3. D’autres regards sur l’islam

En effet, l’intérêt pour l’islam n’est pas, dans les milieux catholiques, confiné aux trois congrégations. Nous avons déjà rencontré d’autres intervenants dont nous proposons de faire une présentation plus complète à cause de l’influence qu’ils exercent sur la réflexion catholique. S’ils n’appartiennent pas aux trois congrégations que nous étudions, ils entretiennent avec certains de leurs membres des relations au moins épisodiques.

En effet, les réseaux des trois congrégations missionnaires, loin d’être étanches, se croisent et voient certaines personnalités prendre position à l’occasion d’une polémique. Parfois, elles adhèrent de manière plus durable à une tendance, et il conviendrait alors de parler de « compagnon de route ». Les membres de ces réseaux sont constitués de groupes plus ou moins structurés autour des congrégations et d’électrons libres qui gravitent dans des sphères d’influence. Parmi les personnalités isolées de première importance, il faut d’abord mentionner le père de Foucauld et plus particulièrement ses héritiers, les petits frères du Sacré-Cœur de Jésus et leur correspondant féminin, les petites sœurs de Jésus, qui sont en train de naître à la fin des années trente. Toutefois, la spiritualité de l’ermite du Hoggar a fait école bien au-delà des fraternités du Sahara. En effet, l’une des particularités des missionnaires en pays d’islam est de privilégier les mêmes modes de présence et la prière, dans la ligne directe de Foucauld.

Nous voudrions aussi revenir très brièvement sur l’œuvre et l’action d’un homme central pour notre étude, Louis Massignon. Faire une étude scientifique de son approche de l’islam et des musulmans nous est parue impossible, tant sa production intellectuelle est grande et mériteraient une thèse à part entière 504 . Ce travail promet d’être difficile à mener car la personnalité du grand orientaliste français est des plus complexes. Nous avons choisi de nous y reporter de manière ponctuelle comme une des références scientifique et humaine incontournable pour notre période. Son point de vue « officiel » est l’un des plus progressistes, l’un des plus philo-musulmans, même s’il nous faut préciser ce terme et le nuancer. La subtilité de sa pensée et ses objectifs font apparaître certes un homme respectueux des musulmans, mais qui n’a peut-être pas complètement abandonné tout espoir de les convertir 505 . Faisant preuve d’une honnêteté intellectuelle indéniable, son niveau de savoir a rarement était atteint depuis et fait de lui l’un des grands islamologues français. Personnalité controversée de son vivant, il suscite de nombreux disciples et a des contacts directs ou indirects avec tous les personnages que nous avons rencontrés.

Sur le plan scientifique son œuvre fut diversement accueillie de son vivant dans les milieux universitaires 506 . Les objections scientifiques sont exposées dans un article dont les conclusions été connues de Massignon 507 .

Rares sont les sujets sur l’islam où il ne sert pas de référence, que ce soit pour adhérer à ses vues ou pour les critiquer. Des non-spécialistes comme Perbal en font une des sources de leur savoir.

Notre propos n’est pas de faire une présentation exhaustive de tous les religieux catholiques qui se sont intéressés à l’islam, mais plutôt d’en sélectionner quelques-uns pour leur représentativité et leur influence. nous avons opté pour une typologie qui distingue les convertis, Mulla et Abd-el-Jalil, des missiologues non spécialisés dans l’islam, Perbal et Monchanin. Le choix de ces personnalités est motivé d’une part par leur participation aux réseaux qui se constituent dans les années trente autour du problème de l’apostolat en milieu musulman ; d’autre part, ils nous permettent d’avoir un autre éclairage sur la diffusion des idées sur ces sujets.

Notes
504.

L’abondante bibliographie le concernant n’est pas exemptes de toute hagiographie. Le grand chantier d’une biographie historique est encore ouvert et peut, à présent, être envisagé.

505.

Nous sommes consciente d’aller à contre sens de l’avis commun, mais certains éléments nous ont conduit à nuancer l’opinion généralement répandu à son égard.

506.

Sa démarche scientifique ne fait pas l’unanimité et des islamologues allemands ont critiqué ses méthodes, voir C. Destremau, J. Moncelon, Massignon, Paris, Plon, 1994, p. 192sq. : « En Allemagne, haut lieu de l’orientalisme, la Passion reçut moins d’éloges que de critiques négatives. Il y avait d’abord un problème de méthode. Ainsi Joseph von Ess remarque-t-il que pour un “islamisant allemand ce qui est vrai est ce qui se trouve dans les textes ou ce qui en dérive par une analyse serrée”, tandis que pour Massignon, “ce qui est vrai est, en outre ce qui est accepté et vécu par les musulmans”. Vu à travers le regard d’un philologue allemand, Massignon n’était pas “exact” ; chez lui la recherche touchait à la méditation. Il aimait parler de mystère, mot utilisé en Allemagne, dans la théologie, mais pas par un historien. [...] Il osa parler de la “passion” d’El-Hallâj ou de son martyre, ce qu’un chercheur allemand n’aurait probablement pas fait. »

507.

J. Waardenburg, « L’impact de l’œuvre de Louis Massignon sur les études islamiques », p. 301-303, in J. Keryell (éd.), Louis Massignon au cœur de notre temps, Paris, Karthala, 1999, p. 295-304.