3.3. Critères de choix des pôles et maillage du réseau

Nous nous intéresserons ici aux critères de choix et à la composition des pôles ainsi qu’à leurs positions par rapport à un éventuel élargissement du pôle à d’autres établissements.

3.3.1. Les logiques de la BnF

Si on reprend la définition du pôle associé proposée par le groupe de travail de la BnF en 1991, 219 il en ressort deux critères essentiels de définition du pôle :

  • La cohérence géographique de l’ensemble documentaire constituant le pôle. Cet ensemble documentaire peut être constitué d’un ou de plusieurs établissements désireux de se réunir au sein d’un même pôle. La cohérence géographique reste une notion floue. Signifie-t-elle l’unité géographique au niveau d'une même ville ? d'une même région ? etc. ? Et évolue-t-elle en fonction des facilités de communication et d'échange (existence d'une coopération entre les intéressés type catalogue collectif, d’un réseau local, de moyens de transport (exemple navette quotidienne) entre les établissements désireux de se regrouper dans un pôle composite ?)
  • Une spécialisation forte (un domaine d’excellence) qui , même si elle est souvent orientée vers les collections, peut concerner d'autres aspects de l'activité comme la bibliographie, ou les NTIC (numérisation, etc.)

L'idéal est, certes, de réunir les deux critères de cohérence géographique et de cohérence thématique. Autrement dit, c'est de trouver plusieurs établissements implantés sur un site géographiquement intégré et développant une spécialisation commune ou des spécialisations complémentaires. Mais il est rare de trouver plusieurs établissements documentaires développant la même spécialisation sur une même ville ou région. Les organismes documentaires et leurs tutelles cherchent souvent à se différencier les uns des autres pour ne pas se doublonner. On ne peut donc avoir l’un de ces deux critères sans sacrifier l’autre. Pour avoir la cohérence thématique par exemple, il faut élargir le champ géographique.

L'examen attentif des cartographies géographique et institutionnelle du réseau révèle que la BnF a choisi d’accorder la priorité à la cohérence géographique.

La principale conséquence est le nombre élevé de pôles unitaires (composés d'un seul établissement documentaire). L'inconvénient de ce choix est qu'il écarte de facto d'autres établissements du pôle, à cause de leur éloignement géographique de l'établissement qui compose le pôle associé.

Une deuxième conséquence de ce choix est le montage de pôles regroupant plusieurs établissements géographiquement cohérents mais qui n'ont pas suffisamment de cohérence thématique, documentaire et institutionnelle. Les pôles de ce type se trouvent en proie à des rivalités et des tiraillements qui paralysent leur fonctionnement et provoquent des retraits (PCDS6), des exclusions (PCDS2), des scissions (PUDS5 et PUDS7 étaient à l'origine deux partenaires dans un seul pôle composite) et dans des cas extrêmes des suspensions ou des dissolutions (PCDS5). Il n’y a que Paris et Lyon qui regroupent plus d’un seul pôle associé. La BnF semble convaincue que la richesse et la diversité documentaire dans ces deux villes est telle que la proximité des établissements existants dans chaque ville (la cohérence géographique) ne justifie pas, à elle seule, la création d’un méga-pôle composé de plusieurs membres. On a donc préféré créer plus d'un seul pôle au sein de ces deux villes.

Cependant, la BnF semble avoir privilégié la cohérence thématique faisant fi des obstacles géographiques dans deux cas, en l'occurrence les pôles composites PCDS1 et PCDS7. Mais on se demande pourquoi la BnF s'est-elle contentée de ces deux cas, alors que, si elle tient à constituer des collections nationales thématiques concertées aussi complètes que possible, elle n'aurait d'autre choix que de privilégier le critère thématique quitte à sacrifier la cohérence géographique ? Ces deux cas, seraient-ils les seuls à présenter des signes de réussite d'un partage documentaire à distance ? Si oui, quels sont ces signes ? Peut-on expliquer cela par le manque de moyens technologiques (encore faut-il que ce manque soit prouvé) ? La BnF voulait-elle tester les chances de réussite d'un pôle composite thématiquement cohérent mais géographiquement éclaté, à travers ces deux exemples ? Que craint-elle alors ? Un manque de coordination ? Des blocages d'ordre humain (déficit de collaboration, conflits de pouvoir, manque de contacts directs du à l'éloignement géographique) ?

Quoi qu'il en soit, l'expérience de chacun de ces deux pôles montre qu'il a fonctionné sans aucune coordination interne et que chaque membre du pôle composite se comportait comme si il était un pôle unitaire. La BnF elle-même semble avoir encouragé cet état d'esprit. D’abord, en répartissant elle-même la subvention entre les membres de chaque pôle au moment de la signature de la convention financière. Ensuite, en répartissant les domaines d’acquisition entre les membres du pôle dès le départ dans le texte de la convention cadre. Enfin, en convoquant à la réunion annuelle d'évaluation, chaque établissement à part, montrant par là qu'elle reconnaît à chaque membre du pôle un correspondant indépendant. Tout cela a créé chez chaque membre du pôle (dans les deux cas) le sentiment de ne rien avoir avec son partenaire au sein du pôle.

Dans son œuvre de construction de ce réseau national dont la vocation principale est le partage documentaire, la BnF semble tiraillée entre deux logiques difficiles à concilier.

D’un côté, le critère géographique qui s’inspire d’une logique d’aménagement du territoire. Cette logique a pour objectif d'équilibrer la carte documentaire de France pour que la BnF soit vraiment la Bibliothèque de tous les français comme le préconisait son instigateur François Mitterrand. Cette logique est très imprégnée par le point de vue politique. D’où, le souci des responsables de la BnF de satisfaire le maximum d’élus régionaux, locaux, et établissements documentaires de province.

De l’autre côté, il y a le critère thématique qui se fonde sur une logique purement documentaire indépendamment de toute considération politique. Cette dernière logique n’a de souci que d’assurer une meilleure couverture documentaire. C'est d'ailleurs cette deuxième logique, basée sur le critère thématique, qui prédomine chez les pôles associés. Que l'on soit favorable ou hostile à l'élargissement des pôles, la cohérence géographique n'est pas un critère de jugement chez les pôles.

Notes
219.

- " Ensemble documentaire organisé autour d'un site géographique cohérent, doté de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, s'efforçant de développer une spécialisation en renforçant ses collections en harmonie avec celles de la Bibliothèque de France. "