Méthodologie

La compilation d’une littérature abondante, mais souvent syncrétique, touchant aux fondements théoriques et historiques des trois concepts clefs de notre travail, à savoir Réseau, Bibliothèque et Economie, nous a permis de construire une plate-forme de trois modèles théoriques fondée sur la combinaison des composantes de ce triptyque à trois tandems : Bibliothèque/économie, Réseau/économie et Bibliothèque/réseau. C’est ainsi que nous proposerons une lecture des modèles économiques de la bibliothèque et du réseau et une typologie des réseaux de bibliothèques.

Dans ce cadre, une attention particulière a été accordée à la remise à plat de la littérature sur le concept du réseau. Cette remise à plat partira d’un bref aperçu historique mettant en relief l’évolution jusqu’à la maturation conceptuelle de la notion du réseau, c’est-à-dire le passage d’une notion métaphorique à un concept bien défini.

Le modèle du réseau retenu est celui proposé par Albert Bressand et Catherine Distler qui aborde le réseau en tant que machine relationnelle à trois composantes qui sont l’infrastructure, l’infostructure (le système d’obligations) et l’infoculture (la culture réseau).

Ce travail préfigure les questionnements économiques sur lesquels nous ambitionnons de bâtir notre approche de l’évaluation des effets du réseau sur une bibliothèque.

L’objectif est de construire une méthode d’évaluation ex ante des effets du réseau sur une bibliothèque donnée. Après un survol de la littérature sur l’économie des réseaux et les réseaux de bibliothèques, trois niveaux de manifestation (de repérage) des effets qualitatifs du réseau sont identifiés. Il s’agit des rapports de la bibliothèque avec son environnement externe, de l’offre de services (et en filigrane des rapports aux usagers) et de l’environnement interne de la bibliothèque.

Notre ambition finale est de construire un outil d’aide à la décision au service des professionnels qui veulent arbitrer entre adhérer ou ne pas adhérer à un réseau de coopération entre bibliothèques.

Une enquête par entretiens semi-directifs auprès des acteurs d’un réseau de bibliothèques a été notre principal moyen d’investigation en vue de rassembler les données empiriques nécessaires à la construction de cet outil. Le choix s’est porté sur le réseau des pôles associés à la Bibliothèque nationale de France (BnF) 12 . Ce choix a été motivé par l’importance de la taille de ce réseau, la diversité des organismes impliqués, les enjeux politiques et socio-économiques qui ont été à l’origine de sa création et par les perspectives qu’il se donne par rapport à d’autres réseaux tels que le Catalogue Collectif de France, le Système Universitaire de documentation et par rapport aussi à des questions de grande actualité dans le domaine de la bibliothéconomie telles que la numérisation et l’accès à distance aux documents en texte intégral.

Trente sept entretiens ont été menés auprès des responsables des pôles associés au sein des bibliothèques concernées (y compris la BnF). Le dépouillement des données recueillies a respecté les critères de modélisation construits dans les parties théoriques. C’est ainsi que les fragments de discours ont été répartis sur trois tableaux, un pour les effets de l’infrastructure, un autre pour les effets de l’infostructure et un troisième pour les effets de l’infoculture. Chaque tableau se compose de deux colonnes, l’une présente les avantages, l’autre les inconvénients et les contraintes. Les effets sont répartis en trois lignes qui correspondent aux trois niveaux de localisation des effets du réseau sur une bibliothèque donnée, à savoir les rapports de cette bibliothèque avec son environnement externe, son offre de services et son environnement interne. (Voir annexe 1)

Les interviewés ont été masqués par un codage qui nous a servi aussi à les catégoriser. Nous nous sommes basés sur quatre critères. Le critère financier permet de distinguer les pôles subventionnés des pôles label (PS versus PL). Le critère structurel distingue les pôles unitaires des pôles composites (PU versus PC). Le domaine de coopération est lui aussi un critère dont l’importance s’est accrue avec l’évolution du réseau. Au départ, les pôles étaient presque tous des pôles de partage documentaire, mais au fil des années la coopération s’est élargie à d’autres domaines de coopération tels que les bibliographies régionales, la gestion du dépôt légal, etc. La principale distinction est celle qui est faite entre les pôles documentaires (PD) et les pôles bibliographiques (PB). Un dernier critère de distinction touche à la nature institutionnelle des membres du réseau. Car, on trouve des bibliothèques municipales (BM), des bibliothèques universitaires, centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique (BU CADIST) et des BU non CADIST, des bibliothèques de Centres ou d’instituts de recherche, etc.

Cette catégorisation a le mérite d’ouvrir des perspectives pour l’affinement de l’analyse. On peut penser par exemple, à établir pour chaque catégorie une série de trois tableaux du même type que ceux établis lors du tri global. Ce deuxième niveau de dépouillement peut renseigner sur les traits saillants des effets du réseau sur la bibliothèque en fonction du critère de catégorisation retenu ; autrement dit, il renseigne sur les effets du réseau sur les CADIST, sur les BU, sur les BM, sur les PU, sur les PC, etc.

On peut songer à affiner le tri jusqu’au niveau de chaque bibliothèque. Mais, ce n’est ni dans les objectifs de notre enquête, ni très utile de s’attarder sur les cas particuliers. L’objectif est, au contraire, de repérer des tendances générales qui permettent d’établir des modèles.

La construction globale de la thèse s’articule autour de quatre parties qui regroupent neuf chapitres.

La première partie est consacrée à la construction des modèles théoriques qui nous ont servi comme outils d’analyse et de construction de l’outil final d’évaluation des effets qualitatifs du réseau sur une bibliothèque. La réflexion théorique basée sur une synthèse de l’état de l’art s’est développée dans trois directions dont chacune a fait l’objet d’un chapitre : un modèle économique de la bibliothèque, un modèle économique du réseau et une modélisation des réseaux de bibliothèques.

La première direction nous a permis de conclure à l’évolution du fonctionnement de la bibliothèque d’un modèle économique fondé sur une logique industrielle, dont l’objectif est la transformation de documents séparés en éléments d’une collection soudée selon une chaîne séquentielle de tâches, vers un modèle de service qui réhabilite l’usager et le met au centre du fonctionnement de la bibliothèque.

La deuxième direction nous a permis d’emprunter un modèle du réseau en tant que machine relationnelle à trois étages, à savoir l’infrastructure, l’infostructure et l’infoculture. Un chapitre en présente les principes de fonctionnement, la nature, et les acteurs avec les enjeux qui en découlent.

La troisième direction, nourrie des conclusions des deux précédentes, a débouché sur la distinction entre deux approches quant à la définition d’une typologie des réseaux de bibliothèques. La première se réfère à la logique industrielle et classe les réseaux en fonction de la tâche concernée par la mise en réseau. Ainsi, on parle de réseaux d’inputs, de réseaux de throughputs et de réseaux d’outputs. Quant à la deuxième, elle s’appuie sur la logique de service pour insister sur l’indissociabilité des différents volets de l’activité d’une bibliothèque et distinguer, sans les séparer, les réseaux de back office des réseaux de front office.

La deuxième partie, composée elle aussi de trois chapitres, est consacrée à la question de l’évaluation des réseaux de bibliothèques.

Le premier chapitre présente, selon une démarche chronologique, un aperçu de l’évolution des pratiques d’évaluation en milieu de bibliothèques. Nous avons cherché à identifier les moments forts de cette évolution dans le but de saisir les opportunités qui s’offrent et les obstacles qui se dressent à la pratique d’une évaluation des coûts et avantages des réseaux pour une bibliothèque. L’existence d’une tradition d’évaluation chez les professionnels des bibliothèques semble a priori ouvrir la voie à la pratique de l’évaluation économique des effets de réseaux. Mais, la complexité du phénomène réseau d’un côté, et la limitation des pratiques d’évaluation constatées à des finalités de gestion technique et de légitimation révèlent que la tâche n’est pas évidente.

Le deuxième chapitre de cette partie s’attaque aux principes et conditions de l’évaluation économique des réseaux de bibliothèques. L’absence d’une culture en la matière dans le milieu des bibliothèques a rendu nécessaire l’ouverture sur la littérature générale relative à l’économie des réseaux pour y chercher les outils théoriques susceptibles d’être adaptés aux spécificités des bibliothèques. Après une présentation des différentes approches d’évaluation économique, ce chapitre conclut à la domination des approches quantitatives dans l’évaluation économique des réseaux.

C’est ainsi qu’un troisième chapitre a été consacré à l’identification et l’ancrage des effets qualitatifs (intangibles) du réseau sur une bibliothèque. Ce chapitre présente trois niveaux d’ancrage des effets qualitatifs, à savoir l’environnement externe, l’offre de services et l’environnement interne.

La troisième partie est consacrée à la présentation des principales conclusions tirées de l’enquête par entretiens menée auprès de trente six pôles associés à la BnF en plus des services compétents de celle-ci. Un premier chapitre est consacré à la présentation générale du réseau d’un côté et à la justification du choix de ce réseau de l’autre ; puis un deuxième chapitre est réservé à la caractérisation du réseau en fonction des modèles théoriques construits dans les deux parties précédentes.

La quatrième et dernière partie se compose d’un seul chapitre consacré à la présentation de l’outil que nous proposons pour l’évaluation des effets du réseau sur une bibliothèque. Cet outil est construit à partir des enseignements tirés de l’application des modèles théoriques sur le terrain de l’enquête. C’est ainsi que nous proposons, dans un premier temps, une grille de questions servant à construire les indicateurs des effets induits par le réseau. Ensuite, la liste des indicateurs obtenues par la grille des questions est présentée dans un tableau récapitulatif qui répartit les indicateurs selon les niveaux de manifestation de l’effet dans lesquels ils peuvent servir. Mais la question de l’appréciation des données fournies par les indicateurs reste posée. En fonction de quoi jugera t-on que tel indicateur est un avantage ou un inconvénient ? C’est à quoi, nous essayerons de répondre dans un deuxième temps de ce même chapitre. Un deuxième tableau récapitulatif reprendra les indicateurs pour les caractériser et leur proposer des critères de jugement qualitatif.

Mais l’hétérogénéité des indicateurs (normes, chiffres, dates, fragments de discours, réponses par oui ou non, etc.) ne permet pas de les comparer les uns aux autres dans le but d’établir un bilan global des effets qualitatifs du réseau.

C’est à quoi nous consacrons la conclusion générale de cette thèse, dans laquelle nous proposons d’homogénéiser les indicateurs par la méthode de pondération, même si la procédure de la pondération est en soi tâchée de subjectivité.

C’est ainsi que l’on pourra en dernière phase envisager de construire une matrice d’évaluation qui permet de répartir les pondérations des effets sur un repère dont les abscisses sont les composantes du réseau et les ordonnées sont les niveaux d’action du réseau sur une bibliothèque. Les effets sont signalés dans les cases correspondantes sous forme de signes (+) ou ( -).

Il va sans dire que cet outil nécessite un travail d’expérimentation et de validation auprès des professionnels de bibliothèques auxquels il est destiné, afin d’en repérer les limites et d’adapter le vocabulaire et la démarche aux réalités du terrain.

Notes
12.

- Le réseau consiste en une association par convention de la BnF à des bibliothèques et à des organismes documentaires français dont les fonds sontcomplémentaires des siens. Cette association peut être assortie d’une subvention financière attribuée par la BnF au pôle associé comme elle peut se limiter au seul label de pôle associé sans incidence financière.