3. Vers un modèle propre à la bibliothèque

3.1. La vision industrielle

L’activité de la bibliothèque a été longtemps dominée par la vision industrielle selon laquelle l’activité de production est séparée de celle de la distribution. Cette vision est bien reflétée dans le modèle de la chaîne documentaire articulée autour de trois grandes étapes : les inputs (les entrées), les throughputs (les transformations ou traitements) et les outputs (les produits documentaires). Selon Florence Muet (1996), “ il s’agit de traiter une matière première (les documents) pour aboutir à un produit semi-fini (la base de données documentaire) qui permettra de créer des produits finis (les produits documentaires). ” Selon cette vision, le lien central est fait entre le document et le documentaliste. Ce dernier est “ centré sur la maîtrise et la mise en œuvre des techniques documentaires […] C’est en quelque sorte l’intervention documentaire en elle-même qui donne de la valeur à l’information dite brute. ” 18 Autrement dit, c’est la transformation des documents collectés de sources différentes et au fil des temps en collection. La constitution d’une collection est un processus cumulatif qui s’inscrit dans la durée. C’est de là que vient la valeur ajoutée au document une fois intégré dans une collection. Dès que le document entre dans une bibliothèque, il perd son autonomie et s’insère dans un ensemble. Il devient “ un élément d’une collection, décrit et situé. Dans le même temps, il ne quitte plus la collection et il échappe au circuit commercial. ” 19

Mais l’augmentation de la valeur du document n’a pas pour origine uniquement l’intégration du document dans une collection. La valeur peut aussi augmenter proportionnellement au temps. Plus un document traverse le temps, plus il devient rare, précieux et cher. Parmi les trois fondements économiques qu’il a identifié pour la constitution des collections et par conséquent des bibliothèques, Jean-Michel Salaün (1997) cite la réduction du risque à prendre quand à la non conservation de certains titres qui peuvent se révéler indispensables pour une collectivité dans le futur. 20 Les deux facteurs d’incertitude sur la valeur actuelle et d’irréversibilité au cas de dommage font que l’on opte pour la constitution des collections. 21 Cette fonction patrimoniale de la bibliothèque régie par les principes de l’économie de l’assurance est d’une importance telle qu’elle peut être fondatrice d’un modèle économique de la bibliothèque indépendant du modèle industriel.

Notes
18.

- MUET, Florence. - " Industrie ou service, quel modèle pour la fonction documentaire? ", in : Actes de journée d'étude organisée par l'ENSSIB et l'ADBS, ENSSIB, novembre 1996, pp. 1-2

19.

- SALAÜN, Jean-Michel. – “ Le modèle bibliothéconomique ”, in : Économie et bibliothèques, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Michel Salaün, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 1997, collection Bibliothèques, p. 20

20.

- Les deux autres fondements étant la réduction des coûts d’acquisition et de stockage du fait qu’un même titre est offert pour une multitude de lecteurs (économies d’échelle), et l’économie de temps pour le lecteur du fait qu’un lecteur a la possibilité d’accéder à une multitude de titres dans un même lieu (économies de temps).

21.

- Cf. SALAÜN, Jean-Michel, 1997, Op. Cit.