Nous n’avons trouvé que peu de documents émanant des milieux catholiques sur ce pilier de l’islam. La dimension, pourtant religieuse, de cette pratique n’a suscité que peu de réaction chez les missionnaires à l’exception de quelques phrases éparses dans des textes qui en occultent souvent le sens religieux et l’assimilent à de la générosité ou à de l’humanisme.
Deux articles développent plus longuement ce sujet. Le premier, dû à Demeerseman est dans la droite ligne de son souci ethnologique 718 . Cet article est composé par une série de textes sur les croyances relatives à l’aumône et les pratiques qui en découlent 719 . L’aumône s’y comprend dans une acception large : « Tout peut devenir aumône : l’aumône du corps c’est le jeûne, celle de l’âme c’est la lecture de la parole de Dieu, la considération attentive et la réflexion sur son sens. » 720 L’aumône est faite à toute personne dans le besoin. Ainsi, il n’est pas inconcevable de faire l’aumône à un riche si ce dernier se retrouve en difficulté. Il va de soi que l’aumône dans l’écrasante majorité des cas est destinée aux nécessiteux. Un cas particulier d’aumône concerne les morts 721 .
La description de Demeerseman laisse transparaître le total abandon de l’homme à la Providence qui a réservé à chacun son dû. À travers cet article, exempt d’analyse, il est difficile de cerner l’opinion de l’auteur sur la question. Tout au plus apparaissent la générosité des fidèles et la familiarité de cette pratique pour les musulmans. L’aumône est décrite comme très fréquente, comme une seconde nature chez les musulmans. Demeerseman n’entre pas dans les considérations légales au contraire de l’auteur du second article.
Janot développe une analyse très technique et expose les prescriptions légales dans lesquelles l’aumône doit se dérouler 722 . Il part de l’article de d’Alverny sur la prière 723 pour souligner, comme l’a fait d’Alverny, le lien, l’union qui existe entre prière et aumône, ™al…t et zak…t. À ce dernier mot il trouve la même origine syriaque que celle de ™al…t 724 et un sens proche de celui de la charité chrétienne. Il distingue la zak…t, « sorte d’impôt rituel, de tribut mi-civil mi-religieux » 725 , de la ™adaqa, aumône légale mais aussi aumône volontaire 726 . L’auteur expose ce qui est, selon lui, le sens de l’aumône dans la pensée musulmane : « L’aumône procède chez eux moins d’un sens humanitaire de piété que d’une “vue du monde” un peu spéciale. Les biens de la terre, en soi sont impurs. Comment les purifier ? En se purifiant soi-même de leur contact obligé ; en les restituant à Dieu, à travers le pauvre, en s’en défaisant, partiellement ou totalement. » 727 . L’auteur propose un regard intérieur qui n’isole pas la pratique mais la situe dans son univers religieux.
Janot tente ensuite de définir quels sont les « précédents dont Muhammad aura pu être informé. » 728 . C’est aux origines de cette pratique qu’il entend remonter et qu’il développe 729 , autour des préceptes de la Bible, de l’Ancien et du Nouveau Testament. Quelle fut leur influence sur le prophète de l’islam ? Janot ne s’estime pas en mesure de trancher, il se contente d’écrire que MuŸammad fut en contact avec des chrétiens et des juifs. Le fondateur de l’islam est présenté comme un homme sensible aux pauvres et qui dénonce les crimes des riches 730 .
il faut attendre son installation à Médine pour « que les versets inspirés tombent du ciel » 731 et rendent l’aumône obligatoire dans la vie spirituelle. Avec AbŽ Bakr, la zak…t prend un caractère fiscal et doit être versée dans une caisse d’État 732 . Pour Janot cette décision du premier calife est une des réponses aux nécessités militaires et politiques 733 .
Les bénéficiaires de l’aumône sont indiqués dans le Qur’…n : les pauvres et les indigents 734 . Janot indique que la casuistique postérieure a précisé qui peut en être aussi bénéficiaire : collecteurs de zak…t et guerriers de la guerre sainte en font partie 735 .
Si la liste des bénéficiaires est réglementée, les produits soumis à la taxation le sont aussi et la réglementation des dispositions est importante 736 . Il précise toutefois : « N’allons cependant pas jusqu’à croire que ce caractère décidément fiscal ait fait perdre à la zakât toute valeur spirituelle. » 737 . Janot rappelle un verset qur’…nique (2, 273) 738 qui attribue davantage de mérite à l’aumône qui est faite discrètement, donc celle qui n’est pas légale 739 . Ceci constitue pour lui une preuve que la zak…t ne détourne pas de la ™adaqa, l’aumône privée 740 . Pour compléter sa présentation l’auteur mentionne l’existence d’une aumône particulière, zak…t al-fir ou ™adaqa al-fir, qui est obligatoire dans tous les rites sauf dans le malékite. Elle consiste à donner aux plus pauvres une aumône le jour où se termine le rama£…n 741 . Cette aumône porte au Marib un nom particulier al-faマra (prononciation maghrébine de fiマr) qui signifie la rupture du jeûne, son montant est fixé chaque année et doit être acquitté par chaque musulman, enfant compris.
Janot la met en parallèle avec l’aumône de carême. Ce rapprochement nous semble délicat dans la mesure que la ™adaqa al-fir a pour base la capitation et concerne tous les musulmans et relève d’une autre logique. Le dernier type d’aumône mentionné dans l’article est celui des biens de main morte, Ÿubus ou waqf.
dans la dernière phrase de l’article la position de l’auteur est clairement explicitée : « La zakât en islam complète la prière, comme les œuvres ont coutume de compléter la foi. » 742 . Sa conclusion renforce le lien entre prière et aumône selon une lecture marquée par la pensée catholique post-tridentine qui associe la foi et les oeuvres. Elle souligne l’importance des œuvres en islam, une dimension qui est rarement mise en avant dans les discours missionnaires. Ils sont, à quelques exceptions, convaincus que pour les musulmans seule la foi est fondamentale.
A. Demeerseman, « L’aumône dans la mentalité populaire », ibla avril 1941, p. 151-169.
En face du texte en français se trouve le texte en arabe.
A. Demeerseman, art. cit., p. 156.
Ibid., p. 156sq.
J.-E. Janot, « Faites l’aumône », eti 4ème trimestre 1940, p. 178-190.
A. d’Alverny, « la prière dans le Coran ».
Ibid., p. 234.
J.-E. Janot, art. cit., p. 179.
Ibid.
Ibid., p. 180.
Ibid.
Ibid., p. 180-183.
Ibid., p. 184.
Ibid.
Ibid., p. 185.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid., p. 185-188.
Ibid., p. 188.
2, 273/271 : « Si vous donnez ouvertement vos aumônes, combien elles sont bonnes ! [Mais] si vous les cachez en les donnant aux besogneux, c’est mieux pour vous et efface pour vous [une partie] de vos mauvaises actions. Allah, de ce que vous faites, est bien informé. »
J.-E. Janot, art. cit., p. 189.
L’aumône privée constitue l’essentiel de l’aumône populaire.
J.-E. Janot, art. cit., p. 189.
Ibid., p. 190.