2. La spécificité égyptienne

A. De Napoléon Bonaparte au protectorat de 1914

a. Napoléon Bonaparte en Égypte

Il est courant de faire commencer l’histoire politique de l’Égypte contemporaine par l’expédition de Bonaparte 36 .

Les origines de l’expédition d’Égypte sont à rechercher en grande partie dans l’histoire de la Révolution française 37 . En 1796, le Directoire estime qu’il faut abattre la Grande-bretagne pour obtenir la paix et consolider les acquis des victoires françaises. Trois possibilités s’offrent alors : un débarquement militaire sur les îles britanniques 38 , le blocus économique ou l’attaque de la route de Indes. Pour cette dernière option la conquête de l’Égypte s’impose. Or la suprématie navale de la Grande-Bretagne en Méditerranée pose un obstacle de taille. De plus, l’alliance traditionnelle de la France avec l’Empire ottoman serait compromise 39 . Le Directoire est donc dans un premier temps hostile à une opération sur l’Égypte car le côté aléatoire en est très important. La France devrait se séparer de son meilleur général et de sa meilleure armée alors que la guerre menace de reprendre sur le continent. D’autre part, Nelson patrouille en Méditerranée et peut intercepter la flotte française. En mars 1798 un accord est trouvé 40 sur une expédition militaire doublée d’une expédition scientifique 41 .

À la fin du XVIIIème siècle, l’Égypte est composée de la masse des fellahs (4 millions d’individus) et de deux classes dirigeantes, la classe des docteurs 42 et celle des militaires, les Mamelouks 43 . À la veille du débarquement français deux beys se partagent le pouvoir, Ibr…h€m Bey, chargé de l’administration interne, et Mur…d Bey, chef militaire. Les rivalités entre les deux hommes sont importantes mais ils s’unissent face à l’agresseur étranger. Cependant ils ne peuvent empêcher, le 2 juillet, la prise d’Alexandrie. Bonaparte se présente aux Égyptiens en libérateur de la tyrannie mamelouke et aux ottomans comme le restaurateur de leur puissance face aux usurpateurs. Le 24 juillet, le général français fait son entrée au Caire où il constitue un d€w…n composé de šay¢-s 44 . Le premier août, Nelson détruit la flotte française. l’armée d’Égypte est alors totalement coupée de la France et sa base arrière de Malte ne lui est d’aucune utilité. Bonaparte organise la vie dans cette nouvelle « province » 45 . Mais les ambitions de Bonaparte sont autres et en août 1799, il repart pour la France. Dès les débuts de l’installation française, des tensions internes 46 et la contre-offensive ottomane posent des problèmes à l’occupant 47 qui doit capituler le 2 septembre 1801. L’épisode militaire est clôt mais ses répercussions culturelles tant en Égypte qu’en France ne font que commencer 48 .

Les Français partis, trois forces occupent le terrain, avec pour deux d’entre elles des intérêts antagonistes : les Anglais, les Turcs et les Mamelouks. Les Anglais ne tardent pas à partir (1803) car leur intervention en Égypte n’était motivée que par la présence française. Turcs et Mamelouksse retrouvent avec des ambitions opposées. C’est alors que le chef de la garnison albanaise, MuŸammad ‘Al€, intervient en faveur des Mamelouks, qu’il élimine par la suite 49 .

Notes
36.

Cette périodisation n’est valable, selon nous, que sur le plan politique et non sur le plan religieux. de plus, les travaux en cours de jeunes chercheurs égyptiens dans les domaines sociaux et économiques tendraient à relativiser les positions jusque là admises pour la période de MuŸammad ‘Al€.

37.

H. LAURENS, Les origines intellectuelles de l’expédition d’Égypte 1798-1801, l’Orientalisme islamisant en France (1698-1798), Istanbul, Paris, Isis, 1987 ; H. LAURENS (éd.), L’expédition d’Égypte 1798-1801, Paris, A. Colin, 1989.

38.

L’année 1797 voit l’échec d’un débarquement en Irlande qui devait faire la jonction avec les rebelles irlandais.

39.

En 1535, un traité conclu entre François Ier et Süleym…n le Magnifique donne naissance aux Échelles du Levant. Dans le même temps les capitulations, qui soustraient les négociants français à la loi ottomane et ne les fait dépendre en cas de conflit que des tribunaux consulaires, sont instituées.

40.

Le Directoire veut éloigner Napoléon et ce dernier n’est pas encore prêt pour un coup de force ; il souhaite aussi s’éloigner de la France afin de laisser le Directoire s’enliser dans les difficultés.

41.

Les révolutionnaires français sont très attachés au rôle civilisateur de la Révolution, ce qui explique ce choix d’une expédition scientifique.

42.

G. DELANOUE, op. cit., p. XVIII-XXI.

43.

Les Mamelouks sont des descendants d’anciens esclaves blancs achetés au Caucase et en Russie du Sud, islamisés, éduqués puis affranchis. Leur règne commence en 1250. Ils ont divisé l’Égypte en provinces à la tête desquelles se trouvent l’un d’eux, le bey ou gouverneur. La réunion des beys constitue le d€w…n qui coopte à sa tête un paša parmi les beys. En 1517, suite à leur défaite face à Süleym…n le Magnifique, les Mamelouks se soumettent au Sultan de Constantinople. De fait, ils continuent à diriger l’Égypte : le Sultan désigne le paša qui fait office de vice-roi, une garnison ottomane est présente et un tribut annuel doit être versé.

44.

Napoléon Bonaparte n’hésite pas à user de l’argument religieux en faisant célébrer des fêtes religieuses musulmanes.

45.

Le 22 août est fondé l’Institut d’Égypte. La première imprimerie de langue arabe est installée par le corps expéditionnaire scientifique (il s’agit d’une presse ramenée du Vatican).

46.

Le 21 octobre 1798 une révolte populaire a lieu au Caire.

47.

Une alliance russo-ottomane est conclue en décembre 1798, suivie en janvier 1799 par un traité entre la Sublime Porte et la Grande-Bretagne.

48.

En France, la passion pour l’égyptologie et pour l’Orient en général, marque tout le XIXème siècle. L’attrait pour l’Égypte n’est pas seulement intellectuel, les saints-simoniens lui donnent une dimension technique et économique.

49.

Il ordonne l’exécution des derniers Mamelouks en mars 1811.