2.1.1. Le partage documentaire

L'objectif déclaré de la BnF derrière le partage documentaire est de :

  • “ couvrir tous les champs de la connaissance ”
  • “ être accessible à tous ”. 204

Pour atteindre cet objectif encyclopédique, la BnF fait appel à d’autres établissements documentaires français pour venir en compléments de ses collections anciennes (orientées sciences humaines) et courantes. Les acquisitions portent d’abord sur le fonds existant pour combler des lacunes ou assurer une mise à niveau avant de porter sur les acquisitions courantes.

‘“ Nous arrivons en complément de la BnF sans sacrifier notre politique propre et la cohérence de nos collections. ” [PCDS2, PUDL7]’

Dans le rapport d’information qu’ils ont présenté à la commission des affaires culturelles du sénat, Philippe Nachbar et Philippe Richert (2000) considèrent que “ cette conception relève d’une vision très restrictive de la notion de partage documentaire. ” 205 Car, on ne peut pas parler d’un partage documentaire coopératif lorsqu’un membre du réseau domine et impose des découpages thématiques servant exclusivement ses intérêts, réduisant ses partenaires à de simples subordonnés.

‘“ Ce n’est pas un réseau, c’est de la sous-traitance. Cette logique de sous-traitance est héritée de l’ancienne BN qui manquait de traditions de coopération. ” [PCDS1b]’

Cependant, lorsqu’on examine la démarche suivie par la BnF lors du lancement du réseau, on remarque qu’elle ne sert pas forcément l’objectif d’un meilleur équilibre de ses propres collections. Lors de la création du réseau, la BnF a lancé un appel à candidatures en direction de toutes les bibliothèques de France sans préférences thématiques. Voulait-elle par cette méthode ratisser large pour ne manquer aucune opportunité puis se donner la liberté de choisir ce qui correspond au mieux à ses lacunes documentaires ? Ou bien peut-on y voir un signe que la BnF ne dispose pas d'une évaluation pertinente de ses propres collections, laquelle évaluation lui aurait permis de cibler des thématiques précises et solliciter les bibliothèques disposant d’une excellence documentaire dans ces thématiques.

Les collections de la BnF, héritière de l'ancienne BN, sont très orientées sciences humaines et sociales (SHS). En revanche, elles souffrent de lacunes dans les sciences exactes et appliquées. Logiquement, la BnF a intérêt à privilégier des partenariats dans les secteurs des sciences et techniques. Paradoxalement, la répartition thématique des pôles créés pendant les deux premières années du réseau montre que les secteurs documentaires souffrant d’un retard ne sont pas favorisés par rapport aux secteurs performants. Les tableaux ci-dessous font état de 18 thèmes pour les sciences exactes et appliquées contre 17 thèmes pour les SHS et la littérature. Plus paradoxal, la BnF a subventionné plus de thèmes relevant des SHS et de la littérature que de thèmes en sciences exactes et appliquées, 206 pour lesquels huit thèmes sur 18 font l'objet d'un partage selon la formule des pôles label non subventionnés ; alors qu'un seul sur les 17 thèmes des SHS et Littérature est non subventionné. (Voir tableaux ci-dessous)

Tableau 6 : 18 thèmes de partage en sciences et techniques
Thème de partage documentaire Pôle associé Type d’association
Physique SCDU Grenoble 1 Subventionné
Chimie – pharmacie SCD Lyon 1 Subventionné
Pharmacie BIU Pharmacie Subventionné
Médecine BIU Médecine Subventionné
Océanographie PA Brest Subventionné
Géologie Ecoles des Mines Subventionné
Technologie BIU Technologie Subventionné
Zoologie – Ecologie Muséum National d’Histoire Naturelle Subventionné
Cartes de l’Amérique latine : (géologie) IHEAL Subventionné
Sûreté industrielle PA Nancy Subventionné
Histoire des sciences & Muséologie scientifique Médiathèque de la Villette Label
Sciences et techniques nucléaires Commissariat de l’Energie Atomique Label
Chaîne pétrolière & gaz IFP Label
Informatique & Automatique INRIA Label
Transports et leur sécurité INRETS Label
Biologie & Microbiologie Institut Pasteur Label
Aménagement urbain & Urbanisme Centre de la Documentation pour l’Urbanisme Label
Biologie végétale INRA Label
Tableau 7 : 12 thèmes de partage en sciences humaines et sociales
Thème de partage documentaire Pôle associé Type d’association
1. Science politique Fondation nationale des sciences politiques Subventionné
2. Histoire du livre BM Lyon Subventionné
3. Science de l’information ENSSIB Subventionné
4. Sciences religieuses BNU Strasbourg Subventionné
5. Histoire médiévale PA Poitiers Subventionné
6. Echanges dans le monde méditerranéen PA Aix-Marseille Subventionné
7. Sciences juridiques Bibliothèque Cujas Subventionné
8. Sciences de l’éducation Institut National de Recherche Pédagogique Subventionné
9. Ethnologie & Préhistoire Musée de l’Homme Subventionné
10. Economie et gestion SCD Paris IX-Dauphine Subventionné
11. Sciences sociales de l'Amérique latine IHEAL Subventionné
12. Démographie & Statistiques Institut National des Etudes Démographiques Label
Tableau 8 : 5 thèmes de partage en littérature
Thème de partage documentaire Pôle associé Type de l’association
1. Langues rares d’Extrême-Orient BIU Langues Orientales Subventionné
2. Aire culturelle germanique BNU Strasbourg Subventionné
3. Littératures et civilisations ibéro-américaines SCD Bordeaux 3 Subventionné
4. Littératures et civilisations ibériques SCD Toulouse 2 Subventionné
5. Théâtre francophone des pays étrangers PA Limoges Subventionné

Par ailleurs, le partage documentaire dépasse le simple partage des acquisitions qui, à force d’être mis en avant, a fini par faire l’effet de l’arbre qui cache la foret d’une coopération plus vaste. En se répartissant les thèmes d'acquisition ou les types de supports à acquérir, les bibliothèques partenaires rationalisent leurs dépenses en évitant les recouvrements, élargissent leur offre documentaire et créent des complémentarités, voire des interdépendances, entre leurs collections. Considéré sous cet angle, le partage documentaire ne peut avoir de sens et d’utilité que s’il est assorti d’une politique de communication à distance (Prêt entre bibliothèques, duplication, numérisation, etc.), d’une politique de conservation et de gestion partagées des collections (élimination, dons, échanges, rotations des fonds, etc.) et des savoir-faire en ce domaine.

Le partage documentaire dans le cadre de ce réseau est formalisé par la signature d'une convention cadre entre la BnF et le pôle associé. Cette convention définit la thématique du partage et en précise les conditions. Même si tous les pôles affirment que les thèmes de partage documentaire ont été définis en concertation avec la BnF ; beaucoup d’entre eux ont exprimé le sentiment d’avoir la main forcée par rapport aux découpages thématiques. Cependant, la nature et le ton des négociations n’étaient pas toujours les mêmes. Dans certains cas, la BnF s'est montrée intransigeante en n'acceptant que les thèmes qu'elle cherchait à couvrir.

‘“ Avec ses exigences, la BnF risque de déséquilibrer les collections de la bibliothèque. ” [PUDS1] ’

La convention cadre peut être assortie d'une convention financière selon laquelle la BnF alloue une subvention financière au pôle associé qui doit y apporter autant d'argent selon le principe de la parité budgétaire et constituer ainsi un budget réservé aux acquisitions du pôle dans le cadre de la thématique du partage.

Le pôle se charge d'assurer les acquisitions à titre onéreux en langues étrangères (avec une préférence pour l’anglais dans le cas des pôles scientifiques), et ce pour éviter les doublons avec la BnF qui couvre la production française au moyen du dépôt légal. Les documents acquis par le pôle doivent respecter le niveau recherche. Ces deux conditions ont induit une faible participation des bibliothèques municipales et ont favorisé des partenariats majoritairement tournés vers les bibliothèques universitaires et les établissements documentaires spécialisés.

On précise souvent le type des documents concernés par le partage. Il s'agit majoritairement de livres ou de têtes de collections de périodiques ; mais on trouve également des périodiques et des acquisitions de microformes ou de cédéroms.

Le partage documentaire consiste à préférer l'exhaustivité (plus de titres acquis) à la disponibilité (plus d'exemplaires). La mise en place d’une politique de communication à distance est donc la condition sine qua none pour que le partage des acquisitions atteigne ses objectifs. A côté de la solution classique du prêt entre bibliothèques, l'accès à distance via les réseaux aux textes intégraux ne cesse de s'affirmer comme une solution moins coûteuse et plus rapide. Mais on n'a pas encore réussi à surmonter tous les problèmes juridiques, économiques et technologiques que soulève l'accès à distance.

‘“ Au moment du renouvellement de la convention à la fin de 1996, j’ai plaidé pour le remplacement de la technologie de microfichage par la numérisation. Mais les services de la BnF étaient réticents par rapport à la pérennité du support électronique. ” [PUDS9]’

Toute la question est de savoir jusqu’où peut-on aller dans cette politique de partage documentaire sans compromettre la qualité du service rendu à ses usagers directs, ni générer des surcoûts que ne sauraient justifier ou résorber les avantages escomptés ?

Il ressort de l’enquête menée auprès des établissements concernés qu’en fonction de leurs statuts, de leurs missions et surtout de leurs budgets propres, le partage documentaire n’a pour eux ni les mêmes incidences, ni les mêmes contraintes.

Les bibliothèques universitaires sous leurs différents statuts (BU, BIU, SCD, CADIST, etc.) ainsi que les Bibliothèques de Grands Établissements sont des bibliothèques spécialisées et de recherche. Elles ont un public de chercheurs qui a des pratiques, des comportements et des exigences particulières (proximité et rapidité du service, exhaustivité et pertinence des collections, actualité scientifique, importance des revues scientifiques, etc.) Une Bibliothèque spécialisée peut être pôle associé pour la totalité de ses collections. Les BM, quant à elles, ont des missions d’information, de culture générale, de loisirs et d'animation. A l’image de leurs publics variés, elles offrent un service diversifié et détiennent des fonds encyclopédiques. Elles ne peuvent, de ce fait, pratiquer un partage documentaire pour la totalité de leurs fonds. Le niveau recherche exigé pour les documents du partage documentaire ne peut être vécu comme une contrainte majeure, car le pôle associé n’est qu’un aspect de l’activité de la BM qui ne doit pas oublier ses missions originelles.

Notes
204.
205.

- NACHBAR (Philippe) ; RICHERT (Philippe), Op. Cit.

206.

- On raisonne ici sur les thèmes de partage et non pas sur des établissements. Certains établissements peuvent couvrir plus d'un seul thème comme c'est le cas de l'IHEAL et la BNUStrabourg.