2.1.3. La normalisation 

L’évolution de la technologie et de l’environnement, dans lequel opère une organisation, aboutit toujours à un moment où le changement devient une nécessité incontournable. Il est dans ce cas plus rationnel de chercher à maîtriser les coûts de changement que de s’agripper à une technologie vieillissante et obsolète. C’est ainsi que toute organisation se trouve à un moment ou un autre amenée à prendre des décisions en matière de normalisation.

Selon Dominique Foray, la fonction principale d’une norme est la réduction de la variété par la formalisation d’accords et la mise en place de dispositifs techniques. Aux deux objectifs principaux qu’il attache à la mise en place d’une norme, en l’occurrence la baisse des coûts de transactions et la réalisation d’économies d’échelle au niveau de la production, Dominique Foray (1990) ajoute une nouvelle fonction liée aux technologies de réseau et à la standardisation d’interfaces. Elle consiste en la génération de bénéfices associés à l’intégration des réseaux. Albert Bressand et Catherine Distler (1995) estiment que la stabilisation des interfaces grâce à la normalisation favorise la complémentarité des structures qui forment le réseau. En créant des compatibilités, la normalisation permet de partager l’information au sein d’un réseau plus vaste, épargnant aux acteurs l’effort de convertir les données d’un format à l’autre. Les compatibilités instaurent un climat de confiance qui nourrit le succès, ce qui attire plus d’utilisateurs, et par conséquent accroît davantage encore la taille du réseau. En réduisant l’incertitude, les standards ouverts (compatibles) diminuent chez les consommateurs les craintes du verrouillage. Mais ces sentiments ne correspondent pas tout à fait à la réalité, car la menace du verrouillage ne disparaît pas forcément. Un utilisateur peut bien tomber dans le piège du verrouillage par excès de confiance dans un standard ouvert au moment de son lancement mais qui a évolué progressivement vers des extensions propriétaires. “ Avec le temps, les incompatibilités ont tendance à se multiplier, même sur plate-forme standardisée. ” 68 D’un autre côté, Carl Shapiro & Hal R. Varian (1999) attirent l’attention sur le fait que la réduction de la variété n’est pas que bénéfique. Car, en réduisant la variété, la normalisation peut aussi réduire les possibilités de différenciation du produit. On risque alors de proposer un seul produit à des usagers de profils différents et par conséquent dont les besoins sont différents. 69

L’adoption d’une norme soulève, elle aussi, beaucoup de questions quant au moment de l’adoption, aux tactiques et aux choix à faire. L’une des solutions possibles est de faire évoluer l’ancienne technologie pour qu’elle intègre de nouvelles fonctionnalités. Une autre solution viendrait des fournisseurs qui peuvent agir pour vaincre l’inertie au changement au moyen des “ gateways ” Il s’agit de “ dispositifs de conversion permettant de maintenir les compatibilités nécessaires, durant les périodes de transition. ” 70 Les adaptateurs (les converstisseurs) permettent d’allonger la durée de vie de l’ancienne technologie en attendant que se réunissent les conditions d’un passage moins douleureux à la nouvelle technologie. Ainsi, les coûts de transition à la nouvelle technologie sont supportés par ses premiers adopteurs puis sont progressivement transférés aux utilisateurs. Les premiers adopteurs sont ceux qui ne veulent pas (ou ne peuvent pas et parfois même ne savent pas) attendre et acceptent de payer la nouvelle technologie plus chère que les patients qui auront ainsi fait le choix de payer moins chère cette même technologie contre la concession de longueurs d’avance aux premiers adopteurs.

Mais la meilleure alternative pour maîtriser les coûts de changement demeure sans conteste la négociation dans le but de converger vers la création de compatibilités.

Lorsqu’il s’agit de prendre des décisions en matière d’adoption de technologies ou de normalisation dans un environnement de réseau, les problèmes à résoudre sont naturellement différents que si on avait à le faire dans un contexte d’autarcie. Certes, la prise de décision dans un environnement de réseau augmente la complexité du sujet. Les paramètres à prendre en considération sont plus nombreux et variés. Il faut se concerter avec les partenaires et croiser les intérêts et les contraintes des uns et des autres pour arriver à une décision qui arrange tout le monde. Mais en contrepartie, le réseau permet de peser plus lourdement dans une négociation autour de la mise en place ou de l’adoption d’une nouvelle technologie. Nous reviendrons sur ces points lorsque nous étudierons les effets du réseau.

Notes
68.

- Idem, p. 205

69.

- On observe le phénomène inverse dans une économie de marché où les activités sont lucratives. L’adoption d’un standard, en réduisant les possibilités de différenciation du produit, fera accroître la concurrence par le prix. De ce fait, les standards font beaucoup plus l’affaire des consommateurs que des producteurs.

70.

- FORAY, Dominique, Op. Cit., p. 128