PremiÈre Partie : État des lieux

Chapitre I : Une Europe conquérante et dominatrice

Si l’histoire des rapports entre l’Occident et l’Orient est pluriséculaire, son évolution connaît un nouveau tournant au XIXème siècle avec l’expansion européenne. Les fondements de sa domination sur le monde sont connus et ont fait l’objet de nombreuses interprétations. Nous mentionnons pour mémoire des corrélations complexes qui ont été établies entre expansion démographique, révolution des transports, supériorité technique, financière et économique... et impérialisme européen. Au-delà des facteurs matériels, un esprit conquérant et une nouvelle mentalité caractérisent cette soif d’horizons nouveaux et s’expriment très tôt dans les justifications. Le dernier tiers du XIXème siècle est marqué par les poussées de fièvres nationalistes dans la plupart des pays européens. À cela se juxtaposent les différentes consciences nationales sur leur mission civilisatrice. Au mare nostrum des Italiens s’oppose la nostalgie du siècle d’or des Espagnols ou encore l’idéal hérité de la Révolution Française. La plupart des nations européennes se pensent dépositaires d’une mission civilisatrice bien déterminée. Malgré des rivalités internes, le compromis se fait autour de l’idée plus générale de la mission de « l’homme blanc ». Pour seconder cet élan, des groupes de pression 3 qui, pour des raisons diverses, ont œuvré pour la diffusion de l’Europe dans la monde, se constituent et peu à peu se cristallisent autour du « parti colonial ». Ces groupes sont hétérogènes et n’entretiennent pas forcément des relations entre eux : les actions ne sont ni planifiées, ni coordonnées. Il n’est donc pas rare que les perspectives des uns et des autres soient en opposition ou en concurrence. Mais le statut d’une communauté de destin réapparaît au contact de l’Autre. Les conditions sont réunies dans le dernier quart du XIXème siècle pour promouvoir l’expansion coloniale qui nourrit l’européocentrisme. Forte de sa technique, convaincue de sa supériorité morale et culturelle, l’Europe tend à diffuser son modèle de civilisation 4 .

Ainsi, les lendemains de la première guerre mondiale voient l’Europe investir l’espace arabo-musulman. Sur les ruines de l’Empire ottoman, les protectorats sont officiellement institués.

À cette nouvelle donne géopolitique peut-on superposer une carte de l’implantation missionnaire ? En effet, parmi les groupes de pression favorables à l’expansion outre-mer, les missionnaires ont constitué un des éléments les plus actifs. Cependant, la tradition missionnaire du christianisme n’est pas née au XIXème siècle. la question des relations entre mission et colonisation est complexe et reste marquée par des polémiques. N’étudiant pas directement ce thème, nous nous contenterons au cours de notre développement d’apporter les éléments de compréhension, dans le cadre précis de notre recherche, sur les rapports entre mission et colonisation. S’il existe une évolution dans les rapports entre missionnaires et État colonial, elle ne concerne pas tous les missionnaires au même moment.

tout au long de notre travail deux écueils sont à éviter : l’anachronisme et le procès d’intention. À une époque où le mythe de la supériorité de l’homme blanc est l’objet d’un quasi-consensus, où l’État colonial est censé apporter la civilisation et où la présence européenne est numériquement faible, l’alliance avec l’Église paraît une solution plus que raisonnable pour les deux parties. Les missionnaires ne sont généralement que des hommes de leur temps. Il nous importe de comprendre le déroulement des faits et non pas de dresser un acte d’accusation.

Notes
3.

Ils sont aujourd’hui bien identifiés et ont fait l’objet de travaux historiques. Ainsi, les sociétés de géographie ont contribué à familiariser l’opinion avec les questions coloniales. Elles sont relayées dans le dernier quart du XIXème siècle par les associations coloniales. Le rôle des sociétés missionnaires est développé plus bas.

4.

Il ne nous appartient pas de développer plus longuement la question de la colonisation qui constitue toujours un enjeu idéologique.