1.1. Les tutelles

Muet et Salaün (2001) insistent sur le fait qu’un organisme documentaire peut avoir plusieurs tutelles. La tutelle ne se réduit pas à l’organisme de rattachement appelé généralement la hiérarchie. Elle englobe toute structure ou instance qui exerce un pouvoir quelconque sur l’organisme documentaire par le biais du financement (les bailleurs de fonds) et / ou par un droit de contrôle administratif, technique, politique, etc. C’est ainsi que Muet et Salaün dénombrent les tutelles suivantes pour un organisme documentaire :

  • Les organismes de rattachement (la hiérarchie) : à ce niveau, l’organisme documentaire peut avoir plusieurs tutelles parallèles (une tutelle fonctionnelle et une tutelle opérationnelle) ou verticales (exemple : centre de documentation rattaché à un service lui même rattaché à une organisation plus globale) ;
  • Les bailleurs de fonds : celui qui donne l’argent s’estime en droit de formuler certaines exigences ;
  • Les structures de coordination dans le cas des réseaux, exemple : l’ABES pour les BU françaises ;
  • Les tutelles implicites : les individus exerçant une influence non officielle sur l’organisme et les groupes de pression (club de lecteurs, associations, groupes non structurés d’utilisateurs, etc.)

La relation avec la tutelle est régie par une logique contractuelle explicite ou implicite selon laquelle la tutelle fournit les moyens et l’organisme documentaire remplit en contrepartie des missions et réalise les actions qui en découlent. Pour une bibliothèque, le bon contrat avec les tutelles est celui qui présente le meilleur équilibre entre une marge de manœuvre confortable dans la prise de décision et des allocations budgétaires suffisantes.

En France, la plupart des bibliothèques ont une mission de service public. Les pouvoirs publics assurent de ce fait le rôle de défenseurs de l’intérêt général. Les études économiques qualitatives que l’on pourrait appliquer à la bibliothèque considérée sous cet angle s’inscriraient dans la lignée des travaux sur l’économie de la culture se réclamant à leur tour de l’économie publique : sociologie des organisations (pouvoir, centres de décisions, analyse de la bureaucratie, jeux d’acteurs, etc.), régulation publique, analyses coûts-efficacité, etc.

Les bibliothèques françaises offrent une bonne illustration de la multitude des tutelles et leur imbrication. La politique de décentralisation, intervenue au début des années 80, a opéré un transfert de pouvoirs importants de l’administration centrale vers les collectivités locales et territoriales (Universités, Villes, etc.) Mais en même temps, l’administration centrale a gardé un droit de regard technique sur le fonctionnement des bibliothèques à travers des structures comme la Direction du Livre et de la Lecture (D.L.L.), le Centre National du Livre (C.N.L.) pour les bibliothèques publiques et l’Inspection Générale des Bibliothèques ou la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation pour les BU relevant du ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie ou encore le Conseil Supérieur des Bibliothèques, instance purement consultative mais dont les recommandations formulées dans son rapport annuel sont attendues chaque année avec beaucoup d’intérêt. En plus, certains organismes techniques comme l’Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur (ABES) ou l’Agence Bibliographique Nationale (ABN) qui relève de la BnF jouent un rôle national au niveau de la politique bibliographique des bibliothèques et de l’harmonisation des réseaux.

Muet et Salaün (2001) proposent les trois critères suivants pour analyser la nature des rapports avec la tutelle :

  • “ L’efficacité des modes de communication avec la tutelle ” : ce critère implique de s’interroger sur l’existence effective de relation entre l’organisme documentaire et sa tutelle ainsi que sur les modalités d’accès à cette information par l’organisme documentaire.
  • “ La nature des échanges avec la tutelle ” : ce critère implique que l’on s’intéresse à l’importance de l’organisme documentaire aux yeux de sa tutelle (les projets de la tutelle pour l’organisme documentaire et les apports de celui-ci à la structure globale dont il relève).
  • “ L’influence de la tutelle sur le service d’information ” : c’est-à-dire les mécanismes de prise de décision et la marge de manœuvre laissée par la tutelle à l’organisme documentaire en fonction de sa sensibilité au domaine d’activité (culture, information scientifique et technique, littérature grise, documentation, veille, etc.).

L’appréciation des effets du réseau sur les rapports avec la tutelle gagnerait beaucoup à s’appuyer sur ces critères et les questions qu’ils génèrent. Il s’agira de s’interroger en quoi le réseau transforme la nature de ces rapports clairement identifiés. Il ne s’agit pas d’une comparaison mécaniste avant/après, car il faudra rester attentif à l’existence ou non d’autres facteurs exogènes au réseau et qui pourraient participer à l’évolution des rapports avec la tutelle.