2. Al-Man‚r, le phare du réformisme égyptien

A. La Nahµa

La célèbre revue du Man…r, fondée au Caire en 1898 par MuŸammad ‘Abduh et son disciple Raš€d Ri£…, est le résultat d’un long processus intellectuel dont l’origine est à rechercher un siècle plus tôt lors de l’expédition de Bonaparte. la conquête de l’Égypte constitue un véritable électrochoc dont les ondes se propagent durant tout le XIXème siècle. La présence française, même si elle n’est que temporaire, conduit les musulmans à réfléchir sur eux-mêmes. ce choc avec l’Europe entraîne la naissance d’un puissant mouvement : la Nahµa. Ce terme est fréquemment traduit par « Renaissance », mais l’Encyclopédie de l’Islam lui préfère celui de « Réveil » 208 . Ce mouvement est marqué par la foi en l’avenir et par une confiance profonde dans le progrès inéluctable des sociétés. ¥ahマ…w€ est souvent considéré comme le premier Renaissant : « ¥ahマ…w€ préfigure le Renaissant arabe d’abord par son activité exubérante, puis par le but de cette activité : rattraper le retard de son pays, enfin et surtout par une problématique qui n’a jamais cessez d’être la nôtre. En effet, la Renaissance a été pour l’Arabe, la découverte de l’Autre dans son altérité [...] » 209 Avec son livre sur Paris 210 , l’auteur représente le premier temps de la Renaissance arabe. Son ouverture à l’autre se traduit par un besoin de le connaître sans parti pris. s’il est admiratif de la civilisation occidentale, ¥ahマ…w€ n’en demeure pas moins critique. Il adopte une position de sympathie, dans le sens étymologique du terme, qui le conduit à accepter les acquisitions de la modernité, telles que l’Occident les propose, sans toutefois renoncer à sa propre culture.

Ce premier mouvement est bientôt relayé en Syrie par les chrétiens orientaux passés par les écoles des missionnaires. Les missionnaires protestants ont développé, par souci de prosélytisme, l’enseignement de l’arabe 211 . Il s’en suit un formidable élan culturel dont l’objectif est « la défense et l’illustration de la langue arabe » 212 . La Nahµa se nourrit de la traduction d’ouvrages étrangers et la presse finit par jouer un rôle capital en devenant peu à peu le lieu où s’inscrit l’innovation 213 . À la fin des années 1870, le mouvement se déplace en Égypte suite à la politique réactionnaire de ‘Abd al-—am€d. Le pays d’Ism…’€l est alors en pleine évolution culturelle et constitue le terreau idéal pour les intellectuels syro-libanais. Ils participent pleinement au grand développement de la presse que connaît l’Égypte de cette période. La Nah£a provoque un changement profond des mentalités car elle ébranle l’attachement des sociétés arabes aux traditions jugées inadaptées à la civilisation moderne et aux acquis des sciences. Cependant, dès la fin de la première guerre mondiale, elle perd une partie de ce qui l’a définie, l’espoir de reconstruire un avenir à la mesure du présent européen et du passé arabe. Cette grande vague, à laquelle les chrétiens participent, est de dimension éminemment culturelle avec la langue arabe comme support et dénominateur commun.

plusieurs des grandes idéologies de la fin du XIXème et du XXème siècles trouvent leurs fondements dans ce mouvement. Dans le droit fil de la Nahµa s’inscrivent l’arabisme et son corollaire le panarabisme, mais aussi tout le mouvement du réformisme musulman arabe 214 .

Notes
208.

Cf. N. Tomiche, « Nah£a », EI, t. VII, p. 901-904.

209.

A. MAKDISSI, « Les chrétiens et la Renaissance arabe », IsCh 14, 1988, p. 108.

210.

G. Delanoue, op. cit, p. 521 : « Rif…’a rédigé et soumet le 19 octobre 1830 au jugement d’un jury de savants et de personnalités la relation de son séjour à Paris : Ta¢l€™ al-ibr€z f€ ta¢l€™ B…r€z ». Le texte est imprimé dès 1834 et connaît de nombreuses rééditions et traductions dont celle d’A. Louca. Cf. A. Louca, Tahtâwî , l’or de Paris.

211.

A. MIQUEL, L’islam et sa civilisation, Paris, A. Colin, 1977, 1990, p. 338.

212.

A. MAKDISSI, art. cit., p. 114.

213.

J.-M. ABD-EL-JALIL, Brève histoire de la littérature arabe, Paris, G.P. Maisonneuve, 1943, p. 226sq.

214.

L’article d’A. Merad de l’Encyclopédie de l’Islam, « I™l…Ÿ », reste une référence incontournable. Sont aussi traitées dans cet article les parties sur l’Iran, par H. Algar (p. 170-174), sur la Turquie par N. Berkes (p. 174-177) et sur l’Inde et le Pakistan par A. Ahmad (p. 177-179). Le mouvement de réforme apparaît dès la fin du XVIIIème siècle dans le monde musulman, notamment en Inde.