2.1.1. Le coût, notion clef de l’évaluation comptable

Qui dit comptabilité, dit monnaie. Celle-ci sert à mesurer aussi bien les coûts que les avantages. L’avantage, en ce qu’il est une économie sur les coûts (dépenses prévues mais non engagées), est assimilable à un coût négatif. C’est pourquoi, nous nous contenterons de la présentation de la notion de coût, considérant que tout ce que nous en dirons s’applique aux avantages.

Le coût se définit comme une somme de charges. [MOULIN, 1995] Le fait que le coût soit le plus souvent exprimé en monnaie amène à le confondre avec le prix. Le prix de revient par exemple n’existe pas ; il désigne en fait un coût.

Selon Emmanuel Moulin, trois caractéristiques sont retenues par le Plan comptable général français pour définir les coûts : le champ d’application, le contenu et le moment de calcul du coût. Nous nous intéresserons aux deux premières.

  • Le champ d’application permet de définir de quoi va-t-on calculer le coût ? La comptabilité analytique propose plusieurs découpages possibles : coût par services, par missions, par fonctions, par activités, par prestations, par tâches, par personnes, par étapes de production, par usagers, par outils, etc.
  • Le contenu du coût ne concerne que les coûts calculables. Ceux-ci sont construits à partir des croisements des différentes catégories de frais (appelés aussi charges) dont ci-après la présentation :
    • Les frais directs : “ ne se rattachent qu’à un seul poste de coût (une prestation, un produit, une fonction, un client ...) [...] Exemple : l’achat d’un quotidien servant directement à élaborer une revue de presse (et rien d’autre) ” 124
    • Les frais indirects : “ frais communs aux produits d’un même service, ou même à tous les services de l’entreprise [...] Les fournitures sont par exemple une charge indirecte. ” 125
      Le problème se pose quand on cherche à répartir les frais indirects sur les différents postes de coûts. Pour cela, il faut définir des clefs de ventilation : exemple ventilation de la masse salariale sur les produits ou les activités, ventilation des achats sur les services, les produits, les usagers, les personnels, etc., refacturations internes (dans le cas d’une bibliothèque ou d’un centre d’information intégrés dans un établissement ou d’une entreprise.), les amortissements, etc. Ensuite, il faut valoriser les clefs retenues à la base de proratas.
      La règle est de toujours partir d’une étude de l’existant, car il n’y a pas de clefs prédéfinies servant de modèles. Mais ceci n’empêche pas de distinguer deux types de ventilation : la ventilation selon des proratas fixes avant tout calcul de coûts (ex ante) ce qui correspond aux clefs dites sensibles, la ventilation selon des proratas liés aux coûts calculés (ex post) ce qui correspond aux clefs dites insensibles, c.-à-d. qui ne modifient pas l’ordre de grandeur des coûts constatés avant la prise en compte des frais indirects objet de la ventilation. 126 Pour la ventilation insensible d’une charge sur différents postes de coûts, la part du poste A dans la ventilation de cette charge devrait être égale à :
  • Les frais fixes : sont ceux qui ne varient pas proportionnellement à l’activité. Le loyer des locaux occupés est un bon exemple de frais fixes. “ En général, les frais fixes augmentent par paliers : il arrive toujours un sommet où le niveau d’activité ne peut plus s’élever sans provoquer une augmentation des ces charges réputées fixes (embauches supplémentaires, investissements... ” 127
  • Les frais variables : “ progressent proportionnellement à l’activité. Les photocopies sont des frais typiquement variables. ” 128

Le découpage frais directs / frais indirects permet une approche statique des coûts. Par contre, l’éclatement de chacune de ces composantes en frais fixes et frais variables introduit une dimension dynamique dans l’étude des coûts.

Exemple illustrant le champ d’application, le contenu et les niveaux du coût : le coût d’une recherche documentaire
Niveau 1 : approche statique des coûts => FRAIS DIRECTS FRAIS INDIRECTS  
Niveau 2 : approche dynamique des coûts =>
Frais directs fixes (exemple : logiciel de recherche documentaire) Frais indirects fixes (exemple : loyer du local)  
Frais directs variables (exemple : connexion aux bases de données) Frais indirects variables (exemple : fournitures de bureau)  

Le champ d’application dans cet exemple est une prestation composée de plusieurs tâches. Chaque tâche induit des frais (directs et indirects) ce qui donne le contenu du coût. Les charges citées dans le tableau précédent ne sont que des exemples fournis à titre indicatif. Seule une situation réelle permet de répertorier toutes les charges entrant dans la composition d’un coût.

Dans une bibliothèque fonctionnant en autarcie et en choisissant comme champ d’application les fonctions remplies par cette bibliothèque, Josée-Marie Griffiths et Donald W. King (1997) ont établi une grille composée de trois groupes de fonctions. Au cas où l’on voudrait affiner le calcul des coûts, il faudrait décomposer chacune de ces fonctions en tâches correspondantes. Le champ d’application devient alors coûts par tâches :

‘“  Fonctions liées aux utilisateurs, fournissant les services et produits destinés aux utilisateurs de la bibliothèque, qui comprennent :
- l’accès aux collections (internes et externes), consultation et recherche ;
- la recherche automatisée ;
- la formation des utilisateurs.
 Fonctions opérationnelles, nécessaires pour assurer les services aux utilisateurs, qui comprennent :
- le développement et la gestion des collections ;
- les acquisitions ;
- la réception des documents et le traitement du courrier ;
- le catalogage et l’indexation ;
- la maintenance des catalogues ;
- le traitement physique ;
- le traitement des factures ;
- les fonctions opérationnelles diverses.
 Fonctions auxiliaires, nécessaires à l’administration et à la gestion des fonctions liées à l’utilisateur et opérationnelles. ” 129

Les auteurs justifient la répartition des fonctions en ces trois catégories par le fait qu’elles n’obéissent pas aux mêmes méthodes de calcul et d’évaluation. Remarquons au passage que la première catégorie des fonctions concerne la base avant de l’activité/service de la bibliothèque, alors que les deux autres relèvent plutôt de la base arrière.

Quel que soit le champ d’application, le coût est toujours composé de plusieurs charges différentes (le contenu du coût) dont seule une situation réelle permet d’en rendre compte exhaustivement.

S’intéresser au coût du réseau revient à assimiler ce dernier à un champ d’application. Mais, à partir du moment où l’on commence à s’intéresser au contenu de ce coût, on passe du niveau macro au niveau micro. Les deux niveaux de calcul sont complémentaires, voire même indissociables l’un de l’autre. Car, si l’on veut faire parler les chiffres, il faut aller au delà de leur niveau global. C’est ainsi que le coût indirect du réseau obtenu en soustrayant son coût direct de son coût total doit être ventilé sur les différentes composantes du champ d’application. Les trois composantes du réseau en tant que machine relationnelle, à savoir l’infrastructure, l’infostructure et l’infoculture peuvent alors être considérées comme des clefs de ventilation. Pour affiner l’analyse encore plus, on ventilera le coût de chacune de ces trois composantes sur ses éléments spécifiques (exemple le coût de l’infrastructure sera ventilé sur les machines, le câblage et la connexion, les logiciels, etc.)

D’autres clefs de ventilation des frais indirects du réseau sont bien sûr envisageables. L’essentiel c’est de toujours partir d’une analyse de l’existant, donc d’une situation réelle.

L’analyse de l’existant se fixera pour objectif de repérer les transformations apportées par le réseau sur les activités et les tâches habituelles de la bibliothèque (nouvelles tâches, tâches disparues, tâches fédérées, tâches éclatées, etc.) Emmanuel Moulin (1995) préconise cinq étapes pour l’analyse de l’existant qui débouchent sur la construction d’une matrice de calcul des coûts :

  • étape 1 : Identification des activités de l’organisation.
  • étape 2 : Identification des outils développés ou utilisés par l’organisation pour exercer ses (ces) activités, et mise en correspondance avec l’étape précédente.
  • étape 3 : Identification des prestations fournies par l’organisation et mise en correspondance avec les étapes précédentes.
  • étape 4 : Identification des tâches effectuées et mise en correspondance avec les étapes précédentes.
  • étape 5 : Présentation des résultats dans un tableau.

Notes
124.

- MOULIN, Emmanuel. - Les coûts en documentation, ADBS-édition, Paris, 1995, p. 28

125.

- Idem

126.

- Idem, pp. 99-122

127.

- Idem

128.

- Idem, p.30

129.

- GRIFFITHS, Josée-Marie & KING, Donald W., “ Mesures de la valeur des services d’information ”, in : Economie et bibliothèques, Editions du cercle de la librairie, ouvrage collectif, Paris, 1997, pp. 159-173