1. Une vieille histoire

La rencontre entre les mondes arabo-musulmans et l’Europe remonte au VIIIème siècle. Deux espaces sont alors concernés par ces contacts jusqu’à la fin du XIVème siècle : la péninsule ibérique et la Terre Sainte. C’est autour de ces deux entités géographiques que les concepts de ih…d et de guerre sainte se développent. Dès le VIIIème siècle la conquête de l’Espagne wisigothique est faite et c’est en 756 que l’émirat ‘umayyade de Cordoue est fondé. entre 1030 et 1260 5 la Reconquista libère la péninsule de la présence musulmane à l’exception de Grenade qui est prise en 1492.

Si cette partie de l’Occident est délivrée, depuis 1393 les Turcs sont présents en Bulgarie et en Valachie. Constantinople succombe en 1453, tandis que les armées ottomanes menacent Vienne en 1683. Tel un système de vases communicants les influences s’équilibrent.

Le premier élan de la Reconquista a aussi un versant religieux, tout comme l’expansion musulmane des VIIème et VIIIème siècles. mais, très rapidement, les motivations politiques l’emportent. Les rois de la péninsule, ainsi que les conquérants arabes 6 , ne voient plus dans les conquêtes à réaliser ou déjà réalisées que l’expression de leur puissance militaire. D’ailleurs le rapprochement entre François Ier et Süleym…n le Magnifique ne peut se comprendre que dans cette clé de lecture politique où les motivations religieuses sont secondaires. La réalité des contacts, mêmes belliqueux, est bien plus complexe qu’il n’y paraît et répond à des considérations plus vastes que celles de la stricte opposition entre islam et christianisme. C’est la raison pour laquelle tous ces siècles de « cohabitation » ont permis le développement de nombreux échanges. les auteurs de l’Antiquité grecque sont redécouverts en Occident via les traductions arabes. L’élan intellectuel de l’Occident trouve dans cette redécouverte l’un de ses fondements.

La situation est différente pour la Terre Sainte. En effet, les croisades répondent à une spiritualité de l’Occident chrétien renforcée par des préoccupations politiques. La rencontre se fait cette fois en Orient à partir de 1096 pour s’achever à la mort de Louis IX. les velléités de croisades se maintiennent par la suite sans toutefois répondre à des motivations similaires à celles des premières expéditions. Les croisades sont importantes car elles constituent dans l’imaginaire occidental la première rencontre avec l’Orient. Elles n’ont toutefois pas été perçues par les musulmans dans leur dimension religieuse 7 , ni par certains chrétiens 8 . L’abandon progressif de l’idéal de croisade trouve son aboutissement dans la diplomatie des États Latins d’Orient. Si les échanges culturels existent 9 , ce sont les relations commerciales qui restent prépondérantes une fois les hostilités finies. Les courants commerciaux entre l’Est et l’Ouest de la Méditerranée permettent la circulation des marchandises mais aussi des idées. Dans le même temps, les XIIIème et XIVème siècles voient le lent passage d’une conception fondée sur l’idée de croisade à celle du recours à la persuasion 10 dont Raymond Lulle est l’une des expressions les plus accomplies 11 . L’idéal de croisade ne faisait pas de la conversion des musulmans un but en soi. Au contraire, après l’échec des croisades la volonté de mission et de conversion est devenue centrale pour un certain nombre de religieux 12 .

À l’époque moderne, si les contacts directs se font plus rares, la curiosité intellectuelle des uns pour les autres ne tarit pas. La « découverte » de l’Orient par l’Europe a fait l’objet de nombreux travaux 13 . l’ouvrage de B. Lewis 14 nous invite à une perspective inversée et longtemps ignorée. il est devenu courant d’affirmer l’inexistence d’intérêt de la part des musulmans sur l’Europe. De plus, la périodisation généralement admise par les orientalistes fait de la période qui s’étend du milieu du XIIIème siècle à la seconde moitié du XIXème siècle, une période de décadence précédée par l’apogée de la civilisation arabo-musulmane et suivie par la Nahµa. Ce découpage chronologique est contesté par certains intellectuels musulmans 15 qui lui reprochent son européocentrisme. Ils dénoncent le recours à des concepts et à des critères européens empreints de matérialisme au détriment de valeurs plus morales auxquelles l’islam se réfère. D’autre part, ces intellectuels insistent sur la grande diversité géographique de l’implantation musulmane et récusent donc toute périodisation globalisante. C’est surtout cette différence dans les critères retenus qui serait à l’origine de l’analyse dépréciative faite de la civilisation musulmane à partir du milieu du XIIIème siècle. Le professeur A. Merad propose, lui, une périodisation fondée sur les références intrinsèques de l’islam 16 .

Toutefois, cette périodisation, pas plus que celle des orientalistes ne permet de répondre à la question fondamentale : pourquoi cet arrêt de l’innovation intellectuelle (qu’elle soit datée du milieu du XIIIème ou de la fin du XVème siècle) ? Le problème ne doit plus porter sur la chronologie mais sur l’explication d’un constat : à un moment donné la production intellectuelle dans le monde musulman se ralentit alors que les frontières de l’esprit s’élargissent en Europe et conduisent à la suprématie technologique européenne du XIXème siècle, qui se double d’une supériorité militaire et politique jusqu’à la seconde guerre mondiale. Les thèmes de déclin et de décadence sont néanmoins à relativiser et surtout à préciser car ils sont finalement la vision des vainqueurs. Quant à explication par la religion du déclin, elle nous semble évidemment insuffisante. Il nous faut toutefois constater le passage de la suprématie à l’Europe en ce qui concerne les domaines culturel, politique et militaire. L’hégémonie dans ces secteurs de l’activité humaine ne peut qu’engendrer la domination d’une civilisation et par conséquent la diffusion du modèle conquérant en attendant que le flambeau soit repris par d’autres...

Pour revenir à l’approche de B. Lewis, la démonstration est faite de l’existence d’une curiosité de l’Orient pour l’Occident. Elle n’a pas été guidée par les mêmes préoccupations que celle des Occidentaux pour l’Orient mais elle a le mérite d’exister. Cette curiosité n’était motivée par aucune arrière-pensée à caractère expansionniste ni chez les uns ni chez les autres car elle n’était que le fait de penseurs avides de connaissances.

un statu quo semble se dessiner, en apparence, du XVIème siècle à la fin du XVIIIème siècle 17 et, quand l’expédition de Bonaparte aborde en 1798 la terre d’Égypte, pour la première fois depuis des siècles le d…r al-isl…m est atteint 18 .

Cette première incursion européenne est suivie en 1830 par la prise d’Alger qui marque le début de la colonisation française de l’Algérie. Si cette installation marque le début de la présence visible de l’Europe, les Européens sont, durant tout le XIXème, établis en terre d’islam. Certaines zones leurs sont inaccessibles comme la péninsule arabique mais leur influence est grandissante dans tout l’Empire ottoman 19 . Dans les relations entre l’Europe et l’Orient musulman, le XIXème siècle est caractérisé par un triple mouvement. nous assistons à l’entrée des Européens dans le d…r al-isl…m et au reflux de la présence musulmane en Europe qui jalonne tout le siècle pour s’achever à la veille de la première guerre mondiale. Le démantèlement des territoires du Proche-Orient sous souveraineté de la Sublime Porte s’accélère et aboutit à la fin du conflit de 1914-1918 à la création des zones d’influences française et britannique.

Il nous faut préciser que cette main-mise sur le monde arabo-musulman participe de l’expansion coloniale générale de l’Europe et ne constitue pas toujours une fin en soi. les objectifs des Anglais sont conditionnés par la protection de la route des Indes et l’accès au pétrole, ce qui explique aussi leur mode de gestion coloniale. Pour des pays comme l’Italie où la pression démographique est un argument central ou encore l’Allemagne gagnée par la frénésie coloniale alors qu’une grande partie du monde a déjà été accaparée par la France et le Royaume-Uni, les perspectives proprement coloniales tiennent une place plus importante. Dans le même temps il convient de souligner que les impérialismes français et britannique ne répondent pas à des logiques identiques 20 , d’où les inévitables tensions. Cependant les colonies n’ont jamais constitué un élément sérieux de guerre entre les puissances 21 . En revanche, elles servent de monnaie d’échange dans le règlement de la diplomatie européenne.

Nous nous proposons de rappeler brièvement les grandes lignes de cette triple évolution des rapports entre l’Europe et le monde arabo-musulman du début du XIXème siècle à la veille de la première déflagration mondiale.

L’expansion coloniale en direction des terres d’islam commence par une aventure militaire en terre d’islam, la prise d’Alger. La politique de la monarchie de Juillet n’est pas très nette quant à la gestion de ce nouveau territoire qui n’est pas encore soumis. Avec Napoléon III, l’idée du Royaume Arabe marque une nouvelle orientation notamment dans la répartition entre les pouvoirs civils et militaires ainsi que dans la nature des rapports que l’on entend entretenir avec les autochtones. Le respect de l’identité indigène semble plus manifeste et ne peut se comprendre que par la personnalité de l’empereur. Cette politique est abandonnée par la IIIème République qui doit toujours faire face aux rébellions et qui s’engage dans la voie coloniale en faisant de l’Algérie un ensemble de départements français dont les autochtones sont relégués dans l’univers du statut de l’indigénat. Celui-ci les prive de leur terre et de la gestion de leurs biens religieux. L’immigration européenne se développe et finit par devenir, suite à la loi de 1889 instituant le droit du sol, française 22 .

Il en va autrement pour la Tunisie et le Maroc dont la mise sous tutelle trouve un prétexte dans des mécanismes financiers et sa cause dans la géopolitique méditerranéenne. Les conditions de la présence française en Tunisie diffèrent quelque peu de celles qui ont entraîné la mise en place du protectorat sur le Maroc car les histoires nationales sont différentes et le contexte international a évolué.

Le Bey de Tunis, dans le but d’effectuer des travaux de modernisation 23 , a contracté des dettes à l’étranger auprès de certains pays européens. Le règlement de ces dettes entraîne une crise financière où les rivalités franco-italiennes sont « résolues » par une intervention française et la mise en place par les traités du Bardo (perte de la souveraineté externe) et de la Marsa (perte de la souveraineté interne) de 1881-1883 du protectorat français. La politique d’expansion de la France au Maチrib répond, officiellement, à la volonté de protéger son territoire algérien des incursions de pillards dans les confins du sud. il faut surtout avoir présent à l’esprit que l’immigration des Français de métropole n’a jamais été importante et que l’essentiel de la présence européenne était composée d’Espagnols en Oranie et d’Italiens dans l’Est de l’Algérie. Or ces Italiens sont majoritaires en Tunisie, d’où les prétentions du Royaume d’Italie sur ce pays. Ces éléments entraînent la France au coup de force qu’elle double, rappelons-le, de la loi sur le droit du sol en 1889 24 .

Cependant le contentieux né de cette main mise française sur la Tunisie n’est réglé qu’au début du siècle. entre 1900 et 1902 des accords entre les deux protagonistes sont conclus dont les monnaies d’échange sont la Tripolitaine et le Maroc 25 . Cet accord permet l’intervention militaire italienne de 1911 qui s’inscrit dans l’ensemble plus vaste des questions méditerranéennes incluant le Maroc et les Balkans.

Les motifs de la colonisation italienne rejoignent l’argumentation classique mais s’expliquent dans le même temps par une situation économique et démographique de la péninsule unique en Europe. L’appareil économique italien est jeune et ses coûts de production sont plus élevés que dans les autres pays industrialisés d’Europe d’où l’acuité particulière de la quête de colonies. De plus, l’explosion démographique que connaît l’Italie du XIXème siècle conduit à une émigration massive que l’État italien souhaiterait canaliser vers des zones coloniales sous son contrôle. L’échec de la tentative éthiopienne 26 renforce le sentiment d’amertume et blesse l’orgueil national italien. C’est pourquoi l’expédition de Tripolitaine est capitale et débouche le 18 octobre 1912 sur un traité selon lequel les Turcs cèdent leur souveraineté sur la Tripolitaine et la Cyrénaïque aux Italiens 27 .Toutefois la conquête de ce qui a désormais pour nom la Libye (en souvenir de l’ancienne province romaine), ne prend fin que sous Mussolini.

L’année 1912 voit le traité de protectorat de la France sur le Maroc entériné de manière officielle, après bien des épisodes diplomatiques. Les prétentions françaises sur le Maroc se sont confirmées dès la signature des traités du Bardo et de la Marsa : la stratégie de contrôle du Maチrib ne pouvait exclure le Maroc. Jusqu’en 1900, l’influence économique de la France se développe mais ne présente pas de caractère dominant. Suite au règlement de la question de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine, d’un accord avec l’Espagne et surtout à l’Entente cordiale avec le Royaume-Uni, la France peut plus aisément exprimer ses prétentions. Or elle n’a pas consulté l’Allemagne. Cette « omission » trouve son explication dans la stratégie diplomatique française qui vise à isoler l’Empire allemand sur le continent. Mais en 1905 Guillaume II ébranle le système en concluant avec le tsar Nicolas II un projet d’alliance défensive. Les négociations avec l’Allemagne deviennent alors incontournables et donnent lieu en 1906 aux accords d’Algésiras. Cela n’empêche nullement la France de continuer sa pénétration « pacifique » du Maroc qui conduit à un blocage de la collaboration économique franco-allemande. La deuxième crise marocaine est cette fois sur le point d’entraîner un conflit européen 28 . C’est en grande partie le soutien inconditionnel du Royaume-Uni à la France qui contraint l’Allemagne à retrouver la table des négociations. Ces dernières débouchent sur une reconnaissance tacite du protectorat français sur le Maroc en échange d’une partie du Congo français. C’est le traité de Fès signé en avril 1912 qui marque le couronnement de l’hégémonie française sur le Maチrib.

À la veille de la première guerre mondiale, la domination politique de l’Europe sur la rive Sud de la Méditerranée est complète. Les anciennes provinces ottomanes sont toutes sous contrôle des puissances. Dans le même temps, le traité de Bucarest marque la fin de la présence turque en Europe 29 . Ce processus, commencé au début du XIXème siècle, a répondu à plusieurs logiques. En premier lieu, le XIXème est le siècle des nationalités et des aspirations à constituer un État-nation. Face à ces mouvements les Empires tentent de réagir en instituant un nouveau type de liens avec leurs sujets tout en pratiquant la coercition. Cette première logique, révolution-répression-réorganisation, est doublée par la logique de la diplomatie européenne. les nationalités sont un des supports de la géopolitique européenne du XIXème siècle. Des protagonistes externes interviennent à différents degrés, leurs motivations répondent pour certains à des convictions réelles 30 et pour d’autres aux règles de la r ealpolitik. L’« Homme malade » de l’Europe voit, au nom du respect des nationalités, ses territoires réduits à une peau de chagrin. Son ennemi irréductible, la Russie, cherche un accès à une mer chaude et pratique une politique coloniale en Eurasie. l’idéologie panslaviste et les prétentions à faire de Moscou la troisième Rome, sont parties intégrantes des motivations de la politique russe. Dans le même temps, les nationalités sous la domination ottomane prennent peu à peu conscience de leur identité et deviennent perméables aux courants révolutionnaires venus d’Europe occidentale 31 .

En 1914, la domination politique de l’Empire ottoman se réduit à l’espace anatolien et aux provinces arabes. Il choisit alors de participer au conflit européen aux côtés des empires centraux. Les traités de paix marquent le reflux définitif de ce qui fut un Empire. Mustafa Kémal réussit in extremis à sauver le berceau de l’ancien empire. Ces traités 32 marquent l’aboutissement d’un siècle d’impérialisme français et britannique et de rivalités entre les puissances.

L’origine de la présence européenne dans ces terres du Proche-Orient est à rechercher dans les capitulations. Jusqu’au début du XIXème siècle, les capitulations, loin de traduire la faiblesse de l’Empire ottoman, étaient un signe de sa puissance car il revenait au sultan de les octroyer 33 . Mais au XIXème, l’Empire ottoman contesté de l’intérieur et convoité par l’Europe n’est plus en mesure de contrôler ce système qui finit par le gangrener. Une part croissante des populations non-musulmanes devient « sujette » des puissances occidentales. Ce statut les met hors d’atteinte des juridictions ottomanes et leur assure une place d’intermédiaires entre les puissances et l’Empire ottoman. Leur rôle s’accroît car leur instruction est assurée par des missionnaires catholiques rejoints à partir des années 1820 par des missionnaires protestants. Pour les Européens, un des modes de pénétration de l’espace ottoman passe donc par le contrôle des populations chrétiennes, d’où la nécessité de se poser en défenseurs d’une communauté chrétienne. La France a le monopole de la protection des catholiques, ce qui contraint les Anglais à se tourner vers d’autres minorités : les Druzes et les Juifs. Dans le même temps la Russie tente de s’imposer aux orthodoxes. Cette ingérence occidentale n’est par toujours appréciée par les Églises orientales 34 . dans ce contexte de rivalités éclate la guerre de Crimée dont le prétexte est religieux mais l’enjeu en est le sort des Balkans. Si l’Empire ottoman réussit, grâce à la France et au Royaume-Uni, à conserver une intégrité territoriale de façade, il est contraint d’émanciper les non-musulmans. Les troubles confessionnels ne disparaissent pas pour autant et sont exploités à des fins politiques par les Français et les Britanniques, notamment lors des massacres de 1860 de Damas. Par communautés interposées, les Maronites pour la France et les Druzes pour le Royaume-Uni, la première tentative de redistribution de l’espace syrien comme province de l’Empire ottoman est tentée. Le projet français favorable à une entité libanaise indépendante se trouve contré par le projet anglais d’une Grande Syrie. Les Ottomans jouant de ces conflits d’intérêts réussissent à limiter les prétentions européennes en créant en 1861 la province autonome du Mont-Liban. Jusqu’à la première guerre mondiale, l’intégrité des possessions arabes des Ottomans est, en apparence, maintenue. Mais la pénétration culturelle, les activités de propagande autour du concept d’arabité, la présence missionnaire, la déliquescence d’un pouvoir ottoman en prise avec des difficultés intérieures, éléments qui conduisent tous à l’éclatement de l’Empire, sont déjà en place à la veille du conflit de 1914 35 .

Le premier acte commence avec la déclaration unilatérale du Royaume-Uni d’imposer son protectorat sur l’Égypte et donc de soustraire de facto cette province, juridiquement ottomane, à la suzeraineté de la Sublime Porte. En fait, cet acte ne fait qu’entériner l’évolution de ce pays depuis le XIXème siècle.

Notes
5.

En 1212, lors de la bataille de las navas de Tolosa le royaume Almohade, présent depuis 1145, est vaincu.

6.

À l’exception pour ces derniers des Almohades portés par un élan de puritanisme face à la décadence dont ils incriminaient les musulmans d’al-Andalus, mais aussi des chevaliers chrétiens profondément pénétrés de l’idéal de croisade.

7.

La spécificité religieuse des Croisades échappe aux musulmans du moyen Âge : « Le terme même, al-ŸurŽb al-±alŸiyya, sous lequel on la désigne dans la littérature arabe moderne, est inconnu des auteurs anciens, qui désignent en général les Croisés sous le simple ethnique de “Francs”, et paraît être apparu en période ottomane dans les milieux chrétiens d’Orient influencés par la culture française » (C. CAHEN, « Les croisades », EI ., t. I, p. 65).

Il en est autrement aux XIXème et XXème siècles où les entreprises missionnaires sont dénoncées comme un nouveau type de croisade.

8.

L’exemple le plus emblématique reste la IVème croisade menée par Venise.

9.

Frédéric II et MuŸammad al-K…mil. De plus, les latins ont pris conscience de leur civilisation au contact des cultures raffinées de l’Orient tant byzantin que musulman.

10.

J. Richard, « Croisade et mission en terre d’Orient. La participation française (XIIème-XVème siècles) », in Le réveil missionnaire en France, Paris, Beauchesne, 1984, p. 25 : « La croisade reste l’impératif majeur dans la conception des relations entre l’Islam et la Chrétienté. Mais, chez Raymond Lulle, chez Catherine de Sienne, qui l’un et l’autre admettent le recours à la croisade et le considèrent comme indispensable, c’est la conversion des musulmans qui apparaît comme le but à atteindre et seules la prédication et la voie de la persuasion sont susceptibles d’atteindre ce résultat. Au XVème siècle Jean de Ségovie leur fait écho en réduisant encore la part de la croisade. »

11.

Y. MOUBARAC, Recherches sur la pensée chrétienne et l’islam dans les temps modernes et à l’époque contemporaine, Beyrouth, Publication de l’Université Libanaise, p. 10sq.

12.

Ibid., p. 10, 21.

13.

Voir notamment N. Daniel, Islam and the West. The making of an image, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1960, où l’auteur analyse la conception qu’avaient de l’islam les intellectuels européens au Moyen Âge.

14.

B. LEWIS, Comment l’Islam a découvert l’Europe, Paris, Gallimard, 1984.

15.

A. MERAD, L’Islam contemporain, Paris, Seuil, 1995 (1ère éd. 1984), p. 12sq.

16.

Ibid., p. 13-18. Pour A. Mérad, au début du XVème siècle la culture islamique est en possession de tous les éléments « pour s’affranchir des cadres de la pensée médiévale. [...] Mais l’Europe, engagée dans l’ère des grandes découvertes, va devancer pour plusieurs siècles le monde musulman dans l’organisation du savoir pour fonder la civilisation des temps modernes. Avec les premiers acquis scientifiques et techniques, la diffusion de l’imprimé et grâce à une dynamique socioculturelle sans égale en terre d’Islam, la Renaissance s’apprête à forger les instruments de la suprématie technologique et économique de l’Occident. » (p. 14).

le basculement intellectuel et culturel est donc daté pour le professeur Mérad du « rendez-vous manqué » de la Renaissance. Toutefois, l’islam demeure une puissance militaire. Mais la civilisation musulmane, faute de dynamisme culturel, ne peut que dépérir malgré les quelques essais de rénovation doctrinale qui ne sont finalement que des « œuvres invariablement attachées aux modèles classiques et presque exclusivement d’inspiration religieuse » (p. 15). C’est pourquoi la fin du XVIIIème siècle apparaît à A. Mérad comme le tournant décisif : c’est la rencontre frontale avec l’Europe conquérante. Il faut attendre la fin du XIXème siècle pour voir surgir le « Réveil islamique » (p. 19-32).

La question de la périodisation se pose aussi en Occident. R. Mantran dans l’avant-propos des Actes du colloque L’Égypte au XIX ème siècle (Groupe de recherches et d’études sur le Proche-Orient, Paris, cnrs, 1982, p. 9), s’interroge : « Il est de tradition, chez les historiens occidentaux de dater le réveil de l’Égypte de l’expédition de Bonaparte et d’imputer les transformations politiques, économiques et intellectuelles de ce pays aux influences exercées dès lors par les Européens. Cette vision est apparemment insuffisante et partiale, car elle néglige un certain nombre de facteurs fondamentaux : l’appartenance de l’Égypte au monde ottoman, le rôle des traditions locales en matière de religion, de pensée, de culture, d’économie et de relations humaines. » C’est aussi ce refus d’une périodisation « classique » qui a motivé le choix de G. DELANOUE, Moralistes et politiques musulmans dans l’Égypte du XIX e siècle (1798-1882), Textes Arabes et Études Islamiques 15/1, Le Caire, ifao, 1982, p. XI-XIV.

17.

Cet équilibre des forces est maintenu à quelques exceptions près, dont celle du siège de Vienne en 1683.

Il nous faut préciser que généralement dans les études portant sur les contacts entre l’Europe et le monde arabo-musulman sont exclus les peuples de l’Europe balkanique sous domination ottomane durant plusieurs siècles. Toutefois nous ne possédons pas d’études sur les relations entretenues aux niveaux culturel et économique, même si des travaux d’histoire politique existent. De plus, la domination communiste de cette zone de l’Europe a imposé une histoire marxiste dont les historiens locaux sortent avec peine. Tout un travail historique reste à faire d’autant plus que, dans l’esprit de ces populations ayant connues la domination ottomane, est ancrée l’idée qu’ils ont été le rempart humain à l’invasion musulmane du reste de l’Europe.

18.

Les travaux sur l’expédition d’Égypte sont très nombreux. Nous ne mentionnons que les derniers travaux ainsi que les quelques références incontournables.

19.

R. Mantran, « Les débuts de la question d’Orient (1774-1839) », in R. Mantran (éd.), Histoire de l’Empire Ottoman, Paris, Fayard, 1989, p. 421-458 ; P. Daumont, « La période des Tanzîmât (1839-1878), inR. Mantran (éd.), op.cit., p. 459-522 ; F. Georgeon, « Le dernier sursaut (1878-1908) », inR. Mantran (éd.), op. cit., p. 523-576.

20.

La progression française en Afrique, par exemple, répond à une logique Est-Ouest, alors que la logique britannique elle, s’inscrit dans une direction Nord-Sud, d’où la rencontre de Fachoda en 1898.

21.

Le Maroc ne constitue pas une exception même si la deuxième crise marocaine a suscité des tensions importantes et a laissé planer le doute sur un éventuel conflit.

22.

Cette loi est précédée par le décret Crémieux qui donne la citoyenneté française aux populations juives d’Algérie.

23.

Le thème de la modernisation des États musulmans, suite à la rencontre avec l’Europe, est analysé dans la deuxième partie de ce chapitre I.

24.

Cette loi ne fut pas appliquée en Tunisie aux Italiens.

25.

H. d’ALMEDA-TOPOR, L’Afrique au XX ème siècle, Paris, A. Colin, 1993, p. 20.

26.

Défaite face aux troupes du Négus à Adoua en 1896.

27.

Au printemps 1912 l’Italie s’était emparée de Rhodes et des îles du Dodécanèse.

28.

J.C. Allain, Agadir 1911, Paris, Sorbonne, 1976.

29.

La Crête est remise à la Grèce tandis que l’Albanie devient pleinement indépendante.

30.

Cf. les idées de Napoléon III sur les nationalités où l’altruisme côtoie bien souvent le rêve de grandeur napoléonien.

31.

Il serait difficile de retracer l’histoire de ces pays en quelques lignes, nous renvoyons donc aux ouvrages de synthèse dont celui de G. CASTELLAN, Histoire des Balkans XIV ème -XX ème siècles, Paris, Fayard, 1991, p. 238-397. Le mouvement commencé en 1804 en Serbie, s’achève par le traité de Bucarest de 1913.

32.

Le parlement turc refuse de ratifier le Traité de Sèvres (1920) et signe le traité de Lausanne de 1923.

33.

« Imtiy…z…t », ei III, p. 1207-1225.

34.

Les coptes « orthodoxes » sont hostiles aux missionnaires catholiques ; cf. D. EL-KhAWAGA, Le renouveau copte, Paris, thèse n.p., 1993, p. 60sq. Le patriarche Boutros al-Gawly (Botros VII 1810-1852), « fait de la lutte anti-missionnaire une priorité absolue » (p. 64).

35.

Les différents traités entérinent le démembrement de l’empire ottoman. Pour une approche synthétique de l’évolution politique de la région dans l’entre-deux-guerres se reporter à V. Cloarec, H. Laurens, Le m oyen Orient au XX ème siècle, Paris, A. Colin, 2000, p. 41-93.