrative (cf. les comptes rendus des interrogatoires).

Mais restons-en là de ces considérations qui nous mèneraient trop loin, et que nous comptons développer en un autre lieu. Concluons à l’importance de ne pas traiter le problème de la voix dans le seul cadre de la pragmatique par l’étude de l’exemple suivant :

‘Ja, kein Zweifel besteht, Walter Klemmer ist recht verliebt. Zwar nicht zum ersten Mal, doch bestimmt nicht zum letzten Mal. Er wird jedoch nicht wiedergeliebt. Sein Gefühl wird nicht erwidert. (KS, p.122)’

L’auteur nous apprend que Walter Klemmer est éperdument amoureux d’Erika qui, elle, ne l’aime pas. On s’attendrait à ce que le mouvement retour soit marqué par le préverbe « zurück » mais bizarrement c’est « wieder » spécialisé dans la répétition de l’identique qui fonctionne en lieu et place de « zurück ». Tout se passe ici comme si la syntaxe prenait le relais de la morphologie : le choix de la voix passive (ainsi que le contexte) lève l’ambiguïté potentielle du verbe « wieder/lieben » en marquant que le sujet « er » exerce le rôle sémantique de patient.

Notes
560.

Cf. PAPE-MÜLLER 1980, p.119 : « In diesen Zusammenhang gehört aber auch das Motiv der Darstellung von Ereignissen, das in der epischen Literatur z.B. dann vorkommt, wenn nur die Ereignisse losgelöst von ihrer Verursachung hervorgehoben werden sollen, um den Blick des Lesers nur auf sie zu lenken, um die Erzählzeit des Geschehensablaufs zu raffen oder um das Tempo von Aktionen desselben Handlungsträgers auch sprachlich widerzuspiegeln. »

561.

BRINKER 1971, p.69