2. Critique des modèles de référence

Deux critiques principales peuvent être formulées à l’égard de ces trois modèles. La première c’est que la représentation linéaire occulte le caractère dynamique et évolutif du processus de production de l’information. La deuxième critique consiste en ce que ces modèles ne rendent pas compte (ou du moins suffisamment) de l’aspect service de l’activité informationnelle. Tantôt, cet aspect est relégué au rang d’une étape annexe qui intervient en aval d’un processus linéaire de production. Tantôt, il est carrément écarté du raisonnement.

Dans l’économie de la culture, ce sont les spectacles vivants, le patrimoine et les industries culturelles qui monopolisent l’attention.

La bibliothèque a un pied dans chacune de ces filières et a, de ce fait, des affinités incontestables avec chacune des approches économiques qui leur sont appliquées. N’est-elle pas une organisation publique (économie publique) qui collecte, traite et conserve et transmet (économie industrielle et économie patrimoniale) ce bien économique particulier appelé information (l’information est un bien économique particulier) dans le but d’informer et de cultiver les usagers (économie de services et économie sociale).

Le fait que la bibliothèque tire un fil de chacune de ces filières peut être l’une des raisons qui l’empêchent de développer son propre modèle économique à l’instar des domaines d’activité voisins dont elle s’inspire. Ceci est d’autant plus vrai que, d’un côté certaines logiques sont difficilement conciliables (exemple : la logique patrimoniale dans une bibliothèque nationale s’accommode mal avec la logique de diffusion qui est celle d’une bibliothèque publique) ; et que de l’autre côté, il arrive souvent qu’un aspect de l’activité domine les autres rapprochant ainsi la bibliothèque d’un modèle en l’éloignant du coup d’un autre (exemple : dans le cas d’une bibliothèque publique, c’est la mission culturelle et sociale qui est mise en avant, ce qui signifie qu’une politique de subventions publiques est incontournable, alors que dans une bibliothèque de recherche on peut limiter l’accès à une catégorie et pratiquer une discrimination par la tarification, ce qui rapproche la bibliothèque de la logique marchande.)

Récapitulons dans un tableau, d’un côté, les caractéristiques et les activités de la bibliothèque, et de l’autre côté, les théories et paradigmes économiques qui servent de cadre d’analyse et de représentation de ces caractéristiques et activités.

Tableau 1 : théories et paradigmes économiques utilisés dans l’étude des bibliothèques
Activité (ou caractéristique) de la bibliothèque Théories et paradigmes économiques applicables
La bibliothèque est une organisation publique Economie publique : organisation sous tutelle des pouvoirs publics investie d’une mission de service public et n’ayant pas de but lucratif.
La bibliothèque collecte les documents Les documents collectés sont assimilables dans les organisations industrielles aux matières premières
La bibliothèque traite les documents Le traitement des documents est assimilable aux fonctions de transformation industrielle
La bibliothèque diffuse et communique les documents L’équivalent de la diffusion et de la communication dans l’économie industrielle est l’écoulement et la vente
La bibliothèque conserve et transmet les documents à travers le temps La bibliothèque est investie d’une mission patrimoniale régie par les logiques de l’économie de l’assurance (principes de l’incertitude et de l’irréversibilité)
L’objet de la bibliothèque est le document donc l’information Caractéristiques de l’information : intangibilité, reproductibilité, valeur subjective, bien économique Versus marchandise, etc.

Quant aux acteurs qui interviennent dans l’économie de la bibliothèque, Jean-Michel Salaün les représente dans le schéma suivant établi par analogie aux secteurs de l’édition et des médias : 16

Figure 1 : Schéma canonique de la bibliothèque (traditionnelle)
Figure 1 : Schéma canonique de la bibliothèque (traditionnelle) selon Jean-Michel Salaün (1996)

Et Jean-Michel Salaün de commenter son schéma :

‘“ La lecture du schéma de droite à gauche indique que la bibliothèque B récupère un document D dans une source So, qui peut être un éditeur, une autre bibliothèque, un organisme ou individu… La bibliothèque ensuite transforme ce document en un élément d’une collection C. Enfin, la collection est mise à la disposition d’un lecteur L qui viendra consulter un ou plusieurs documents. Cette consultation Cs, prêt ou lecture sur place, est un service qui se passe en un temps déterminé (d’où la représentation en sablier) et ne modifie pas la collection. Autrement dit, une bibliothèque dans son service le plus traditionnel, transforme un document en consultation par l’intermédiaire d’une collection. ” 17

On voit là toute la difficulté qui préside à la modélisation économique de la bibliothèque, car toute tentative dans ce sens doit prendre en compte, en les conciliant, l’ensemble de ces approches, sans parler des autres dimensions relatives à l’aspect service de l’activité de la bibliothèque et que nous développerons plus loin.

Notes
16.

- SALAÜN, Jean-Michel. - “ Adaptons le marketing aux logiques documentaires ”, in : Documentaliste, sciences de l’information, vol. 33, 2, mars/avril 1996, pp. 75-81

17.

- Idem