Chapitre 6 : Niveaux de manifestation des effets qualitatifs du réseau dans une bibliothèque

Lorsque les réseaux n’étaient pas aussi généralisés qu’ils ne le sont aujourd’hui, les approches d’évaluation qui prévalaient dans les bibliothèques étaient dominées par les modèles technico-économiques orientés vers des finalités de légitimation. [GAZAGNES, 1993] Ces modèles empruntés au secteur privé abordent la bibliothèque comme un système fermé et autorégulé.

Il est vrai que les sociologues de la culture ont, depuis longtemps, insisté sur des facteurs qui sortent du cadre technico-économique dans la performance et le fonctionnement des organisations culturelles (théâtres, musées, festivals et autres sociétés de spectacles, activités patrimoniales, etc.). C’est ainsi que le raisonnement économique dans ces organisations a intégré les paramètres de tutelles, bureaucratie, pouvoir, opportunisme, confiance, usager, etc. Mais cela n’a pas été le cas pour les professionnels des bibliothèques qui sont restés à l’écart de cette tendance générale dans les organisations culturelles. Les explications tiennent aux particularités économiques de ces organisations (service public, nature de l’activité à double facettes culturelle et informationnelle avec parfois des caractéristiques économiques contradictoires : faible coût marginal de reproduction, caractère marchand, etc.)

Il a fallu attendre le milieu des années 80 pour observer une prise de conscience de ces aspects due à l’émergence de deux facteurs majeurs.

D’un côté, la consécration du réseau dans le fonctionnement des bibliothèques, grâce à la généralisation de l’informatisation, a bouleversé les outils et méthodes de travail classiques (multiplication des bases de données collectives touchant à tous les maillons de la chaîne documentaire classique, accès à distance, etc.)

De l’autre côté, la fin des années 80 a connu un développement des travaux en marketing des bibliothèques qui n’est pas, du reste, sans rapport avec le phénomène réseau. Non seulement ces travaux ont tenté de rendre opérationnels les concepts théoriques de la sociologie des organisations culturelles évoqués plus haut, les rendant du coup plus familiers aux professionnels, mais ils les ont surtout intégré dans une approche globale et cohérente qui permet d’en voir les interactions et les rapports.

La démarche marketing repose sur une analyse de l’environnement de l’organisation dans trois directions, à savoir l’analyse externe, l’analyse du public et l’analyse interne [SALAÜN, 1992]. Nous nous sommes appuyés sur le premier et le troisième niveaux, en en remodelant les contenus, pour identifier trois niveaux de manifestation des effets intangibles du réseau sur une bibliothèque. L’analyse du public n’a pas été retenue car c’est le point de vue de la bibliothèque (le point de vue de l’offre) qui nous intéresse dans le cadre de ce travail et non pas celui des usagers (le point de vue de la demande). Nous nous sommes donc inspirés de la démarche de l’analyse marketing sans en calquer le découpage et les catégories.

Il en résulte trois niveaux sur lesquels on peut repérer les effets du réseau sur une bibliothèque : les rapports de la bibliothèque avec son environnement externe, l’offre de services et l’environnement interne.

Au niveau de l’environnement externe, les effets du réseau à identifier concernent la nature des rapports avec, d’un côté les tutelles, de l’autre côté les partenaires et les fournisseurs commerciaux. La question du pouvoir y occupe une place centrale : négociations budgétaires, marge de manœuvre. Un autre aspect important est celui des efforts et énergies dépensés dans des négociations avec les tutelles et les partenaires, qu’on peut regrouper sous l’expression d’investissement immatériel hors facteur temps qui est, nous l’avons vu plus haut, quantifiable. On y trouve les questions relatives à la négociation des droits (licences pour produits à utilisation partagée, droit de copie, droit de prêt, etc.), à la passation des marchés, aux tractations pour former des regroupements et des alliances.

Au niveau de l’offre de services, l’analyse cherchera à comprendre les implications du réseau sur la stratégie de l’offre (largeur et profondeur de l’offre : le réseau se traduit-il par de nouveaux services de base ? Améliore-t-il ou dégrade-t-il les services de base déjà offerts par la bibliothèque ?) et la qualité du service (rendu et non pas perçu).

Enfin, pour l’analyse interne, il s’agira de repérer l’effet du réseau sur l’organisation interne du travail (l’aménagement des postes de travail), sur l’évolution des qualifications et des compétences (la synergie des connaissances et des savoir-faire : apprentissage par le contact et l’échange, capitalisation des connaissances), sur les motivations individuelles et collectives des agents dans la coopération (volontarisme et motivations des agents, passivité, désintérêt, etc.), et sur le climat général des relations humaines au sein de l’équipe de la bibliothèque (rapprochement, ouverture, méfiance, exclusion, disponibilité, etc.)