2.1. Largeur et profondeur de l'offre

On ne peut pas établir une matrice d’offre de services qui soit commune à toutes les bibliothèques. La nature de l’offre change en fonction de la catégorie, des missions, des publics ciblés et des moyens des bibliothèques. Très grossièrement, nous considérerons que le service de base primaire d’une bibliothèque est l’accès aux documents. Cet accès peut prendre plusieurs formes : consultation sur place, prêt, accès en ligne au texte intégral, etc. A côté de ce service de base primaire, qui donne à la bibliothèque sa raison d’être, celle-ci offre des services de base secondaires : recherche bibliographique, animations, etc. dont chacun peut justifier à lui seul la sollicitation de la bibliothèque par une catégorie du public sans toutefois fonder la raison d’être de la bibliothèque. Les services proposés dans le but de faciliter l’accès aux services de base sont appelés services périphériques (photocopie, accueil et orientation, assistance à la recherche, réservation, etc.)

Cette structure de l’offre des bibliothèques relève beaucoup plus d’une tradition professionnelle que d’une règle. Il est vrai que le poids de la tradition est souvent important, mais rien ne dit que cette tradition est immuable [MUET & SALAÜN, 2001]. Le réseau peut justement être un facteur décisif dans l’évolution de la structure de l’offre de services dans les bibliothèques.

Pour comprendre les effets du réseau sur le système d’offre dans une bibliothèque on se pose deux séries de questions relatives à la largeur et à la profondeur de l’offre de services :

  • Le réseau modifie-t-il la largeur de l’offre ? Est-il à l’origine de nouveaux services de base ? Est-il à l’origine de la disparition de certains services de base ?
  • Le réseau améliore-t-il ou dégrade-t-il la qualité des services de base offerts ? Génère-t-il de nouveaux services périphériques ? Garde-t-on les mêmes services périphériques pour une base d’utilisateurs plus large ? Ou encore entraîne-t-il la disparition de certains services périphériques ?

Les bibliothèques qui souffrent de la pauvreté de leurs offres de services de base et qui cherchent à attirer de nouveaux publics seront plus portées vers les réseaux dont l’objectif est soit l’échange de leurs services de base soit la mutualisation de leurs ressources pour la création de nouveaux services de base. On pourra penser aux bibliothèques de lecture publique qui ciblent un public très large et varié.

Par contre, les bibliothèques spécialisées coopèrent le plus souvent pour améliorer la qualité des services qu’elles proposent déjà. Elles jouent donc sur la profondeur de leurs services. Le réseau peut être assimilé, de cet angle, à un service périphérique transversal dont l’objectif est d’améliorer l’ensemble des services de base offerts par chaque bibliothèque participant au réseau. Les réseaux “ de services périphériques ” liés à une gamme unique de services de base chez tous les partenaires intéresseront donc des bibliothèques spécialisées qui ne sont généralement pas satisfaites des modalités d’accomplissement des services de base qu’elles offrent ou qui cherchent à fidéliser la base installée du public qu’elles desservent déjà.

‘“ Par exemple, dans le cas simple de la mise à disposition des documents, certains services d’information ne proposent que la modalité de consultation sur place. D’autres proposent en outre le prêt, la possibilité de reproduire les documents, ou encore la circulation de documents, et désormais la mise à disposition en ligne sur les intranets. ” 180

Du reste, rien n’empêche de coopérer sur les deux fronts des services de base et des services périphériques. Encore faut-il avoir les moyens et les prédispositions à le faire.

La confrontation de l’objet de la coopération aux objectifs recherchés au départ constitue la première clef pour identifier les variations du système d’offre dues au réseau dans une bibliothèque. Sur quels services le choix de coopération est-il fait ? Quelles sont les raisons de ce choix ?

Ensuite, l’analyse des effets identifiés peut s’appuyer sur le diagramme BCG, du nom de son concepteur le Boston Consulting Group. Adapté aux bibliothèques, ce diagramme, initialement conçu pour les entreprises, permet d’apprécier les perspectives de croissance des services de base offerts qu’on représentera en abscisse de droite à gauche. L’attractivité du service offert est représentée en ordonnée. Le croisement des deux variables (offre de service , attractivité) permet de répartir les services en quatre rubriques : “les vaches à lait”, les “vedettes”, les “dilemmes” et les “poids morts”.

  • Les vedettes : désignent de nouveaux services exerçant un attrait fort sur les usagers, mais qui sont coûteux (investissements en nouvelles technologies, formation du personnel, etc.) Exemples : les revues électroniques, la lecture assistée par ordinateur, etc.
  • Les vaches à lait : représentent généralement le noyau dur de l'activité dans une bibliothèque. Elles sont la source principale d’attraction du public. Exemples : prêt à domicile, consultation sur place, discothèque, etc.
  • Les dilemmes : ce sont de nouveaux services perçus par la bibliothèque comme des opportunités mais dont la “ rentabilité ” en terme d’attrait est incertaine ou du moins n’est pas assurée au moment de leur lancement. Ils sont considérés comme des dilemmes parce que la bibliothèque ne sait pas trop si elle doit miser sur leur attrait potentiel et investir pour les développer ou si elle doit plutôt renoncer à la prise du risque. Ce sont des dilemmes aussi parce que la bibliothèque peut avoir des regrets au cas où ces créneaux s’avèreraient plus tard très attractifs et porteurs de forte valeur ajoutée. Exemples : conservation coûteuse de documents potentiellement patrimoniaux, dossiers et synthèses bibliographiques sur commande, etc.
  • Les poids morts : correspondent à des services à faible intérêt pour la bibliothèque et ses usagers. Ce sont des services qui avaient un intérêt dans le passé mais qui ne l’ont plus maintenant, exemple service de microfilmage en déclin après le développement des technologies numériques, service audiovisuel dont la technologie régresse face au numérique aussi ou encore des services qui ne cadrent pas avec la mission de la bibliothèque, exemple le prêt entre bibliothèques de quartiers relevant d’une bibliothèque municipale au sein d’une même ville. Il est plus rationnel d’abandonner ces poids morts.
Figure 11 : Stratégie de l’offre selon le diagramme BCG
Figure 11 : Stratégie de l’offre selon le diagramme BCG

Les scénarios d’évolution les plus courants pour chaque situation sont représentés sur le schéma ci-dessus par des flèches. On en relève quatre dont deux positifs (ABC, BC) et deux négatifs (BD, AD). Par rapport au réseau, la bibliothèque s’interrogera en quoi celui-ci peut-il l’aider à se mettre sur la voie de la stratégie d’offre la plus idéale pour chacune des quatre cases :

  • Case A : Segmenter, rattraper et éventuellement abandonner les dilemmes. A titre d’exemple, une bibliothèque hésitante entre renforcer une technologie qu’elle utilise ou l’abandonner pour une nouvelle technologie dont elle redoute les risques de verrouillage trouvera dans la taille du réseau et les compatibilités qu’il recèle des éléments d’assurance qui l’aideront à trancher (effet de club).
  • Case B : Rentabiliser les vedettes. Forte de son attractivité élevée, une vedette a de grandes chances d’intéresser les bibliothèques partenaires qui chercheraient à en faire bénéficier leurs usagers. Du coup la bibliothèque se mettra sur la voie du scénario 2 (BC) qui fait évoluer les vedettes vers des vaches à lait (rendements d’échelle).
  • Case C : Maintenir et renforcer les vaches à lait. Les vaches à lait sont des atouts dont la bibliothèque va se prévaloir pour négocier une position forte au sein du réseau. Les vaches à lait d’une bibliothèque peuvent être des dilemmes, voire même des poids morts, dans une autre. Ainsi, elles deviennent une monnaie de change qui permet de faire décoller des dilemmes stagnants ou des vedettes fort coûteuses.
  • Case D : Abandonner ou conserver en attente les poids morts. Dans certains cas, les poids morts sont ce qu’ils sont parce que la bibliothèque souffre d’un isolement. Le réseau peut se révéler la solution miracle pour les relancer de nouveau.

Notes
180.

- MUET & SALAÜN, Op. Cit.