C.Un réformiste, Raš€d Ri£…

Parmi le grand nombre de disciples du šay¢ ‘Abduh, l’un d’eux se présente comme le dépositaire et le garant de la pensée du maître, malgré des contestations, il s’agit de Raš€d Ri£… (1865-1935). Né à Tripoli (Liban), dans une famille villageoise attachée au savoir et à la piété, il commence ses études dans l’école qur’…nique locale et les poursuit dans une école gouvernementale turque à Tripoli. Il adhère à un ordre mystique avant de réaliser ce qu’il considère être les dangers spirituels du mysticisme de son temps. Séduit par les idées d’al-Afチ…n€ et de ‘Abduh, il s’installe au Caire en 1897 et fonde avec son maître en 1898 la revue al-Man…r. Il assume à lui seul le fonctionnement de ce périodique jusqu’en 1935, date à laquelle la gestion passe aux Frères Musulmans, qui l’interrompent définitivement en 1941. cette revue peut être considérée, dès la mort de ‘Abduh, comme le lieu d’expression privilégiée de son disciple : « Into it he poured his reflections on the spiritual life, his explanation of doctrine, his endless polemics, violent alike in attack and defence, all the news that came to him from the corners of the Muslim world, his thoughts on world politics, and the great commentary of the Quran (Tafsir al-Manar), based on ‘Abduh’s lectures and writtings, carried ‘Abduh’s disciple but never finished » 228 . Son activité ne se cantonne pas au Man…r car il écrit aussi des livres, fonde un « séminaire » 229 destiné à la préparation de ces juristes aptes à entreprendre la réforme des lois, qui est un échec, et participe à la vie politique de l’Égypte et du monde musulman. Il assiste notamment aux conférences islamiques de la Mecque (1926) et de Jérusalem (1931).

Cependant, l’essentiel de son activité consiste à être le conservateur et le propagateur des idées de ‘Abduh. Rôle qui lui est contesté par d’autres disciples qui l’accusent de travestir la pensée du maître, de la présenter selon sa propre interprétation. Ri£… produit une pensée autonome qui par bien des aspects s’éloigne de la pensée de ‘Abduh. Le point de départ est le même, il s’agit toujours du constat du retard des pays musulmans qui trouve son explication dans la non application des principes de l’islam. La divergence apparaît dans la définition de ces principes. Pour Ri£… « [...] the true Islam is that which was taught by the Prophet and the ‘Elders’ (salaf): a comparatively simple, easy intelligible system of doctrines and practices of which the knowledge is contained in the Quran and the tradition of what the Prophet and the compagnions said and how they lived » 230 . Son interprétation du sunnisme se rattache à celle d’Ibn —anbal 231 d’après A. Hourani 232 . C’est la raison pour laquelle à la fin de sa vie il est l’un des plus ardents défenseurs du renouveau wahhabite dans la péninsule arabique 233 . Le rigorisme de cette pensée dépouillée de tous les éléments de la religion populaire séduit Ri£…. Il y voit l’islam authentique, celui des « origines » non perverti par la philosophie, le ™Žfisme et les emprunts aux civilisations conquises. Il considère donc que l’essence de l’islam ne peut se trouver que dans le Qur’…n et les Ÿad€-s. Mais, s’il n’existe pas de solution dans l’un et dans l’autre, il faut avoir recours à l’i m…‘a celle des anciens ou encore à l’interprétation des ‘…lim-s, d’où l’importance dans la formation de ces derniers 234 à qui il incombera d’assister le calife. Ri£… est l’un des partisans les plus ardents du ¢al€fa 235 .

Cette rapide présentation de la pensée de Raš€d Ri£… nous permet de la comparer avec celle de son maître et nous donne une des clés de lecture de ses écrits sur les chrétiens et le christianisme. De manière globale, sa pensée est considérée comme plus en retrait que celle de ‘Abduh, dont les fatw…-ssont plus ouvertes. Nous renvoyons à l’étude de J. Jomier sur le commentaire qur’…nique du Man…r 236 . Du vivant de ‘Abduh, Ri£… entreprend de faire paraître le commentaire que le maître faisait à l’université et poursuit ce travail. Il s’agit d’une exégèse qur’…nique qui se veut en rupture, tout en maintenant des éléments de continuité, avec la méthode traditionnelle.

Si R. Ri£… se place dans la continuité de son maître par sa volonté de trouver la bonne interprétation de l’islam, les Frères Musulmans ne se cantonnent pas aux sphères intellectuelles. Avec eux une certaine vison du réformisme gagne la rue.

Notes
228.

Ibid., p. 226sq.

229.

L’ouverture du séminaire date du 3 mars 1912 et n’a pas été sans peine car R. Ri£… eut du mal à trouver des financements (cf. J. Jomier, Le commentaire coranique du Manar, tendances modernes de l’exégèse coranique en Égypte, Paris, G.P. Maisonneuve et Cie., 1954, p. 39-41).

Nous ne sommes pas en mesure de déterminer avec précision la date de fermeture, mais la première guerre mondiale a dû marquer l’arrêt définitif du projet faute d’argent.

Ri£… expose dans le Man…r (vol. XIV, 1911, p. 35-67, 114-120, 191-197, etc.) le programme de son école et l’esprit qui devra y régner. Dans son article « L’enseignement religieux musulman en Égypte au XIXème siècle. Orientations générales », in N. GRANDIN, M. GABORIEAU, Madrassa. La transmission du savoir dans le monde musulman, éd. Arguments, Paris, 1997, p. 95-111, G. Delanoue en présente, aux pages 108-110, les principaux axes. Pour Delanoue, « l’esprit, l’organisation, la discipline, les engagements exigés des élèves, les méthodes pédagogiques, tout cela est nettement calqué, à notre avis, sur les séminaires catholiques, avec une touche plus particulièrement jésuite ; rien là de trop étonnant, car Raš€d Rid… donnait volontiers en modèle aux Musulmans la formation – selon lui à la fois moderne et religieuse, et exigeante – des congrégations missionnaires » (p. 109). Les étudiants sont destinés à aller exercer un apostolat dans un pays étranger dont ils doivent maîtriser la langue, en plus de l’arabe littéraire. Les matières enseignées portent sur les disciplines religieuses habituelles avec, toutefois, une perspective pragmatique et quelques innovations comme un cours sur les pratiques religieuses extérieures à l’islam qui se sont installées au cours des siècles et dont il reviendra de faire la part entre celles à maintenir et celles à proscrire. En d’autres termes, il est question de se renseigner sur les pays où les futurs missionnaires évolueront et de proposer une apologétique adaptée. D’apologétique il est aussi question dans un cours visant à démontrer l’accord entre la science moderne et le Qur’…n.

Les similitudes avec les techniques missionnaires catholiques analysées en deuxième partie sont frappantes.

230.

Ibid., p. 230.

231.

Voir H. Laoust, « —an…bila », ei III, p. 161-166 ; p. 161 : « Le pluriel de —anbal€ [ —an…bila ], désigne les adeptes de l’école théologique et juridico-morale issue de l’enseignement d’AŸmad b. —anbal (mort en 241/855). Le —anbalisme tout en étant hostile au principe même de la théologie spéculative (Kal…m) et au ±Žfisme ésotérique (ŸulŽl, ma’ifa, ib…Ÿa) n’a pas évolué en vase clos ; nombreux furent les auteurs Ÿanbalites qui furent eux-mêmes des théologiens dogmatiques ou des ™Žfis. La raideur souvent intransigeante de la position dogmatique du —anbalisme, qui n’entendait connaître d’autres sources que le „ur’…n et la Sunna, n’a pas manqué, en revanche, de peser constamment sur la structuration même des autres écoles musulmanes. »

232.

A. HOURANI, op. cit., p. 231.

233.

Une présentation du wahh…bisme est donnée en troisième partie, à la p. 370. Il convient de préciser que cette doctrine est considérée au XIXème siècle comme hérétique par de nombreux penseurs musulmans, voir G. Delanoue, op. cit., p. 100sq.

234.

C’est dans son « séminaire » qu’il envisage la formation de ses futurs conseillers.

235.

H. LAOUST, Le califat dans la doctrine de R. Ri£â, Mémoires de l’ifead, t. VI, Beyrouth, 1938.

236.

Voir p. 357, etc.