A. Les missiologues non-spécialistes de l’islam

a. Perbal

Albert Perbal (1884-1971), omi 508 , est l’un des grands pionniers de la missiologie naissante comme l’atteste ses nombreuses fonctions : secrétaire de missions de la congrégation des missionnaires omi, président de la conférence romaine des missions catholiques africaines, membre du comité directeur suprême des œuvres pontificales missionnaires, membre du conseil international de l’union missionnaire du clergé, vice-président de l’Institut Scientifique Missionnaire de la Propagande, etc. Il est aussi chargé de cours et de conférences à l’Institut Catholique de Paris (1934-39) et professeur à l’Institut Missionnaire de la Propagande. dans ces deux institutions il donne ses cours d’islamologie. Cependant rien dans sa formation ne permet de comprendre son engouement dans les années trente pour l’islam qui le conduit à piloter le Comité d’études islamiques et à être membre de la commission de l’islam à l’Orientale en 1939. Les travaux de Perbal sont vastes mais ses articles sur l’islam sont peu nombreux et se concentrent, pour les articles de fond, dans la deuxième moitié des années 1930 509 . Les thèmes choisis sont caractéristiques des intérêts des missionnaires de la période : la personne de MuŸammad 510 , les raisons du succès de l’islam et les méthodes adaptées pour éviter les échecs des missionnaires 511 .

Dans son article « Une nouvelle enquête » publié dans afer d’avril 1935, Perbal recense les raisons généralement invoquées pour expliquer l’échec de conversions massives chez les musulmans. Il est intéressant de noter que pour exposer certains motifs il utilise le conditionnel et relativise l’argument, alors que pour d’autres motifs l’utilisation du présent n’est nuancée par aucune restriction qui se manifeste dans le style. Cette distinction révèle probablement, de manière indirecte, les raisons qu’il estime justifiées de celles qu’il juge infondées. Nous retrouvons dans cette brève présentation tous les éléments de l’argumentaire missionnaire pour légitimer un insuccès que d’aucuns qualifieront de relatif. Le constat de départ que Perbal attribue, en le regrettant, à certains missionnaires, est de considérer les « Mahométans comme inconvertissables » 512 , non pas d’un point de vue théologique, et d’avoir abandonné les efforts directs en Afrique du Nord. Ce serait le fanatisme, qui engendre violence, hostilité, etc. et aurait pour base le mépris pour le christianisme, qui générerait à son tour l’orgueil qui empêcherait toute conversion au catholicisme ou au judaïsme considérés comme des stades reculés de l’islam 513 . Perbal avance l’hypothèse que cet orgueil ne serait en fait que la manifestation d’une foi profonde. La deuxième raison généralement invoquée, est le rappel des sanctions auxquelles sont exposées les convertis. Si le père a, là aussi, recours au conditionnel et précise que cet ostracisme est en voie de disparition dans certains milieux, il confirme la dimension sociale de l’islam qui fait de tout apostat un apatride 514 . La troisième raison rappelée est le problème de la morale car il n’existe pas de péché en islam et seule la pureté légale importe 515 . Le problème du péché dans l’islam est un des thèmes centraux que nous analysons plus bas. Toutefois précisons que la notion même de péché ne peut être analysée, selon nous, que dans le référentiel globale que constitue la théologie islamique pour comprendre son sens dans l’environnement musulman. La quatrième raison réside dans l’irréligion des sociétés occidentales qui renforce les musulmans dans leur refus des conversions. Quant à la polygamie, elle reste un obstacle de taille pour la conversion des Noirs. Cependant, la dernière explication de cet échec semble être pour Perbal la plus importante : « Faudrait-il avouer que l’absence de tout apostolat direct (sic) dût ici entrer en ligne de compte ? L’Église catholique n’a point encore tenté d’effort large et puissant [...] Et pourtant [...] toutes les fois qu’on a évangélisé des Musulmans isolés soigneusement préparés, il semble bien qu’on ait toujours eu des conversions à enregistrer [...] » 516 Ses solutions vont vers un apostolat adapté qui dans les zones à peine islamisées doit se concentrer sur les païens afin de stopper l’avance de l’islam comme c’est le cas en Afrique Noire, et qui, pour les zones où l’islamisation est totale, doit être une œuvre de longue haleine 517 . Il expose sa méthode dans son article « L’avenir de l’Islam » 518 .

Pour lui deux types d’action sont envisageables, la pénétration individuelle et la pénétration collective d’une véritable civilisation occidentale imprégnée de christianisme 519 . Cette pénétration doit être amicale, sympathique, ne pas faire état de la supériorité du chrétien et rechercher les concordances apparentes. La recherche des points de concordance est originale et peu présente habituellement notamment chez les pères blancs qui ne veulent en aucune façon se référer à l’islam comme nous le verrons. Perbal présente les différents points de sa méthode qui consiste à éviter la fermeture des cœurs, donc à proscrire les éléments de différence, puis à faire état de ce que l’on est mais sans chercher à diviser. Le musulman ne doit surtout pas ressentir que l’on veut le changer car autrement il se fermerait 520 . Dans le même temps, il faut repérer les vides de la vie spirituelle et en connaître les causes qui sont bien souvent liées à l’inexistence de la notion de péché et aux déviations des musulmans : « Il n’en est pas moins vrai que la doctrine pure du Coran n’autorise pas absolument cette façon de voir, qui est plutôt un effet de l’action combinée de l’insuffisance morale du Coran et des interprétations de la Tradition, comme aussi de la force de l’habitude au cours des générations musulmanes » 521 . L’objectif est de donner une âme à leurs rites ainsi, ils auraient des chances d’être sauvés : « S’il est vrai, comme disent les théologiens, qu’à celui qui fait son possible Dieu ne refuse point la grâce et qu’il suffit, pour être sauvé, de croire en Dieu créateur et providence, de se repentir de ses fautes, de faire le nécessaire pour s’améliorer et éviter les faux pas, de se confier en la miséricorde divine et d’espérer en un jugement qui saura donner aux efforts humains la consécration éternelle justement méritée, il y a lieu de compter que le temps ainsi employé n’aura pas été perdu. Certes, ils nous disent aussi que ce n’est qu’un minimum, acceptable seulement dans le cas d’une impossibilité absolue d’obtenir davantage : mais d’excellents esprits estiment que les conditions de l’Islam réalisent précisément cette impossibilité, au moins provisoirement. » 522 L’économie du salut pour laquelle opte le père Perbal est donc vaste et ne comprend pas le baptême comme condition sine qua non.

Il n’est donc pas question de critiquer Mahomet devant les musulmans ni de leur parler de la Trinité ou encore de l’Incarnation. Mais se pose le problème de savoir qui va conduire ces âmes musulmanes sur le chemin d’un éventuel salut. Perbal connaît bien la situation. Il sait que ni les prêtres 523 , disposant de trop peu de temps à consacrer aux indigènes et risquant de fermer par leur fonction les musulmans, ni les missionnaires, en nombre insuffisant, ne pourront pourvoir à cette tâche. Ainsi, donnant l’exemple de l’Algérie et de la Tunisie, il indique le nombre de 80 pères blancs et précise que tous sont loin d’être bien formés 524 .

C’est pourquoi, il souhaiterait s’appuyer sur les colons qui exerceraient une action « horizontale » qu’il oppose à celle verticale des hommes de religion. L’Action Catholique lui paraît le mieux répondre à ce type de pénétration car la différentiation religieuse serait moins visible. par un modèle de vie chrétienne, ils influeront sur leurs voisins musulmans. Le religieux paraît méconnaître les réalités de la vie coloniale qui laisse peu de place à de tels sentiments chez des colons jaloux de leurs privilèges. Ils n’entendent pas les partager avec des indigènes qui devenant massivement chrétiens, pourraient revendiquer des droits. Droits d’ailleurs que les catholiques, écrit-il, réclament depuis des années à l’Administration sous la forme d’un statut chrétien, basé sur le droit de la société chrétienne 525 . Il n’est donc pas question d’appliquer le droit reconnu aux européens mais un statut intermédiaire car même chrétiens ils demeurent différents.

Perbal conseille comme lecture aux colons la revue jésuite En Terre d’Islam et marque par la même la tendance à laquelle il souhaite se rattacher 526 . cette action des colons n’est pas la seule à être efficace et il rappelle l’importance des sœurs blanches mais aussi des ordres contemplatifs comme les petits frères du sacré-Cœur. D’une part, ils sont la preuve vivante que les chrétiens aussi prient, et d’autre part, leurs prières ont un véritable effet bénéfique. Il rappelle à ce sujet l’existence de la Ligue du vendredi à l’origine de laquelle se trouve Abd-el-Jalil. Perbal est donc favorable à une action discrète sur la masse et non pas à des conversions isolées : « Qu’ils voient un jour, et qu’ils voient autant que possible ensemble, que Mahomet ne leur a livré qu’une partie de la vérité [...] » 527 . Pour de nombreux missionnaires, il ne saurait être question de vérité en ce qui concerne l’islam. Perbal anticipe les critiques de certains contre la complaisance régulièrement dénoncée dont feraient preuve certains vis-à-vis de l’islam. Il sait que des missionnaires dénoncent ce qu’ils estiment être des visions positives qui ne sont que superficielles 528 et notamment en ce qui concerne les études sur l’ascétisme et la mystique 529 . Il rappelle que l’Église recommande de chercher les traces des premières croyances, mais que le peu de vérité trouvée ne doit pas laisser oublier que le chemin à parcourir est encore loin jusqu’au christianisme. Il expose sa position qui se veut celle d’un juste équilibre entre flatterie et dénigrement total 530 . Ce dénigrement, il veut le nuancer en précisant qu’une description du christianisme par ses bas fonds ne rendrait pas l’image réelle, il demande implicitement pour l’islam un traitement équitable, tout en soulignant que ces deux religions ne sont pas à mettre sur le même plan dans la mesure où l’une est révélée et l’autre naturelle. On sent dans les premières lignes de cet article qu’il aborde avec prudence un terrain « réservé » et sensible.

Perbal s’interroge pour connaître les raisons de jugements aussi contrastés sur l’islam et en analyse les aspects religieux. Il insiste sur la grande ferveur des musulmans pour la prière prisée chez eux par les hommes, à la différence de l’Occident où ce type de ferveur est confiné aux femmes ou aux enfants 531 . Mais il ajoute aussitôt que si les orientaux sont très démonstratifs, les actes de l’âme sont tout intérieurs et que leur prière est vidée de substance même si ce type de démonstration constitue une des attirances externes en faveur de l’islam. Puis, il insiste sur la facilité de cette religion qui a su prendre en compte la faiblesse de l’humanité, autre argument de séduction. Cependant, la facilité n’est qu’apparente si l’on pense par exemple à l’interdiction de l’alcool ou au ramadan 532 . Il mentionne les orgies culinaires nocturnes, tout en rappelant la grande rudesse des journées de labeur et n’hésite pas à faire mention du carême fortement atténué dans nos sociétés 533 . Il ne se contente pas d’observations générales mais se documente pour exposer les règles théoriques qui régissent le ramadan 534 . Elles ne prévoient qu’un léger repas pour la rupture du jeûne le soir et un autre le matin avant le lever du jour.

Sa position face à la polygamie est dictée par le même esprit de connaître les réalités et surtout de replacer les choses dans leur univers et non de les juger à partir du sien. La polygamie est l’un des thèmes qui choque le plus et à partir duquel on explique beaucoup de chose sur l’évolution de l’islam et sur ses mœurs. Perbal rappelle qu’elle est antérieure à l’islam 535 et qu’elle n’est pas forcément synonyme de vice comme l’atteste les patriarches de l’Ancien Testament 536 . Il essaie d’en donner une lecture sociale en indiquant qu’elle est un signe de richesse pour les musulmans, qu’elle n’est pas considérée comme la panacée dans le Qur’…n 537 et que des musulmans d’aujourd’hui regrettent son existence 538 . il n’oublie pas que la condition de la femme musulmane est nettement inférieure à celle de son homologue chrétienne. il aborde le mariage qui dans le monde musulman est précoce et évite donc les vices si fréquents de l’adolescence. Vices non circonscrits à cette période de la vie mais bien présents en Occident au travers du divorce, des toilettes des femmes, des plages, etc. C’est pourquoi le pouvoir attractif de l’islam est si vif et a pu séduire plus d’un occidental sensible à la décence et à la pudeur qui se dégage en comparaison du laisser-aller de notre monde 539 . Tout n’est bien sûr qu’apparence, il rappelle qu’il ne fait pas l’apologie de l’islam et qu’il n’est pas dupe du caractère superficiel de cette moralité. Quoiqu’il en soit, il relativise bien des visions négatives sans pour autant vanter les mérites de l’islam mais tente de l’approcher depuis un point de vue intérieur. L’islam attire aussi grâce à la simplicité de ses dogmes qui se résument en un seul : l’existence d’un Dieu unique. L’absence de mystères et la facilité du salut lui valent le succès auprès des Noirs 540 . Mais de grands esprits se sont aussi déclarés séduits comme Charles de Foucauld : « Je voulais entremêler les passages du Koran dans mes prières. Mais la grâce divine et les conseils de mon confesseurs dissipèrent ces nuages. » 541 Même si MuŸammad a livré une partie de la vérité, les passages du Qur’…n ne doivent pas intervenir dans la prière chrétienne, d’autres expliquent pourquoi cela ne peut se faire. La prière musulmane a fait l’objet de nombreuses critiques dont celle d’être hypocrite. Là encore, Perbal déclare que l’hypocrisie n’est pas le seul fait des musulmans et que des chrétiens aussi peuvent l’être. Il n’hésite pas à faire appel aux versets qur’…niques pour démontrer que le Qur’…n fustige ce type d’attitude 542 . Cependant, « Il n’en est pas moins vrai que la prière musulmane (et c’est le seul grief que nous voulons retenir) n’atteint pas généralement le fond de l’âme et [...] reste trop uniquement vocale, corporelle [...] qu’elle n’a aucune influence sur la vie morale et sur la conscience [...] » 543 .

Le dernier point abordé par Perbal porte sur le fatalisme des musulmans qu’il entend aussi nuancer et expliquer de l’intérieur. Il n’hésite pas à nous donner les différentes lectures qu’en font les orientalistes occidentaux mais laisse aussi la parole aux musulmans 544 . Ce fait est notable car peu de missionnaires se soucient véritablement de la vision musulmane. Perbal, qui se présente comme un non-spécialiste accomplit un effort pour confronter et présenter à ses lecteurs les diverses lectures 545 et le fait avec une remarquable impartialité. Ne pouvant trancher, il en appelle à une étude sérieuse de ce concept 546 qui, rappelons-le, jusque là est le leitmotiv incontournable de tout discours sur l’islam, mais sans qu’aucune définition n’en ait été donnée.

Pour finir cette présentation de la pensée de Perbal à travers ses articles publiés, nous voudrions présenter sa vision du prophète de l’islam, abordée dans deux contributions, « Mahomet fut-il providentiel ? » 547 et « Mahomet fut-il sincère ? » 548 . Ce thème est un des plus courants depuis l’apparition de l’apologétique chrétienne et nous l’analyserons en détail. Il prend un relief particulier dans les années de l’entre-deux-guerres chez les penseurs catholiques et chez les musulmans. On voit surgir une grande quantité de vie du prophète dans les années 1930 écrites par des musulmans, dont nous présenterons la structure. Dans le premier article sur le prophète de l’islam, l’auteur met en place le décor dans lequel s’inscrit le début de la vie de MuŸammad : l’environnement monothéiste. Puis, il nous décrit l’avant et l’après Médine, fidèle en cela aux orientalistes qui distinguent le temps où il appelle à la repentance, du temps du fondateur d’une nouvelle religion. À lire l’article de Perbal, l’originalité de MuŸammad est inexistante car il n’a fait que supprimer les monstruosités du paganisme et procéder à des emprunts au christianisme et au judaïsme 549 . Cependant, à la question de savoir s’il fut providentiel la réponse semble être affirmative car il a sorti les âmes du paganisme en instaurant une foi au vrai Dieu 550 . Perbal n’hésite pas à citer Massignon : « ce n’est pas “un conglomérat factice d’individualités hérétiques, se référant abusivement à la Bible, comme certains sectes américaines 551 ... c’est presque un schisme abrahamique, comme Samarie et le Talmudisme furent des schismes mosaïques, comme l’orthodoxie grecque fut un schisme post-chalcédonien” » 552 . La référence à Massignon est révélatrice des positions de l’auteur qui n’hésite pas à faire appel au plus philo-musulman des orientalistes et à adopter certaines de ses idées. Le rattachement à Abraham est donc explicitement reconnu par le père d’où son désir de voir les musulmans comprendre le véritable sens de cette filiation et donc de se convertir au christianisme. Cette lecture dans une clé chrétienne de l’histoire de l’islam est plus qu’inhabituelle. Les musulmans sont de facto rattachés à l’Ancien Testament. Ils sont placés dans la lignée d’Abraham et participent à l’histoire sainte en parallèle ou en décalage comme des « oubliés ». Une fois réintroduits dans l’histoire de la révélation leur statut n’est-il pas, finalement, voisin de celui des juifs ? Nous ne sommes pas certaine que Perbal ait analysé complètement la portée théologique de telles affirmations. Indirectement il se rattache à une idée chère à Massignon, qui envisagerait volontiers la remise en cause du caractère linéaire du temps historique et ferait apparaître l’islam avant l’Incarnation. Massignon parle au sujet des musulmans du rapatriement des Agaréniens 553 . Le parallèle que nous avons établi avec le peuple juif peut aussi s’observer quand Perbal expose les faits qui prouvent que l’islam a servi les desseins de Dieu en suscitant le front uni des chrétiens dans les croisades derrière la papauté et en obligeant les juifs à continuer leur errance 554 . les juifs n’ont-ils été considérés comme des preuves vivantes de la Passion du Christ ? C’est pour toutes ces raisons que l’on peut considérer Mahomet comme providentiel. Mais il est clair que le prophète n’en fut pas conscient, car se pose aussi le problème de sa sincérité.

La question en soi n’est pas originale et a fait l’objet d’articles ou encore de réflexions à l’intérieur d’articles 555 . malgré le caractère apologétique indéniable de certains écrits missionnaires sur cette question, le fait même de l’interrogation est une nouveauté et témoigne depuis la fin du XIXème siècle d’une évolution de la pensée catholique. Se prononcer en faveur ou en défaveur de la sincérité du prophète de l’islam ne signifie nullement reconnaître que la révélation est d’essence divine : « En dehors de l’Église, rien ne peut surgir qui soit capable d’ajouter quoi que se soit au trésor des vérités révélées ; rien ne peut venir qui puisse enrichir spirituellement l’humanité ; nous entendons, évidemment, rien qui nous apparaisse sous forme de révélation divine, car alors il ne peut être question que d’erreur, sous forme d’illusion ou de supercherie. Tout prophétisme en dehors de l’Église, ne peut être que manifestation de l’esprit démoniaque ou élucubration (consciente ou inconsciente) de l’esprit humain. » 556 La question de la sincérité du prophète de l’islam se place à un autre niveau : il s’agit de savoir s’il est un imposteur 557 ou une victime. Généralement, les orientalistes occidentaux, à de rares exceptions près 558 , sont d’accord pour voir dans le MuŸammad de La Mecque un homme de bonne foi. Perbal expose les opinions de Meyerhof, du père Charles, de Caetani, de Lammens, de Carra de Vaux, etc. 559 Cette sincérité serait, pour certains, liée à une maladie mentale et pour d’autre à un fort pouvoir d’autosuggestion. Perbal estime que l’explication pathologique ne doit pas être rejetée même si elle commence à être contestée car il apparaît difficile d’attribuer à un fou l’œuvre accomplie. dans le même temps, il attend des recherches complémentaires sur l’autosuggestion. Il incline donc pour la première hypothèse car elle lui apparaît comme la plus humainement plausible 560 .

La bibliographie à laquelle Perbal a recours témoigne d’une vaste culture qui lui permet de se référer aux grands orientalistes de la période tant francophones, comme Massignon ou Lammens, qu’étrangers comme Caetani ou Goldziher. son souci d’impartialité atteste de son honnêteté intellectuelle qui lui fait exposer toute l’étendue des réflexions sur l’islam, des plus hostiles aux plus favorables. Il entend présenter tous les points de vue et le fait de manière objective sans travestire les idées des uns ou des autres, alors qu’il a choisi le camps des jésuites de Fourvière. Les thèmes abordés, la manière de les aborder et les conclusions qu’il tire ne sont pas très originaux d’un point de vue théorique, car il n’est pas un spécialiste des questions musulmanes. Toutefois sa méthode d’apostolat, pour toute irréalisable qu’elle soit, est originale. Il est respectueux de la diversité musulmane car il tente d’introduire plusieurs niveaux de discours et opère des distinctions entre l’islam et les musulmans, et entre islam théorique et islam vécu.

Perbal a œuvré pour la diffusion des connaissances sur l’islam au niveau romain mais aussi chaque fois que l’occasion lui est donnée 561 .

Notes
508.

Cf. D. Levasseur, Histoire des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée. Essai de synthèse, t. 1(1815-1898), t. 2(1898-1985), Montréal, Maison Provinciale, 1983, 1986. Ils doivent leur fondation en 1826 à Mgr de Mazenod (1879-1882).

509.

Pour dresser la bibliographie de Perbal nous avons consulté « Le Père Albert Perbal, missiologue. Essai de bibliographie », Missio, revue des missionnaires omi , 1972, 258-272. Les articles, rares et brefs, sur l’islam postérieurs à la seconde guerre mondiale n’ont pas été consultés. Ils se concentrent pour l’essentiel au début des années 50, à l’exception d’un seul qui date de 1964 et qui annonce le concile « Le dialogue avec l’Islam est-il possible », Euntes Docete 17, 1964, p. 306-310.

510.

« Mahomet fut-il providentiel ? », Revue de l’Université d’Ottawa, 1939, p. 291-313 ; « Mahomet fut-il sincère ? », Revue de l’Université d’Ottawa, 1939, p. 409-433.

511.

« Une nouvelle enquête », afer avril 1935, p. 1-7 ; « Les attirances de l’islam », Grands Lacs, 15 décembre 1939, p. 29-40 ; « Ceux qui voient l’Islam en noir », Grands Lacs, 15 mars 1940, p. 17-31 ; « L’avenir de l’Islam », Les Missions Catholiques 71, 1939, p. 446-450, 460-467.

512.

A. perbal, « Une nouvelle enquête », afer avril 1935, p. 3.

513.

Ibid., p. 4. Nous revenons ultérieurement sur cette conception islamique qui fait de la conversion au christianisme ou au judaïsme un retour en arrière.

514.

Ibid.

515.

Ibid., p. 5.

516.

Ibid. Le exemples sont pris à Sumatra et à Java.

517.

Ibid., p. 6. La dernière page de son article se termine sur un questionnaire à l’attention des missionnaires, qui n’est pas sans rappeler celui élaboré par ses soins pour l’Orientale :

« 1/ Si difficultates enumeratæ omnes sint veritati conformes et utrum non sint aliæ ?

2/ Si, in regione quadam, aliqua ex illis difficultatibus, datis vel non datis, prævaleat ?

3/ Illa præsertim funditus exponaturæ, ex analysi magis perspecta, solutio possibilis proponatur.

4/ Qui sint effectus propagationis mahometicæ in indigenis, sive religiosi sive sociales ?

5/ Quæ sint observationes personales ? quæ judicia propria ? quæ motiva speranti ? »

518.

A. Perbal, , « L’avenir de l’Islam », Les Missions Catholiques 71, p. 446-450, 460-467.

519.

Ibid., p. 447. Cette référence à une civilisation occidentale chrétienne qui doit entrer en contact avec les pays musulmans, se justifie par le fait que même les « évolués », passés par le système laïque, ne veulent pas renoncer à leurs convictions religieuses, et réclament leur naturalisation et droit de vote sans renoncer à leur statut personnel. Pour le père il s’agit là d’un plan pour mieux combattre l’Occident.

520.

Ibid., p. 450.

521.

Ibid., p. 462.

522.

Ibid.

523.

Il faut rappeler que les prêtres ne reçoivent pas de formation en langue arabe. Langue difficile à acquérir ce qui rend d’autant peu probable les efforts de séminaristes qui auront peu d’occasion d’y avoir recours. Dans son article, à la page 465, Perbal indique que Mgr Leynaud, archevêque d’Alger, et Mgr Durand, évêque d’Oran, ont réintroduit l’enseignement de l’arabe dans leurs grands séminaires.

524.

Ibid., p. 466. Perbal connaît bien la situation car il entretient une correspondance avec notamment Marchal. Il signale tout de même l’existence de l’ibla destiné à former des missionnaires mieux adaptés.

525.

Ibid., p. 464.

526.

S’il signale les initiatives de quelques colons, il n’indique pas que dans la revue ibla une section est consacrée au rôle que devraient jouer les jeunes colons auprès des indigènes.

527.

Ibid., p. 466.

528.

Cf. A. Perbal, « Les attirances de l’islam », p. 29. Les tensions sont réelles et Perbal les a localisées : « Ceux qui vivent en Afrique du Nord ne peuvent se résoudre à approuver ce qu’ils appellent des flatteries aux musulmans et toutes proposition de “ménagement” leur paraît suspecte », AGOMI Fonds Perbal M « Institutum Missionale Scientificum » 1938 II Me 1379.38, lettre du 14.08.1938 du P. Perbal à Dom Alexandre Gillès du Pélichy Abbaye de Saint André Lophem-lez-Bruges, au sujet de l’article de Monchanin ; AGMAfr. Dos. 276/III, lettre du P. Marchal au P. Perbal du 1.07.1938 (réponse à sa lettre du 13.06.1938) au sujet de l’article de Monchanin paru dans En Terre d’Islam, Marchal écrit « j’en ai été excédé » ; AGOMI M « Institutum Missionale Scientificum » 1940 I, lettre du P. Perbal du 31.01.1940 au P. j.-Em. Janot, directeur d’En Terre d’Islam : « Je sais que ces façons de penser nous exposent à la colère de certains “connaisseurs” pratique de l’Islam : alius quidem alius vero sic ». En effet, la réprobation de Marchal s’est exprimée vivement quelques années avant en 1938 : « Je me garderai bien de redire à mes confrères de tous ordres que vous les traitez de compétences improvisées : je me réserve pour moi seul cette appréciation », lettre de Perbal à Marchal du 13.06.1938, AGMAfr, Dos. 276/III. Toujours dans cette même lettre, marchal revendique de manière tacite la prééminence des pères blancs quand il s’agit des musulmans et de l’islam : « Autre chose est d’analyser l’Islam dans une bibliothèque, autre chose est de refléter les réactions de l’esprit musulman tel qu’il se manifeste dans les comportements habituels des Musulmans en chair et en os dans leur vie personnelle et dans leurs rapports avec les non-musulmans », il nuance en précisant qu’il ne se prononce pas sur les musulmans du Proche-Orient car il ne les connaît pas.

529.

Les querelles ont été très vives dans les années trente autour de ces questions délicates et ont opposé, nous le verrons, les jésuites aux pères blancs. Ce thème du mysticisme a par ailleurs a donné lieu à de nombreux travaux dès les années vingt, sur lesquels nous reviendrons.

530.

A. Perbal, art. cit., p. 30.

531.

Ibid., p. 32.

532.

Ibid., p. 33.

533.

Ibid., p. 34.

534.

Cf. A. Perbal, « Ceux qui voient l’Islam en noir », p. 22.

535.

Cf. A. Perbal, « Les attirances de l’islam », p. 35.

536.

Cf. A. Perbal, « Ceux qui voient l’Islam en noir », p. 24.

537.

Cf. A. Perbal, « Les attirances de l’islam », p. 35.

538.

Cf. A. Perbal, « Mahomet fut-il providentiel ? », p. 306.

539.

Cf. A. Perbal, « Les attirances de l’islam », p. 36.

540.

Ibid., p. 38sq.

541.

Ibid., p. 40.

542.

Cf. A. Perbal, « Ceux qui voient l’Islam en noir », p. 18-21.

543.

Ibid., p. 21.

544.

Ibid., p. 28 où il cite M. ‘Abduh ce qui témoigne de sa bonne connaissance des auteurs musulmans qui font référence.

545.

Ibid., p. 27.

546.

Ibid., p. 29.

547.

A. Perbal, « Mahomet fut-il providentiel ? », p. 291-313.

548.

A. Perbal, « Mahomet fut-il sincère ? », p. 409-433.

549.

Cf. A. Perbal, « Mahomet fut-il providentiel ? », p. 303.

550.

Ibid., p. 309.

551.

On ne peut que remarquer la place qu’occupe les néo-protestants dans la pensée de Massignon et celle occupée par les musulmans qui sont, à la lecture de cette citation, bien plus proche des catholiques. La pensée théologique de Massignon révèle une fois de plus sa complexité.

552.

A. Perbal, art. cit., p. 309.

553.

Cf. A. Perbal, art. cit., p. 309. Les Agaréniens sont les descendants d’Agar, l’esclave d’Abraham, qui lui a donné Ismaël, père des 12 nations arabes, qui fut chassée avec son fils par Sarah après la naissance d’Isaac. Pour Massignon, la filiation se place sur le plan symbolique.

554.

Ibid., p. 310.

555.

Analyse en deuxième partie.

556.

A. Perbal, « Mahomet fut-il sincère ? », p. 432.

557.

Ibid., p. 417 : « [...] la condamnation du vin suivit comme de juste une orgie qui avait dégoûté Mahomet ; celle du jeu de hasard fut la conséquence d’une vulgaire histoire, celle d’un croyant qui avait perdu toute sa fortune, tombée entre les mains d’un infidèle [...] ». La volonté d’expliquer les interdits de l’islam par le pragmatisme témoigne de l’ignorance du principe de base de toute religion que constitue la dichotomie entre le sacré et le profane, entre le permis et l’interdit qui ne se limitent pas aux contingences matérielles. Les religions, révélées ou non, fonctionnent toutes sur cette distinction, comme l’ont démontré les nombreux travaux de M. Éliade.

558.

Ibid., p. 426 ; l’opinion de Giacobetti, p.b., est sans détour : Mahomet ne fut qu’un imposteur dès le début (AJV, RPO 113a dos. 4, lettre de Giacobetti du 26.07.1934 au rédacteur d’ eti ).

559.

Ibid., p. 418sq.

560.

Ibid., p. 431.

561.

AGOMI, C. Congrès et semaines missionnaires 1927-1939, lors de la préparation de la XVII semaine de missiologie en 1939, il n’hésite pas à influencer les organisateurs afin d’accorder une place plus importante à l’islam. Il justifie son choix en écrivant que « l’Islam a trop d’importance pour qu’on persiste à le négliger et ce n’est pas au moment où la Sainte Église songe à organiser la préparation des missionnaires en terre d’Islam (sic) qu’il faudrait réduire dans les études la part consacrée à ce champs d’apostolat. Je félicite donc le Comité de la décision prise », lettre 21.03.1939, Ce. 636/39, du P. Perbal à Mgr Lavarenne.